l’ATTENTAT
Par
Armand BELVISI
"Commande avec dédicace chez l'auteur
A.Belvisi
6 bis Grande Rue
78.290 Croissy sur Seine "
Partie 1
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QUELQUES
EXTRAITS
p.36
Êtes-vous prêt à
participer à une grosse, une très grosse opération, monsieur Belvisi ?
Et,
avant que je puisse répondre :
Je ne peux pas
vous dire ce dont il s'agit, mais si vous acceptez je vous mettrai en rapport
avec la personne qui dirigera cette opération... Le meilleur d'entre nous...
Puis, cette fois, me fixant intensément :
Vous
êtes d'accord, bien sûr ?
Pour
être d'accord, il faudrait que je sache ce dont il s'agit !
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Parfait... Trouvez-vous samedi prochain à 21 heures devant l'église de la porte
de Saint-Cloud. Un homme sera là, grand, blond, vêtu d'un imperméable vert. Vous
l'aborderez en lui demandant s'il attend quelqu'un. Sur sa réponse négative vous
lui direz qu'il ressemble à l'un de vos amis nommé Germain. Il saura qui
vous êtes. N'oubliez pas ! Samedi 21 heures, porte de Saint-Cloud.
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p.38
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A Coubert,
au lieu indiqué, il y a une DS noire immatriculée 5699 HZ 75. A l’intérieur
trois silhouettes.
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Manou ! De la part de qui
vous venez ?
De la part de Germain.
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—
Montez à côté de moi, dit-il en faisant, d'un signe de commandement, comprendre
à l'homme assis à son côté de passer derrière. Puis il me les présente :
—
Voici Dominique
— Et
voici Jean-Marc.
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(Bastien-
Thiry) : Nous sommes ici, messieurs, pour une très
grande mission. La plus importante qui soit et la plus lourde de conséquences.
Jean-Marc et Dominique sont au courant. Ils en connaissent les
risques et les ont acceptés. Germain a assez confiance en vous,
poursuivit-il, pour que je vous révèle
le but de cette mission. Ensuite vous serez libre de choisir.
Et
après avoir marqué un temps d'arrêt :
— II
s'agit d'installer une bombe sur le bord de cette route et...de supprimer celui
qui a décidé d'abandonner l'Algérie... En un mot, il s'agit d'un attentat contre
le chef de l'Etat, le général De Gaulle.
Je
laissai ce nom descendre en moi, au plus profond de mon être, dans les derniers
replis de mon âme.
Le
général De Gaulle... L'homme du 18 juin. De la France Libre. L'homme dont
j'avais, adolescent, épingle la photo au-dessus de mon lit. Le général De
Gaulle... Charles De Gaulle, président de la République française,
celui qui régnait sur 50 millions de citoyens. Celui qu'en 1958 Alger acclamait
comme un Messie. L'homme qui se mit hors la loi pour sauver son pays,
n'acceptant pas la défaite, et s'appuya sur l'Algérie pour effectuer sa
reconquête. Pourtant il est prêt à se séparer de cette même Algérie, faisant
naître dans les cœurs de là-bas le désespoir, la colère et la haine. Les hommes,
les femmes qui on
cru
en ses paroles se sentent trahis. Cette France qu'il sauva, il
s'apprête à l'amputer. Des milliers d'Européens, de Musulmans, se sont battus
pour chasser l'ennemi, le rejeter à la mer. Ils sont morts pour que leurs
départements restent français. Faudrait-il oublier cela, se boucher les oreilles
au cri d'AL-GE-RIE-FRAN-ÇAISE
?
Ne plus se souvenir de l'exode, du malheur et des larmes. Pourquoi ce drame ?
Maintenant il ne reste plus que cette solution. La plus dramatique de toutes.
Henry Manoury, Jean-Marc Rouvière
et Dominique Cabanne de Laprade ont dit oui, le condamnant à
mort, et moi j'ai un horrible goût de cendre dans la bouche. L'Algérie, la
France doivent primer. Le général De Gaulle est le chef mais il n'est pas
la Patrie. Elle lui survivra, c'est elle qu'il faut défendre.
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Lagaillarde,
Argoud et Lacheroy à Madrid, Georges Bidault à Paris,
Gardes, Godard et Salan à Alger, devaient penser de même. Je
ne sais qui eut l'idée de cet attentat. Peut-être est-elle née à Madrid ?
Peut-être ! Nous menions un si dur combat depuis le 1er septembre
1959. J'avais dit oui. Oui à cet attentat, oui à Manoury et surtout oui à
moi-même. Il me fallait, à partir de cet instant, devenir extrêmement prudent,
ne pas faire de faux pas, être sur mes gardes 24 heures sur 24, vivre comme un
animal aux aguets.
Dieu
m'est témoin que j'ai agi en parfait accord
avec
moi-même.
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(Belvisi) :
Monsieur, depuis mes 17 ans je me bats pour la France, de toutes mes forces
et de tout mon cœur,
pour la conserver une et indivisible. Aujourd'hui encore je me bats pour cela et
le ferai aussi longtemps que Dieu me prêtera vie. Il m'est insupportable de voir
un homme renier sa parole. Un homme d'honneur ne le fait pas... jamais ! On ne
donne pas l'espoir à tout un peuple pour le lui retirer. On ne fait pas des
discours publics en criant que l'Algérie restera française, pour ensuite
l'offrir, sur un plateau d'argent, à une bande de rebelles. Je ne peux admettre
que, sous le prétexte politique, on diminue le pays pour lequel des hommes sont
morts. Le général De Gaulle n'a pas le droit de donner ce que les
générations précédentes lui ont transmis. Je considère qu'il est de mon devoir
de l'arrêter dans l'accomplissement de son œuvre. Il n'a pas tous les droits !
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Pont
sur Seine
p.72
Le
général De Gaulle passerait devant le tas de sable, de Villemandy
appuierait sur son bouton phosphorescent…Et la bombe exploserait.
8
sept. 1961
p.84
21h35
Martial de Villemandy
est toujours caché dans le bosquet, les jumelles braquées sur la route, guettant
le signal de Cabanne. Il sait que la voiture présidentielle ne va plus
tarder. C'est une question de minutes tout au plus. Il est prêt, résolu à
appuyer sur le bouton de mise à feu. Le geste qu'il fera dans quelques instants
est le plus important de toute sa vie. Martial en est conscient et résolu
à le faire, libérant ainsi la bombe et l'Algérie. Le général De Gaulle ne
dictera plus sa loi. Par son
geste, lui, Martial, va clore son règne, éteindre sa toute puissance.
Aujourd'hui, il est le plus fort. Il tient la vie du chef de l'État dans ses
mains. Il sait tout cela, il sait aussi que son devoir est dans ce geste. Puis,
tout à coup, les phares de Cabanne s'allument deux fois et quelques
instants plus tard 5 faisceaux lumineux trouent la nuit. Il reporte son
attention sur le petit arbuste aux branches tordues. Les phares de la voiture de
tête grignotent l'ombre, se rapprochant de l'arbuste. Le bruit du moteur lui
parvient dans le silence de plus en plus fort.
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p.86
– 87
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Des
pains de plastic à demi consumés sont disséminés un peu partout. Des morceaux de
la bombe, le tube plongeur, l'embase, la tige filetée et les tôles jerrycan ont
été projetés de tous les côtés (voir phot. hors-texte).
Le
lieutenant Houdet note tout cela. Il fait installer un cordon de
gendarmes sur le bord de la route puis il regagne Colombey. Les commissaires
Comiti, Ducret et les autres voitures sont repartis à la recherche
de la voiture présidentielle. Elle s'est arrêtée à la caserne de l'Armée de
l'air à Romilly où le général De Gaulle a été chercher refuge. C'est à
l'armée qu'il demanda protection.
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p.93
– 94 –
C'est à midi que la nouvelle éclata à la une de tous les quotidiens dans les
éditions spéciales : « Attentat contre le général De Gaulle. » Le titre
de France-Soir était plus précis : « Attentat manqué contre le chef de
l'Etat. Arrestation de Martial de Villemandy.
Cette nouvelle s'abattit sur moi comme une chape de plomb. Tout mon corps devint
pesant. Ce n'était pas possible... Pas possible.
Cet
attentat ne pouvait pas rater. Que s'était-il produit? Pourquoi la bombe
n'avait-elle pas explosé ? Pourquoi, pourquoi ? Ça ne pouvait être le
détonateur. On me l'avait fourni en fonction de sa puissance, elle était énorme.
Quant à la bombe elle était dotée de 43 kilos de plastic, charge capable de
faire sauter un immeuble. Alors... de Villemandy avait appuyé, la bombe
était passée à quelques centimètres au-dessus de la voiture présidentielle. La
puissance du souffle l'avait projetée d'un côté à l'autre de la route mais elle
n'avait pas explosé. Je répétais ces mots inlassablement. Manoury avait
fait fabriquer la bombe et était sûr de son homme. Il se vantait d'être lui-même
un expert en la matière. Peut-être, au lieu de se cacher au Canet-Plage en tenue
de baigneur, aurait-il mieux valu qu'il se renseigne sur les capacités de son «
fabricant ». Dans une entreprise de cette importance, il est préférable d'être
consciencieux que vantard. J'ai su, par la suite, la raison exacte de cet échec,
la raison pour laquelle le général De Gaulle eut la vie sauve. Ce fut
pour lui une bien grande chance...
Je
dois maintenant ouvrir une parenthèse. Car à l'époque beaucoup de gens ont été
persuadés que cet attentat
était faux,
arrangé par le gouvernement lui-même, pour renforcer sa position. Aujourd'hui
encore, l'idée persiste. Simplement parce que personne n'a jamais pu expliquer
les raisons de l'échec. Au procès, lorsque l'heure en fut venue, les magistrats
prirent soin de vider la salle du public et des journalistes. Le secret ainsi
restait bien gardé. Mais je peux affirmer que cet attentat fut bien conçu,
dirigé et exécuté pour empêcher le général De Gaulle de diminuer la
France. Je suis actuellement en possession de documents officiels attestant la
véracité de ce que j'avance. Avant d'en donner connaissance, songez simplement
qu'aucun service secret n'aurait pris le risque de faire exploser, même
partiellement, une bombe chargée de 43 kilos de plastic ainsi qu'un bidon de 20
litres de napalm à quelques centimètres de la voiture du président de la
République.
p.150
Le
lendemain de ce rendez-vous, il y avait un message pour moi et je dois dire
qu'il me fit grand plaisir. Germain demandait à me rencontrer au café du
Père Corentin, Porte d'Orléans, à 16 heures. C'est très ému que je me dirigeai
vers le lieu du rendez-vous. J'avais une grande admiration pour Bastien-Thiry
et j'étais heureux de le revoir après les tristes événements de Pont-sur-Seine.
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Mais
cette fois, c’est moi qui allais susciter et précipiter les événements. Personne
ne m’annoncerait quoi que ce soit. Non personne ! C’est seul que je relancerais
la « Grande Solution ».
À 16
heures précises, j'arrêtai ma voiture à cent mètres du café et, à pied, me
dirigeai vers l'angle du boulevard Jourdan et de la rue du Père-Corentin. L'air
était froid et ravivait mes brûlures. Je marchais vite, la tête rentrée dans
les épaules lorsque je l'aperçus. Il n'avait pas changé. Sa haute silhouette
revêtue de son inséparable imperméable vert se détachait de la masse des
passants. Il se tenait toujours très droit, le buste rigide, et ses pas
réguliers résonnaient sur le trottoir. Je le retrouvais comme avant, vivante
image de la loyauté, rassurante image du bon droit et de la vérité. De tout son
être se dégageait un sentiment de puissance comme ces grands arbres solitaires
que rien, jamais, ne peut abattre et sous les branches desquels on vient
chercher refuge lorsque la pluie nous surprend. Je le croisai, il me regarda
mais ne me reconnut pas. Mon nouveau visage l'avait abusé. Je fus obligé de
m'arrêter face à lui et de le regarder droit dans les yeux. Il s'exclama :
—
Ce
n'est pas vrai. Je ne vous ai pas reconnu...
J'explique à Germain les raisons de cette transformation puis nous sommes
montés dans la Simca 1000 qu'Anne m'avait
prêtée.
Il
me demande ce que je suis devenu depuis mon départ en Espagne. Lui aussi m'avait
cru mort après l'explosion de Bois-Colombes et c'est à la suite de ma visite
chez mon avocat qu'il sut où je me trouvais. Je lui annonce que maintenant je
travaille avec la Mission III aux côtés du Monocle puis je demande à
Bastien-Thiry
les raisons pour lesquelles la bombe, à Pont-sur-Seine, n'a pas rempli sa
mission. Mais il n'en sait rien ! Cette question restera sans réponse jusqu'au
procès. C'est à ce moment seulement que je connus la raison exacte.
II
désire savoir ce que je fais en ce moment. Ici, je dois ouvrir une parenthèse
car les paroles que j'allais prononcer seront des plus graves et lourdes de
conséquences. Je ne sais pourquoi je dis à Germain que Mission III
préparait un second attentat contre le général De Gaulle. Non,
sincèrement, je ne sais ce qui m'a poussé. Etait-ce le fait de le revoir, le
sentiment qu'avec lui, et lui seul, je réussirais ou bien le désir de tenter
l'impossible ? Toujours est-il que j'allais déclencher une nouvelle opération
dite « Petit-Clamart ».
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p.154
Je
suis d'accord, absolument, bien que conscient des risques que cela comporte, il
faut tenter l'impossible !
C'est bien mon avis,
réplique Bastien de sa voix calme.
Je
regarde tour à tour le Monocle et Germain. Deux hommes forts,
courageux, animés par le même désir de servir. Deux hommes qui ne veulent pas
accepter la défaite. Canal est un ex-colonel et, tout comme Bastien-Thiry,
il reçoit comme une offense personnelle la perte de l'Algérie. — Bel,
ici présent, sera mon représentant dans cette affaire, il a toute ma confiance
et vous pouvez lui demander tout ce dont vous aurez besoin.
Germain
acquiesce d'un petit signe de tête.
Je
sais, monsieur. Je connais Bel, il est inutile de me le recommander.
Nous
reprenons le chemin de la rue de Presbourg. L'entrevue s'est bien passée,
l'attentat contre le général De Gaulle est décidé. Bastien ne
saura jamais que ce fut sur mon initiative. Quant à André
Canal,
le voilà éclairé. J'espère qu'il ne m'en voudra pas de lui avoir, pour le bien
de l'Algérie, forcé la main.
Nous
étions le 24 mars 1962 et, depuis 15 h 30, le compte à rebours était commencé.
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p.155
Quatre à cinq jours plus tard, Germain me contacte. Je le retrouve Place
de l'Odéon, au café Le Danton. Il s'enquiert des possibilités dont je dispose
pour le nouvel attentat. J'ai des explosifs, des armes et, bien entendu, des
hommes décidés.
Bastien
me donne alors rendez-vous le lendemain à deux heures dans les jardins du
Trocadéro. Il veut me faire rencontrer un officier avec qui je dois travailler.
C'est ainsi que je fis la connaissance du lieutenant Alain Bougrenet
de la Tocnaye. On
le
croirait sorti d'un livre moyenâgeux. Il est petit, nerveux, coiffé en brosse,
un peu chauve ; une courte barbe allonge son visage et ses yeux sont entourés de
petites lunettes cerclées de fer. Il regarde les choses et les gens d'un air
supérieur, fier de son nom, de ses ancêtres et de ses origines vendéennes. Il
voudrait reconquérir l'empire français et se bat contre à peu près tout, à
grands coups de cape et de chapeau à plumes. C'est la première fois que je le
voyais mais son allure hautaine me le rendit antipathique. Je crois d'ailleurs
que c'était réciproque. Il pleuvait à torrents et la Tocnaye s'enroulait
dans un vieil imperméable de coupe anglaise. Son pantalon trop large se plaquait
sur deux petits mollets. Germain m'explique que la Tocnaye vient
de s'évader de la Santé et que son ardeur au combat n'en est que plus grande.
Ces paroles lui font visiblement plaisir et son regard se fixe au loin... sur la
ligne bleue des Vosges !
Nous
étions chargés, tous les deux, de mener à bien cette mission. J'apportais, en
plus des armes et des munitions, des hommes tels que : Georges Watin et
Serge Bernier, grand garçon mince, blond, taciturne, ex-parachutiste
sous les ordres du colonel Bigard. Les Hongrois Lajos Marton,
Yula Sari et Laslo Varga, tous trois m'ont été fournis par le
mouvement Jeune Nation. Enfin, Louis de Condé
dont j'avais fait la connaissance longtemps auparavant.
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Partie 2
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