TÉMOIGNAGE DU
CAPITAINE Didier KLING
Recueillis
pour le Site par Hervé Cuesta
Cagnes-sur-Mer, le 25 Mars 1986
Monsieur
KLING Didier
Officier Honoraire
39, Boulevards Maréchal JUIN
06800
CAGNES-SUR-MER
À
Monsieur Jean BRUA
Reporter à
NICE-MATIN
214, Route de Grenoble-BP O4
06029
NICE-CEDEX
Objet :
La blessure mortelle de l’Algérie Française 26 Mars 1962.
Cher Monsieur,
Tout d’abord laissez-moi vous complimenter pour le reportage que vous avez fait
paraître sur Nice-Matin de ce jour ; tant pour sa clarté et pour la
véracité de ses textes.
A
ce sujet j’ai des éléments complémentaires à vous apporter, que j’aurais
aimé vous donner avant la parution de votre article ; peut-être vous
serviront-ils un jour ? En attendant ils ne feront que conforter ce que vous
avez écrit.
Au moment de ces évènements je me trouvais en poste au 45e Régiment
de Transmissions à MAISON-CARRÉE près d’Alger où j’occupais les fonctions de
Commandant de la Compagnie de passage et Commandant de la Harka du sous-secteur
de MAISON-CARRÉE.
Dans la matinée du 25 Mars 1962, je fus convoqué dans le bureau du Colonel
Commandant le Régiment où je fus informé que dans l’après-midi je recevrais les
éléments d’un bataillon du 4e Régiment de Tirailleurs. j’étais chargé
d’en assurer le ravitaillement et le logement dans les bâtiments disponibles au
Camps « G ». Je pris donc les dispositions prévues en pareil cas, avec l’aide
de mon chef comptable et de mon sous-officier chargé des matériels ; ainsi tout
était prêt pour 14 heures, aucune heure d’arrivée ne m’ayant été fixée. Ce n’est
qu’aux environs de 16 heures que les premiers éléments arrivèrent suivis du gros
de la troupe qui s’installèrent suivant mes directives, un officier de ce
bataillon étant désigné pour vérifier et prendre en compte les différents
matériels (literie et couchage en
particulier).
Ayant rejoint mon bureau, je reçus quelques instant après un coup de fil d’un
sous-officier d’une autre compagnie de mon régiment qui désirait me voir
personnellement. Ayant accédé à son désir il me rejoint quelques minutes après
pour m’informer de ce qu’il avait vu en compagnie de camarades. Les éléments de
sa compagnie se trouvant stationnées au camp « G » où avaient été logés les
tirailleurs, ils avaient vu des militaires de ce détachement sortir leurs
casques où étaient peints la lettre W et le chiffre 3, ayant
appris que depuis la signature des accords d’Evian on préparait l’intégration
d’éléments de Willayas dans les corps français en vue des passations de pouvoir,
je fis de suite le rapprochement avec la Willaya 3.
Je partis à la recherche du chef de bataillon commandant les tirailleurs, je
l’invitais à « boire un pot au mess » et lui rendis compte des informations que
je venais d’apprendre ; il me répondit « Je ne
peux rien vous dire, je ne connais pas tous mes gars la plupart m’ayant été
affectés en renfort ces derniers jours ».
Le lendemain(26 MARS 1962) matin tout le bataillon rembarquait à destination
d’Alger et j’appris dans l’après-midi ce à quoi ils avaient malheureusement
servi par des militaires du contingents qui venait d’arriver de métropole et que
je devais ventilais dans les différents corps d’affectation à travers toute
l’Algérie et le Sahara. Ces jeunes qui écoutaient sur leur transistor ces
événements, dont vous avez si bien relatés le déroulement, étaient venus me
chercher dans mon bureau pour que j’essaye de leur expliquer ce qui se passait
et me demandaient naïvement d’intervenir, comme si moi petit officier,
hiérarchiquement parlant, pouvait arrêter ce
massacre.
En
conclusion je vous dirai que je n’ai jamais revu ce bataillon qui avait du
rejoindre directement ses cantonnements d’origine sans même revenir au camps « G »
après ce massacre. Je n’ai même pas reçu la visite de l’officier qui m’avait
pris en compte les matériels, comme cela se fait réglementairement ; peut-être
en a-t-il été mieux ainsi car la honte qui devait couvrir le visage de ceux qui
n’avaient rien pu faire, ou qui n’avaient pas voulu (je ne le pense pas)
intervenir devait se voir à dix lieues à la ronde..
Par ailleurs je vous signale que mon chef comptable était domicilié à
Bab-el-Oued et il fut séparé de son épouse, alors enceinte, plus d’une semaine
et que je l’ai accompagné pour qu’il puisse la voir au travers des barbelés
condamnant les rues d’accès au quartier- Nous avons pu lui faire passer un sac
de 50 kgs bourré de boules de pain de l’Intendance
qu’un garde mobile a renversé sur la
route pour voir s’il ne contenait pas autre chose.
Je me tiens à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous
prie de croire à ma … sympathie de Pied-Noir.
Signé : KLING Didier