JOURNAL D’UNE MÈRE DE
FAMILLE
PIED-NOIR
par Francine DESSAIGNE
(L’Esprit Nouveau)
|
AU JOUR LE JOUR
Vendredi 29 juin 1961
au
Vendredi 22 JUIN 1962
Vendredi 29 juin 1961
…
…
Mes amies me racontent le dernier livre qu'elles ont lu ou la dernière pièce
de théâtre qu'elles ont vue. Je ne suis pas à l'unisson. Comment leur dire
que je n'arrive même plus à lire, que nous n'allons que très rarement au
cinéma, que je ne sais plus écrire. J'ai perdu le goût d'aligner des mots
pour le plaisir gratuit d'une musique verbale. Je ne sais ni rechercher une
image, ni fouiller une pensée, aujourd'hui moins que jamais. Sur les
enveloppes légèrement parfumées où une main fine a tracé des lettres
élégantes, deux autres sont venues s'ajouter. A celles-là, je dois
répondre. La grosse écriture malhabile de la femme de l'un des anciens
ouvriers de l'équipe de Mascara, nous annonce la mort de son beau-frère,
fonctionnaire municipal. II a été massacré sur la route avec sa femme
et sa belle-mère.
Il était seize heures, ils rentraient d'une promenade. Les fellaghas
ont tiré sur la voiture, puis achevé les blessés. Pressés, car
ils étaient près de la ville, ils ont arraché les alliances et les montres.
L'enfant, quatorze ans, témoin du drame, a fait le mort près du cadavre
de ses parents. Il a eu le terrible sang-froid de ne pas crier, de ne pas
bouger. D'avoir trop entendu parler de crimes, il était prêt pour ce courage
surhumain. Sa tante m'écrit qu'il a subi une très forte commotion
dont il aura du mal à se remettre.
Je n'arrive pas à trouver les mots qui aident ou qui consolent.
L'autre enveloppe est blanche, marquée d'un secteur postal. Un ami se
désespère dans un camp comme il y en a trop. Il y est enfermé
depuis trois mois, sans savoir pourquoi (sinon ses opinions), ni pour combien
de temps. Officier de réserve, cinquante ans, la Légion d'honneur, il
est depuis trois générations en Algérie. Ses aïeux ont quitté l'Alsace
pour rester Français. Il est en prison pour avoir parlé trop fort de
l'Algérie française et dit trop haut que rien ne justifie qu'il soit
déraciné. Il souffre d'être là, loin des siens, soumis aux rigueurs
pénitentiaires, et aux inconvénients de la vie en commun. Il est tour à
tour révolté et accablé.
Il faut que je lui écrive pour tenter de l'aider dans son épreuve. Mon
amitié pourtant très forte se sent impuissante à guider ma plume.
J'ai eu la visite de Mme B... Courageuse, elle retient ses larmes et
tire un pauvre sourire aux coins de ses lèvres. Elle parle de Jean-Pierre
au présent : « Je viens d'aller le voir, je lui ai porté des fleurs.
»
C'est trop pour une même journée. Comment écrire aux métropolitains ?
…
…
Tragédie sur la route de Tipasa. Jolie route en corniche qui ressemble à
celle de l'Estérel. Les mêmes criques bleues dans les rochers rouges, la
même
végétation de pins maritimes et de broussailles. Mais beau coup moins de
villages et la crête inquiétante des collines au maquis inextricable.
De ces taillis étaient sortis l'an dernier des tueurs qui avaient
pris pour cible de paisibles baigneurs sur la plage de Chenoua. Cette
année, ils ont rameuté et poussé devant eux la population terrorisée
de quelques pauvres douars. Ils sont descendus hurlants et menaçants vers les
petits villages de Fouka et de Bérard. La Légion a protégé les
maisons aux volets clos où l'angoisse atteignait son paroxysme.
Trop de noms tragiques s’imposent à la mémoire, El Alla, Wagram,
Melouza... dans ces heures cruciales où il faut dominer sa peur et calmer
les
hurlements des enfants tout à coup conscients de leurs vies menacées.
Incidents à Miliana, Constantine, quatre-vingts morts et deux
cent cinquante blessés tous musulmans.
Pauvres gens abusés, qui, plus que nous, vivent dans l'horreur.
A Saint-Eugène, mariage de M, R... Des indigènes lapident
le cortège à la sortie de l'église. Le service d'ordre fait refluer les Européens
dans le sanctuaire et disperse les musulmans.
Quand pourra-t-on cesser de faire des comptes de ce genre ? Il semble que
ce soit un engrenage sinistre et sans fin.
VENDREDI 7 JUILLET 1961
Nous avons en moyenne sept ou huit explosions au plastic chaque nuit. Nous
sursautons à peine tant ces bruits sont devenus familiers.
Cet après-midi, enterrement de la petite Christiane M... âgée
de dix ans. Elle a été violée et assassinée dans une
propriété à Sidi-Ferruch. Crime odieux comme il n'y en a que trop
souvent, même en métropole. Il a été commis par un musulman et
l'indignation est grande à Bab-El-Oued d'où la fillette est
originaire. Ce quartier populaire a le sens du clan et le goût du talion. Ses
habitants rongent leur frein depuis longtemps devant les nombreux attentats
terroristes. Avec Belcourt (autre quartier populaire) ce sont les lieux
où grenades et couteaux font le plus de victimes.
Depuis deux jours que l'enfant est morte on donne des détails de bouche à
oreille sur le pas des portes, dans les cafés, chez les commerçants. On se
prépare à suivre le cortège même si on ne connaît pas la famille. Il faut
se grouper, se sentir solidaires devant les drames et les coups. Montrer « qu'on
ne se laissera pas faire » et percevoir la force qui se transmet dans la
chaleur des corps agglutinés,
A l'issue de la cérémonie, les premiers cris fusent. C'est l'explosion de
violences brusques qui cassent et détruisent sans discernement. Le service
d'ordre s'interpose et limite les dégâts. Chacun se retire la tête en feu,
les poings serrés, envahi de la rage des vengeances inassouvies et remâchant
sans fin les raisons de son bon droit.
…
DIMANCHE 30 JUILLET 1961
P.71 - 72
…
…
Ce passé que l'on veut effacer, je vais essayer avec ferveur et respect de le
rendre vivant. Je vais le faire en redonnant leur sens aux mots qu'on n'ose
plus employer : colon, conquête, entre autres. On a voulu en faire des
injures, je vais tenter de les réhabiliter. Je le fais parce que je me refuse
à rayer des mémoires et de l'histoire la plus belle œuvre française, une
œuvre unique dans le monde.
Je vous fais grâce de l'énumération des invasions diverses qui
traversèrent le Maghreb depuis quinze siècles. Je n'en retiendrai que deux
essentielles :
-l'occupation romaine, peu avant notre ère,
-et la seconde invasion arabe.
Sous les Romains, l'Algérie devint une riche contrée agricole. Leur
présence bénéfique se répandit jusqu'au IIème siècle en constructions,
ouvrages d'art, plantations d'oliviers, d'arbres fruitiers et cultures
diverses. Les Romains occupaient le pays en profondeur et
maintenaient les Berbères dans le respect de leurs légions.
Après le départ des Romains, que retiennent les Berbères
de cet enseignement ? Rien.
Les ouvrages se désagrègent faute d'entretien et les champs redeviennent
la brousse que broutent les troupeaux.
Au VIème siècle, la première invasion arabe convertit les Berbères
à l'islamisme.
Mais c'est la deuxième invasion, au XII siècle, qui a le plus marqué un
pays déjà bien dégradé par ses possesseurs originels.
Des hordes de pillards et de nomades le parcourent comme des
sauterelles, ne quittant un lieu que lorsqu'il ne reste plus rien à
détruire.
Au commencement du xvie siècle, la Berbérie n'est plus qu'un malheureux
pays dévasté où se disputent entre elles les collectivités, engluées
dans leurs querelles de famille sous le signe du « Mektoub » (c'était
écrit) que leur a enseigné l'Islam.
Les Espagnols, les Portugais passent, chassés par les Turcs qui
s'installent du XVI au XIXe siècle. L'idée du grand effort de colonisation
intérieure entrepris par les Romains, qui mettaient en valeur le pays, ne les
effleure même pas. Les villes des côtes, seules, les intéressent. Ils en
font des centres de mercantilisme dont les ressources principales sont le pillage
en Méditerranée et le trafic des esclaves. Les Berbères de
l'intérieur continuent sereinement de se disputer et de dégrader leur pauvre
sol.
Et c'est 1830! Le Dey d'Alger détruit les comptoirs
français et tire sur le vaisseau parlementaire. La France décide d'attaquer
Alger. Alors, le Français de 1830 ordonné, méthodique, civilisé, découvre
l'Algérie.
Je me dois ici de faire une citation qui est un peu longue, mais elle me
semble la seule réponse à ceux qui osent prétendre que les Français les
ont dévalisés.
Voici ce qu'écrivait sur l'Oranie le lieutenant-colonel de Martimprey,
gouverneur de l'Algérie en 1864 :
« Les voies de communications principales ne sont que des sentiers
étroits, souvent obstrués par des broussailles ou interceptés par des
ravins. Les sources accessibles aux bestiaux sont des bourbiers. L'eau
des puits est corrompue. Autour, des trous en terre servent d'auges
pour abreuver les troupeaux. Ces trous finissent par former des mares
infectes dont les infiltrations délaient la terre ou la maçonnerie de la
paroi intérieure du puits, jusqu'à ce qu'un éboulement s'ensuive.
Ces accidents, d'ailleurs, ne déterminent le douar ou la tribu à
entreprendre quelques réparations. Elle ira plutôt chercher à trois
lieues plus loin l'eau qui lui est nécessaire.
Si l’on jette les yeux sur les cultures, on voit combien la terre offre de
facilités au travail de l'homme et combien celui-ci sur sa surface la néglige.
Disposant de grands espaces, il choisit les plus favorables et se retire avec
insouciance devant l'invasion des bois sur le sol destiné à la charrue.
Chaque jour les friches augmentent. Cependant le nombre des troupeaux
de la tribu ne permet pas que la terre devienne une forêt; les incendies en
font justice et la vaine pâture achève de réduire à l'état de
broussailles toute une végétation.
La grande épopée des colons européens commence. Parallèlement s'engage
l'éternelle discussion des intellectuels de la Métropole établissant qu'il
faut traiter l'Arabe comme l'Européen, l'Arabe destructeur comme
l'Européen qui défriche et construit.
Allant de l'avant, devançant même les troupes, les colons se répandent
autour des villes, défrichent, assèchent les marécages pestilentiels,
souffrent et meurent.
Mais ces bourbiers, de quel droit les transforment-ils ? Du droit
simple de la propriété achetée. Car les Berbères, quand ils
arrivent à se mettre d'accord sur les limites de leurs champs, vendent
tant qu'ils le peuvent, pénétrés de l'idée que le colon ne tiendra pas ou
qu'on lui reprendra sa terre facilement.
En fait, après avoir vendu, ils accumulent les « chicayas » (procès).
Les archives des Palais de Justice des grands centres pourraient montrer
aux curieux des monuments de mauvaise foi, où ce n'est pas le colon qui a
le plus vilain rôle.
Les années passent, les plantes poussent et les jardins commencent à
porter de beaux fruits.
A la fin du XIXème siècle, Baudicour écrit :
« Nos plantations les séduisent si peu qu'ils coupent pour s'en
faire des bâtons de voyage les arbres dont nous bordons les routes.
»
Telle est l'attitude du Berbère devant les arbres qui valorisent
son sol. Est-il très différent de celui que j'ai vu en 1952
dans les belles forêts créées par l'administration française ?
Pour avoir un instant de chaleur sur sa route éternellement parcourue, il
n'hésite pas à mettre le feu au pied d'un beau chêne de vingt ans.
L'arbre ne brûle pas, car la technique est sûre, le cœur seul se calcine
doucement et lorsque l'Arabe part, la brûlure continue de ronger le
bois.
En ai-je vu de ces pauvres arbres morts, dans un pays où plus qu'ailleurs,
la végétation doit être protégée. Le Berbère du XIX siècle
est-il très différent du fellagha qui scie les orangers autour
de Saint-Charles ou les oliviers sur la route de Saïda ?
Il faut sept ans pour faire un oranger. Il est plus facile de l'abattre en
quelques minutes. Et le fellagha qui tue le forestier et sa famille ?
Est-on vraiment sûr qu'il est « patriote », « nationaliste
» ? Ou plutôt ne se venge-t-il pas d'avoir été pris un jour en flagrant
délit de vandalisme ?
De 1830 à 1900, le colon résiste aux conditions lamentables de son
installation et à la maladie. Le mort, à peine enseveli, est déjà
remplacé dans la lutte contre la brousse, le moustique, et les hordes
périodiquement dévastatrices d'Abd-El-Kader.
En même temps, par acte individuel, le colon essaie d'initier
l'indigène à la culture du sol. Il lui apprend à faire sortir d'une
terre, neuve à force d'avoir été négligée pendant des siècles, les moissons
et les fruits qui font la prospérité d'un pays et de ses habitants.
En même temps, l'administration, soucieuse de ménager l'indigène,
procède à une répartition des terres (rien n'est nouveau) dont personne n'a
pu produire d'acte de propriété.
C'est ainsi qu'en 1851, dans la plaine de la Mitidja (uniquement
assainie et sortie des broussailles historiques par le colon européen),
sur trente-sept mille hectares, on donne vingt mille huit cent dix
hectares aux indigènes et le reste, « la part restant encore à défricher
», est réservé à l'état. Le colon a racheté ces terres ou a reçu des
concessions sur les terrains domaniaux hérités du beylick par le
gouvernement français.
A ceux qui trouvent bon de reprocher leur héritage aux enfants de ces
hommes courageux, je dis : celui qui a fait surgir d'un sol dégradé par des
siècles d'incurie criminelle, des champs, des arbres, des jardins, a plus de
droits sur ce sol que celui qui n'a su que regarder pousser le chiendent et
croupir les marécages.
Il a le droit du sang, de la sueur et du travail. Il a le droit
de sa présence qui a amené la construction des routes, la naissance ou
l'extension de villes et de villages.
Qu'y avait-il en 1830 ? Des sentiers, pas de ponts, pas de routes, des
criques abritant des nids de pirates.
Qu'y a-t-il aujourd'hui ? Vingt-cinq mille kilomètres de routes,
cinquante-cinq mille kilomètres de chemins, cinq mille kilomètres de voie
ferrée, vingt et un ports, dont trois de gros tonnage, trente-deux
aérodromes à trafic commercial dont quatre de classe internationale, onze
grands barrages, une réserve d'eau d'importance primordiale, un réseau
téléphonique, des installations électriques ultra-modernes,.. Tout ceci
existe à cause des premiers colons et grâce à eux.
II n'est que temps de leur rendre hommage et à travers eux, à la
France, dont l'œuvre humaine en Algérie est à elle seule une justification
de la colonisation. La France a colonisé en face d'un indigène paresseux
de nature et - à quelques exceptions près - peu perméable à la
civilisation, mais jamais contre lui.
La génération actuelle, la cinquième depuis 1830, voit s'estomper ses
défauts ataviques et ceux-là même qui se dressent contre la France sont
imprégnés de sa civilisation. La population indigène est passée de deux
millions en 1830 à dix millions en 1960. C'est une augmentation unique
dans son histoire et probablement dans celle des autres pays, arabes en
particulier.
Ceci grâce aux hôpitaux, centres médicaux, médecins, tous Français.
Beaucoup de peuples voudraient être « colonisés » de la sorte si
on leur demandait leur avis sans qu'ils soient pervertis par des propagandes
indignes.
La majorité des Musulmans reconnaît ce que la France lui a apporté.
C'est une consolation dans les épreuves présentes, et la certitude que l'œuvre
française n'a pas été vaine.
Malheureusement, cette masse silencieuse passe inaperçue au bénéfice
d'une minorité dangereuse et bruyante.
Pour n'avoir pas voulu entendre les Musulmans francophiles, on les a
sacrifiés.
Maintenant, ils désespèrent de l'avenir
…..…
MERCREDI 30 AOUT 1961
La radio parle de « ratonnades », de heurts « entre les deux
communautés » dont Oran est le théâtre. C'était fatal. Tous les crimes impunis
ne pouvaient
engendrer que d'autres crimes aussi aveugles, aussi stupides.
Dans les commentaires, on oublie de noter que depuis sept ans les
Européens voient les leurs tomber et qu'ils ont mis sept ans à y
répondre.
La jungle s'installe.
Alger ne tardera pas, elle aussi, à se perdre dans la haine et la
vengeance. Il aura fallu sept ans de peur, de crimes, d'angoisses mais
surtout de reniements et d'abandons, pour anéantir les liens tissés
lentement mais sûrement par la cohabitation et le travail.
DIMANCHE 3 SEPTEMBRE 1961
A Oran l'orage semble apaisé pour le moment mais la radio dit que
l'atmosphère est lourde. On est surpris de ces actes désordonnés qui
ressemblent à une vague de fond remontant de la boue. Voilà les victimes qui
se dressent à bout de rage contenue et qui deviennent bourreaux à leur tour,
aveugles dans leur violence.
Pendant sept ans, sont tombés, jour après jour, des Européens
et des Musulmans francophiles (ou simplement fort peu tentés par
l'aventure tragique d'un parti à prendre).
Pendant sept ans, dans la presse et sur les ondes, à quelques
exceptions près que l'on compterait sur les doigts d'une main, mais qui
valent d'être notées, on a cherché des excuses aux bourreaux, on a tripoté
l'histoire, escamote les réalisations d'une beauté trop gênante,
mis quelques formules creuses et plaqué sur le tout des slogans.
Propagande de première force, qui s'est imprimée en Métropole
comme vérité péremptoire et s'est transformée en Algérie en coups
de pique mille et mille fois répétés.
Pendant sept ans, les Européens n'ont pas bougé et les
autres se sont dissimulés, tassés, terrés dans l'espoir de se faire
oublier de la fatalité.
Aujourd'hui, les Européens sont désespérés.
LUNDI 11 SEPTEMBRE 1961
La radio annonce de graves événements à Bab-El-Oued.
C'était à prévoir, tout comme à Oran. Ils ont explosé d'avoir trop
comprimé leur chagrin et leur indignation. Le cercueil d'une
petite fille, le vieux copain touché par l'éclat d'une grenade
alors qu'il buvait paisiblement son anisette, le commerçant poignardé
sur le pas de sa porte, les blessés, les mutilés de tous les âges,
depuis si longtemps que dure cette terrible guerre, et les terroristes
rarement pris, à peine condamnés, trop souvent relâchés…
Comme toujours, ce sont des innocents qui ont payé cette bouffée
de rage aveugle. Ils sont allés rejoindre le groupe lamentable des « morts
pour rien » dont le
poids finira par nous écraser.
…
LUNDI 2 OCTOBRE 1961
…
…
Beaucoup de magasins indigènes ont baissé leurs rideaux par crainte des
mauvais coups. Dans les quartiers musulmans personne n'a bougé. Masse
indécise qui, après avoir successivement aimé la France, désespéré
d'elle, craint le F.L.N.
Je voit s'imposer une puissance occulte dangereuse : l'O.A.S. Pauvres gens qui
ne savent plus à qui se vouer, à qui s'en remettre pour avoir la paix. Comme
des girouettes folles, ils tournent aux vents alternés, à la recherche du
plus fort. En terre d'Islam, il est très important de s'imposer. Un
peuple trahit ses instincts par sa langue. « Bessif » que nous
traduisons cavalièrement : « par la force », veut en fait dire : par
le sabre.
La volonté de puissance revêt ainsi un caractère définitif.
Un proverbe énonce : « la main que tu ne peux couper, baîse-La !
». Les transfuges des harkis qui se sont retrouvés dans les rangs du F.L.N.
pendant sa période faste, les fellaghas transformés en commandos harkis, et
maintenant les Musulmans qui sont dans les rangs de l'O.A.S. sont bien les
fils de ceux qui disaient à Abd-El-Kader : « Sois le plus fort, je te
suivrai », et à Bugeaud : « Sois plus fort qu'Abd-El-Kader».
…
…
…
VENDREDI 6 OCTOBRE 1961
...
Dans un pays où la ségrégation n'a jamais existé, on ne peut concevoir
que la haine s'étende. On pense qu'elle est le fait d'une minorité dont la
triste célébrité est passagère et on croit fermement que la raison
reprendra le dessus. Si tous les Musulmans étaient pour le F.L.N., aurait-il
le besoin d'en supprimer autant ?
DIMANCHE 8 OCTOBRE
...
A Oran, des Musulmans en voiture ont écrasé volontairement un
Européen. Ils l'ont achevé à coups de revolver et l'ont brûlé
après l'avoir arrosé d'essence.
En février dernier, s'étaient déroulées des scènes d'horreur pires
encore.
Ils avaient incendié une automobile après avoir bloqué les
portières pour empêcher les occupants d'en sortir. Deux femmes furent
carbonisées et deux hommes grièvement blessés. Le jour de leur
enterrement, les Européens furieux ont molesté les indigènes qui se
trouvaient sur le passage du cortège.
Engrenage dramatique où l'on se bat pour des morts en faisant d'autres morts.
Que va-t-il se passer à l'enterrement de ce pauvre homme ?...
Des parlementaires du Constantinois et d'autres aujourd'hui de la région
de Mostaganem, adjurent leurs concitoyens de retrouver le calme et
d'interrompre le cycle infernal. Seront-ils entendus ? J'en doute. II faudrait,
pour arrêter ces crimes, une puissance qu'ils n'ont pas. Nous avons
l'impression d'être invinciblement attirés par un gouffre.
...
LUNDI 9 OCTOBRE 1961
…
Une lettre du parrain de Geneviève portant en tête : “ Centre
d'hébergement de Djorf », nous apprend qu'il a été arrêté
à Mascara le 13 septembre et transféré à M'Sila, pour être interné.
On est venu de nuit perquisitionner chez lui et l'emmener sans qu'aucun
grief ni aucun motif ne lui soient signifiés. Il a été embarqué
dans un avion inconfortable, avec d'autres Européens, pour être
conduit au camp de Djorf que l'on venait de vider de détenus F.L.N.
Ils ont dû, je cite sa lettre :
« S'installer sur les déjections, sur les paillasses de nos
prédécesseurs, dans des conditions d'hygiène et de confort désastreux.
Plusieurs jours sans eau potable avec comme seul ravitaillement du vin et du
pain. »
Dès que ces faits ont été connus dans le Constantinois, une
solidarité merveilleuse a joué. Des tonnes de ravitaillement sont parvenues
au camp « au point que nous sommes maintenant saturés de tout, sauf de
liberté ».
Notre ami, propriétaire près de Mascara, a été pris en plein moment des
vendanges. Sa femme a dû en assumer seule la direction, en même temps
qu'elle préparait la rentrée scolaire de leurs quatre enfants et
tentait de dominer son chagrin. Elle a reçu de touchantes marques de sympathie
tant des Européens que des Musulmans. Leurs deux familles sont dans la
région depuis quatre générations.
Pendant combien de temps encore garnira-t-on les prisons de gens
honorables, simplement parce qu'ils entendent rester Français sur
la terre de leurs parents ?
MERCREDI 11 OCTOBRE 1961
Ce matin cinq cents gardes mobiles environ cernent trois immeubles
en bas du parc de Galland. Tout le monde alentour est sur les balcons. La
hargne s'exhale en cris, sifflets et injures. Après quelques heures de
fouilles méthodiques, les gardes repartent emmenant six personnes dont une
concierge et son fils de quatorze ans. En quelques minutes la nouvelle se
propage. L'indignation grandit chaque jour, à mesure que l'on entend parler
de prisons, de tortures et de morts. Les conversations ne sont faites
que de cela. Pour un « activiste » réel, combien d'autres sont pris
dans cet engrenage infernal pour avoir simplement affirmé trop haut leur
volonté de rester Français ? Si on y ajoute les attentats F.L.N. le
poids du sang perdu est très lourd à porter.
...
…
Nous sommes à la veille de la grande épreuve. Elle plane depuis longtemps,
nous la sentons qui se resserre. Elle fondra sur nous brutalement, nous
l'attendons en essayant d'affermir notre courage. Que sera-t-elle ? Nous
l'ignorons pour ce qui est du domaine transmissible des faits qui s'inscrivent
dans l'histoire. Mais nous savons que pour nous, les familles « Pieds
Noirs », elle sera pleine de difficultés et d'angoisses, même si
elle est notre unique espoir. Tous ici, nous aimerions être plus vieux de
quelques mois. Nous croyons foncièrement que la paix est possible dans
l'ordre et la dignité, non pas dans le chaos des abandons. C'est ce qui
nous permet de tenir aux vents alternés de la politique comme jamais encore
une population ne l'a fait. Dans cette lutte très dure, de tous les instants,
nous aurions tant besoin d'amitié et de compréhension !
…
MERCREDI 18 OCTOBRE 1961
...
Le sang versé n'a-t-il pas le même prix ? Il est vrai que ces attentats sont
si nombreux dans toutes les villes qu'elles seraient mortes en permanence «
avec portes et fenêtres closes, sans personne aux terrasses ni aux balcons
».
Doit-on en déduire l'importance de la quantité ? (Les Européens ne se livrent
que très rare ment à leur colère. Vont-ils tirer profit de ces
constatations ?
Mais hélas ! il s'agit plutôt du droit de tuer. Le F.L.N. l'a
depuis longtemps. Il faut maintenant mater ses victimes pour que
désormais elles soient consentantes.
Pendant ce temps, les Musulmans à Paris se plaignent des
mesures « racistes » prises contre eux. Là encore on constate que le
«racisme » à Paris a une couleur et ici une autre. Et on nous
renvoie des brochettes d'« assignés à résidence ». Privés de ressources,
obligés de rentrer au pays alors qu'ils n'y tiennent pas du tout, ils iront
tout droit grossir les rangs du F.L.N. pour se venger et se réhabiliter aux
yeux des maîtres de demain.
Qu'allons-nous devenir ?
Sommes-nous une communauté délibérément sacrifiée ? Hitler, avec ses
camps, était plus franc pour les Juifs. A l’angoisse toujours pressente s’ajoutent
chaque jour des raisons de désespérer.
…
SAMEDI 28 OCTOBRE 1961
...
Dans l'immeuble d'en face on a arrêté cette nuit un père de cinq
enfants. Je ne le connais pas. Je l'ai vu, soir après soir, au moment des
« casseroles »; je l'ai vu sur son balcon, chaque fois qu'il se passait
quelque chose d'insolite. Il m'est devenu familier. Ses volets tirés au
moment où de toutes les autres fenêtres partent les hymnes me font une
lourde peine.
Avant-hier, une jeune fille de quinze ans a été enlevée au salon de
coiffure où elle était apprentie. Deux « policiers » sont venus
la chercher et son patron n'a pu que prévenir sa famille. Après vingt-quatre
heures d'angoisse, les parents ont reçu une lettre d'elle. Elle est à la caserne
des Gardes Mobiles aux Tagarins, et demande un manteau et des
couvertures. On croit rêver. Ma fille a quinze ans, c'est une gosse.
Comment peut-on arrêter des enfants ? On se demande les motifs, on se
sent pris de vertige comme au bord d'un gouffre. On vit, les enfants jouent,
et tout près de nous se font et se dénouent d'horribles tragédies. Curieux
funambules dont le fil est tendu sur des marmites de sorcières, irons-nous
jusqu'au bout sans tomber ?
A l'hôpital Mustapha, des détenus en cours de soins s'évadent de temps
en temps. Mais aussi des CR.S. viennent de nuit enlever certains malades ou
les frappent dans leur lit.
Dans certaines villas, des caves sont le théâtre d'horreurs dignes de
l'Inquisition. Une Inquisition servie par des techniques
modernes. On en parle, on en ajoute sans doute. C'est tellement indigne
qu'on peut à peine y croire. Pourrait-on vivre en se bouchant les oreilles ?
Les enfants l'entendent, ils demandent : « L'a-t-on torturé »,
lorsqu'on parle d'une arrestation.
...
Nous attendons le 1er novembre avec angoisse. L'O.A.S, dit de ne pas
sortir. II faut à tout prix éviter les heurts avec les Musulmans, Comment
ceux-ci suivront-ils les consignes du F.L.N. ? Ils aspirent tellement
à la paix!
LUNDI 30 OCTOBRE 1961
Les trolleys sont en grève depuis ce matin. Hier soir un conducteur
musulman a été assassiné par des terroristes. Ses camarades européens et
musulmans ont décidé de faire grève jusqu'au moment où on dotera les
véhicules d'une protection efficace. L'absence des lourds engins donne à la
ville un calme inquiétant. Plus de bruits de freins, ni d'embouteillages dans
les rues trop étroites. On aime pourtant mieux les voir circuler.
…
...
JEUDI 30 NOVEMBRE 1961
…
Cinq très violentes explosions ce matin avant la levée du couvre-feu.
Il s'agit d'obus piégés qui ont éclaté dans des cafés connus pour
être des rendez-vous d'activistes. On dit que c'est l'œuvre des services
spéciaux de l'armée. L'indignation est grande en ville. Les plâtras
sont rapidement déblayés et à midi on sert l'anisette sur des tables de
fortune. Rue Michelet, devant Le Cardinal, on fait la chaîne. Une
boîte, « pour la concierge », se remplit de pièces et de billets. La
pauvre femme a son logement dévasté. Elle a tout perdu. Mais, comme elle
n'habite pas à Paris, demain on ne verra pas dans les journaux son nom ni sa
photo. Les postes périphériques ne viendront pas l'interviewer. Qui
s'intéresse aux concierges d'Alger ?...
…
MARDI 6 FEVRIER 1962
Un jeune garçon de première est abattu rue Bab Azoun alors
qu'il se rendait au lycée Bugeaud. Un de ses camarades est manqué square
Bresson par les mêmes tueurs du F.L.N.
MERCREDI 7 FEVRIER 1962.
Devant le lycée Bugeaud, les élèves bavardent en attendant l'ouverture
des portes. Une voiture passe, mitraille les groupes. Deux jeunes gens tombent,
l'un d'eux mourra. Les lycées et collèges font grève à partir de
cet après-midi. Triste époque où les enfants eux-mêmes ne sont pas à
l'abri de la folie sanguinaire.
...
LUNDI 12 FEVRIER 1962
...
II y a quelques jours la presse annonçait en gros titres l'enlèvement du
fils du professeur Schwartz par l'O.A.S, La radio nous donnait une interview
du père, justement alarmé. Aujourd'hui, une information en tous petits
caractères paraît sous la photographie du jeune héros de cette aventure :
« Les enquêteurs ne croient pas à un rapt et pensent que l'étudiant a
été victime d'une dépression nerveuse, » Pourquoi la presse est-elle si
pressée de publier des informations sensationnelles et pourquoi ne fait-elle
jamais marche arrière lorsqu'il est prouvé qu'elle s'est trompée ? Point
de gros titres pour les rectifications et le lecteur non averti reste sur la
première impression.
…
...
MERCCREDI 14 FEVRIER 1962
…
Daniel revient, les lycées font grève. On a tué hier deux étudiants
qui se rendait au lycée du champ de Manœuvre. C’est la troisième
fois ce mois-ci que le F.L.N. tire sur des adolescents.
…
VENDREDI 16 FEVRIER 1962
Des femmes attendent à la sortie d'une école de Bab-EI-Oued. Tout à
coup, une explosion suivie de hurlements. Une Musulmane gît
dans son sang, sur le trottoir. Elle portait une grenade qu'elle
s'apprêtait à jeter sur les enfants. L'engin a explosé trop tôt,
c'est elle qui râle maintenant. II a suffi de quelques secondes pour que les
mères aient la vision du drame qui se préparait : leurs enfants mutilés,
leurs enfants tués... Saisies de fureur elles se retournent vers l'épave
gémissante qui demande la pitié. En avait-elle, lorsqu'elle portait son
engin meurtrier ?... Les femmes s'acharnent à la mesure de leur indignation
et de leur peur rétrospective. C'est un cadavre que la police leur arrache
des mains.
…
DIMANCHE18 FEVRIER 1962
…
Nous vivons en vase clos, c’est une force concentrée mais nous savons que
c'est aussi une faiblesse. Le temps nous isole, la communauté dont nous
sommes issus nous rejette. Plus tard, on parlera peut-être de nous comme du
peuple juif. Race prisonnière de ses rites, de ses croyances et aussi de son
orgueil renforcé par des haines stupides.
…
LUNDI 19 FEVRIER 1962
...
...
C'est une villa de barbouzes qui a été attaquée à La Redoute. Ces raclures
de bas-fonds, couvertes de l'étiquette de « police parallèle
», suscitent l'horreur. La population les vomit et les détecte vite.
C'est la troisième villa qui saute à grand fracas depuis début
janvier. Gangsters patentés, grassement payés, ils concrétisent tous
les vices et toutes les perversions. Personne ne peut se croire à
l'abri de leurs coups. La haine qu'on leur voue est faite de terreur et de dégoût.
Certains sont très jeunes. Un psychiatre aurait de jolies fiches à remplir
sur chacun de ces amateurs de sang et de chair vive. Ils n'ont même pas
leur place dans le monde animal. Les traiter de bêtes serait faire injure à
toutes celles qui évitent instinctivement un corps couché sur leur chemin.
Mais que dire de ceux qui les paient, les encouragent et les utilisent !...
MARDI 20 FEVRIER 1962
Hier à midi, un commando O.A.S. a tiré sur une voiture qui sortait de
l'hôpital Maillot. Il y avait quatre barbouzes. La voiture a pris feu,
au milieu de la rue, devant la foule qui se presse à cette heure sur les
trottoirs. Un cercle s'est formé. On a regardé se consumer le véhicule et
ses occupants, dont certains n'étaient que blessés. Puis les gens sont
rentrés chez eux.
L'horreur appelle l'horreur. Je n'arrive pas à décrire autrement cette
scène atroce, à moins de faire du Grand Guignol et cela m'est impossible. Je
pense à cette foule qui souffre trop pour savoir encore ce qu'est la
pitié. Ces matrones en cheveux, cet employé de bureau, la jeune dactylo
pimpante comme on l'est à vingt ans, tout ce qui forme « la population » a
regardé l'horrible mort sans sourciller. Je n'ose pas écrire avec joie et,
c'est pourtant cela. Une joie tragique, une joie démoniaque, pire encore
peut-être : le sentiment d'une besogne d'assainissement.
Qui n'a jamais dans sa vie tué des rats ou brûlé des scorpions ?
MERCREDI 28 FEVRIER 1962
Sept facteurs des P. et T. ont été victimes d'attentats mercredi dernier.
Depuis, il n'y a plus de distribution de courrier, ni de levée des boîtes
de quartier.
…
…
JEUDI 1er MARS 1962
Mme Ortéga est massacrée à Mers-El-Kébir par des
musulmans fanatisés. Ils s'acharnent sur ses deux enfants de cinq et trois
ans.
Nous sommes profondément touchés par ces crimes odieux.
Quelle justification peuvent-ils trouver ?
…
VENDREDI 2 MARS 1962
II est 22 heures. Personne dans la rue. De très rares voitures suscitent
notre curiosité. Les patrouilles motorisées arrivent silencieusement au pas
d'homme. Il fait doux, nous restons quelques instants sur le balcon. Sur le
trottoir, je devine une silhouette dans l'ombre d'un recoin, puis une
deuxième, une troisième. Ce sont des jeunes gens très appliqués à peindre
des slogans sur les murs et les escaliers. J'avise le museau prudent d'une auto
mitrailleuse au bout du boulevard. Les jeunes ne peuvent pas la voir. Je
siffle « attention » en étouffant ma voix. Ils filent à toute
vitesse, ombres dansantes, leur pot de peinture à la main.
Hélas, ce matin, je n'ai pas pu crier « attention » au jeune
homme que j'ai vu bouler comme un lapin sur le même trottoir. Deux rafales,
il a couru quelques mètres et il est tombé. Il sortait des
Beaux-Arts, le trottoir était jonché de feuilles de copie envolées de son
porte-documents. Des gens l'ont transporté à la pharmacie, d'autres ont
rassemblé les papiers épars. Il ne restait plus sur le terre-plein qu'une
tache de sang. La voiture meurtrière dévalait la rue Edith-Cavell en tirant
encore. Affolement dans la rue, tous les gens aux fenêtres. Arrivée de
la police, de l'ambulance où l’on charge le blessé avec précaution.
C'est le premier attentat que je vois, c'est un choc. Je regarde l'heure :
11 h. 10, les enfants vont sortir de l'école. Les pensées vont vite : si
cela s'était passé vingt minutes plus tard, tous les gosses auraient été
dans la rue.
...
...
SAMEDI 3 MARS 1962
Je vais avec Danièle à une messe dite au Sacré-Cœur à la
mémoire de six étudiants tués le mois dernier près de leur lycée.
L'église est grande mais elle ne peut contenir tout le monde. Nous sommes
tellement serrés que quelques personnes se trouvent mal, il faut les évacuer.
L'hélicoptère qui tourne au-dessus de la foule massée dans la rue, mêle
aux prières son ronronnement agaçant.
LUNDI 12 MARS 1962
Un instituteur et un instructeur ont été tués par le F.L.N. devant leurs
élèves, à la sortie des classes. Le personnel enseignant décide de
faire grève dans les écoles primaires.
…
…
VENDREDI 13 MARS 1962
Des avions piquent sur Bab-El-Oued, ce sont des T.6.
Habitués aux rondes des hélicoptères, nous sommes surpris. Il paraît qu'on
tire presque sans arrêt là-bas. Les avions tournent et piquent sur les
terrasses.
Je rentre vers 16 heures dans mon quartier. Les mères quittent rapidement
le parc, entraînant leurs enfants. Je ne sais quelle rumeur les a effrayées.
Le boulevard se vide lui aussi. Les magasins ont leur rideau mi-baissé,
prêts à fermer.
Les avions piquent toujours au loin.
Le couvre-feu est institué de 21 heures à 5 heures, illimité pour
Bab-El-Oued.
Nous attendons la soirée avec anxiété.
La Préfecture de Police recommande de respecter le couvre-feu et de ne pas
rester aux fenêtres.
J'ai vu tout à l'heure les traces de balles sur les murs boulevard Saint-Saëns,
rue Michelet, les vitres cassées, les gravats sur la chaussée et les
équipes de la R.S.T.A. qui réparent les fils sectionnés des trolleys.
Tout est calme. Soudain, c'est la fusillade proche. On dirait que
des coups partent du côté du Palais d'Eté et d'autres de la Rue Michelet.
Mitraillettes et mitrailleuses crépitent quelques minutes.
…
Quelles tragédies dans certaines familles ! Ce matin au Champ de Manœuvres,
on a embarqué des hommes dans des camions pour « vérification
d'identité ». Plus de cent, des enfants aux vieillards, on a peine à
y croire, on est accablé.
La radio annonce que des chars petit à petit pénètrent dans Bab-El-Oued.
Le quartier est totalement bouclé et la gendarmerie fouille les
immeubles du pourtour. Cinquante mille Européens vivent là, qui sont nés
là, qui veulent y rester et qui vont peut-être y mourir ce soir, demain,
dans un grand geste désespéré. Mourir sous des balles françaises,
parce qu'ils veulent rester Français et ne pas être dépossédés de
leur pays natal..
…
Notre guerre est écrasante, mêlée à notre vie plaquée au moindre de nos
gestes.
Quelle volonté démoniaque nous poursuit, nous détruit froidement,
systématiquement.
Pourquoi nous ? Nos familles éclatées, nos enfants dévoyés par tout ce
qu'ils voient ou entendent.
Comment leur parler de Patrie si la nôtre nous persécute ? Comment leur
faire aimer leur sol natal si on les en chasse ? Comment leur donner le sens
de l'honneur si l'on piétine tous les serments, et celui de d'homme si on
l'écrase ?...
MERCREDI 14 MARS 1962
La concierge de l'immeuble d'en face vient nous prévenir : le jeune
Jean-François Durand que nous avons vu tomber l'autre jour sous les
balles des tueurs F.L.N., est mort ce matin après une terrible
agonie. Ses camarades des Beaux-Arts ont décidé d'apposer une plaque sur
le pylône devant lequel il s'est écroulé. La cérémonie est prévue pour
18 heures, il faut toucher le plus de monde possible.
Nous sommes consternés.
Nous ne connaissions pas ce jeune homme, mais il n'a pas vingt ans et meurt
de la plus stupide façon. Quelle révolte devant notre jeunesse
délibérément tuée sans que rien n'arrête les attentats. Vingt ans!
Il descendait les marches en bavardant, je revois son porte-documents, ses
papiers épars... Sortie d'une école... Mes enfants demain! Ma gorge se serre.
Nous serons ce soir à la cérémonie.
Un peu avant 18 heures, les gens arrivent par petits groupes et stationnent
sur le trottoir. La bise aigre d'un mois de mars soudainement glacial
transperce les manteaux. Silencieux, nous attendons de chaque côté du
boulevard. Un jeune homme et une jeune fille en larmes descendent les
escaliers. Ils refont, avec la plaque qui porte son nom, le dernier trajet
de leur ami. Les groupes se rapprochent. Les automobiles très nombreuses à
cette heure sont stoppées pour quelques minutes. La plaque est accrochée
au pylône ainsi que plusieurs bouquets de fleurs. Les spectateurs très
émus se recueillent puis se dispersent. Les autos repartent, saluant des cinq
notes la mémoire de ce pauvre enfant
JEUDI 15 MARS 1962
Toute la soirée, nous avons regardé, de temps en temps, ce pylône
étrange, comme ennobli par les fleurs blanches. De toutes les fenêtres, les
rideaux se sont soulevés de loin en loin. Veillée funèbre pour cette âme
dont une famille effondrée veillait quelque part le corps martyrisé.
Ce matin, stupeur! Plus de plaque, plus de fleurs! Le service
d'ordre les a enlevées pendant la nuit. J'aimerais parler à un de ces
hommes. Gardes mobiles ? C.R.S. ? Jeunes du contingent ?... C'est,
paraît-il, une patrouille de ces derniers qui a profané le mausolée
improvisé. Je lui dirais :
Comment avez-vous pu toucher à ce mort qui a presque votre âge ?
Avez-vous jeté la plaque au fond de votre camion comme un vulgaire bout de
bois ? Et les fleurs pêle-mêle pardessus, pressés de trouver la première
décharge publique pour vous en débarrasser ? Ou, au contraire, avez-vous
senti que ce bois avait une âme, l'âme de cet enfant, et que les fleurs
étaient lourdes des amitiés qui le pleurent et des inconnus qui le plaignent
? Alors, prenant ces reliques d'une main délicate, les avez-vous pieusement
déposées avec le respect dû aux victimes innocentes ?
Petit à petit le pylône refleurit. Modestes bouquets, gerbes somptueuses,
mains d'enfants ou de vieillards cassés, tout le quartier a réparé
l'outrage. Vers 11 heures, on accroche au-dessus des fleurs la photographie du
jeune homme. Les voitures klaxonnent, les passants s'arrêtent une minute.
VENDREDI 16 MARS 1962
Ce matin les fleurs sont toujours là et la photographie, enlevée hier
soir par précaution, a repris sa place.
SAMEDI 7 AVRIL 1962
Les attentats se succèdent à un rythme effarant.
Ce matin nous avons été réveillés par une série de sept bombes.!
En sortant de mon cours je vais effectuer des achats rue Hoche. A un carrefour,
je vois un fusil-mitrailleur en position sur sa béquille. Il faut que je
passe devant lui puisqu'il barre le trottoir.
Les quatre angles des rues sont bien gardés. J'accélère le pas, je supporte
mal la vue de ces armes et de ces uniformes. Rue Hoche, rue Michelet, il y a
un soldat tous les cinq mètres. je me hâte de rentrer, inquiète.
Nous apprenons vers 18 heures, que le service d'ordre a arrêté le
lieutenant Degueldre dans un appartement de la Robertsau. Ce
n'est pas très loin de la rue Hoche, tous les soldats que j'ai vus
faisaient sans doute partie du bouclage.
DIMANCHE 8 AVRIL 1962
Depuis hier les balcons s'ornent de tricolore pour affirmer que nous sommes
français au même titre que ceux qui, loin de nous et de nos problèmes,
votent en ce moment. Ils ne savent pas ce qu'ils font et nous n'avons plus le
courage de leur pardonner.
…
…
VENDREDI 13 AVRIL 1962
A 22 heures la radio annonce que le général Jouhaud, arrêté à
Oran il y a quelques jours, est condamné à mort.
Le journal d'hier nous apprend la mort de Robert Boissières,
dix-neuf ans. Jeudi soir, il dînait en compagnie de son frère aîné chez la
fiancée de ce dernier. Vers 11 heures ils rentrent à pied dans le quartier
de la Redoute. Un groupe de jeunes gens court sur la chaussée suivi de
près par une patouille de métropolitains. Les Boissières
s'arrêtent. Les jeunes gens prennent une petite rue et disparaissent dans la
nuit. La patrouille revient sur ses pas et retrouve les deux frères. Bruit
de culasse, les jeunes gens s'aplatissent sur le trottoir. Les soldats
s'approchent et, presque à bout portant, tirent deux balles dans la tête
de Robert et une rafale sur son frère. Robert Boissières
est mort hier matin; son frère exsangue est dans un état grave. C'est
ce que raconte à mon mari un de leurs cousins.
…
JEUDI 19 AVRIL 1962
Toute la journée les fidèles ont dit des chapelets à l'église du
Sacré-Cœur pour demander la grâce du général Jouhaud. L'après-midi,
je vais faire des courses en ville. Devant la porte de la banque, place de la
Poste, les fleurs sont toutes fraîches. Les passants silencieux et émus
lisent les inscriptions. Sur une gerbe, des décorations sont épinglées avec
la mention : « Des officiers écœurés» J'entends derrière moi une
dame qui dit à une autre : « Aujourd'hui, il y en a cinq, hier il n'y en
avait que trois. » Sur un bouquet modeste on lit : « Une Belge qui ne
veut pas que l'Algérie Française soit un Congo. »
Hier, le haut-commissaire et Farès sont venus « prendre contact
avec les fonctionnaires de la Délégation Générale, rue Berthezène »,
disent tous les journaux. Ils sont arrivés en hélicoptère à la caserne des
Tagarins, accompagnés de fonctionnaires du Rocher-Noir. Dix
automitrailleuses les protégeaient jusqu'à la Délégation qui était
entourée de nombreuses troupes. Des soldats étaient postés sur toutes les
terrasses. Ces messieurs sont arrivés dans des bureaux vides et
ils ont fait leurs discours devant les fonctionnaires qu'ils avaient
amenés. Ceux qui y travaillent habituellement avaient été refoulés
par le service d'ordre.
VENDREDI 20 AVRIL 1962
Nous apprenons en fin d'après-midi que le général Salan a été
arrêté dans un immeuble rue des Fontaines. Du treizième étage du Lafayette
où je passais l'après-midi j'ai vu une partie des véhicules de la
gendarmerie qui cernaient trois immeubles. C'est là que se trouvait le
général. La radio nous dit qu'on a arrêté en même temps sa femme, sa
fille qui doit avoir quinze ans et le capitaine Ferrandi. Nous sommes
consternés.
SAMEDI 21 AVRIL 1962
…
Des instructions strictes ont été données aux forces de l’ordre pour
riposter immédiatement à toute agression avec tous leurs moyens. En
conséquence, la population est informée que l’accès des terrasses est
interdite ; elle est formellement invitée à ne pas stationner près des
fenêtres et sur les balcons et à éviter tout déplacement superflu sur la
voie publique.
Autrement dit, nous pouvons être tués à tout moment par les « balles
perdues » d'un service d'ordre qui aura la conscience tranquille,
puisque nous sommes prévenus, II eût été plus opportun de diffuser ce
communiqué hier soir, lorsque après l'explosion, les gendarmes mobiles
ont dirigé leurs projecteurs sur les façades des immeubles voisins et tiré
dans les fenêtres. Ces méthodes rejoignent celles pratiquées
avec une plus grande violence à Oran, Un communiqué nous dît même
que dans cette ville l'aviation tirera sur les commandos OAS. qui se
manifesteront dans les rues. Peut-on nous dire si l'aviateur saura
poursuivre le tireur objet de sa mission, et épargner le passant que
la fatalité aura conduit en cet endroit au même moment ? Que l'armée tire
sur des commandos O.A.S. est conforme à la guerre que le gouvernement a
décidé de mener à outrance. Mais comment admettre le peu de cas que
l'on fait de la population ? Pour une auto piégée, on tire sur des
façades; pour des attentats dans la rue on tirera sur n'importe qui.
Les mères qui vont au marché, les gosses qui vont à l'école, les gens qui
vont au travail n'ont qu'à bien se garer.
Depuis le blocus de Bab-El-Oued, ce n'est pas à l'O.A.S. que la guerre
est déclarée, mais à la population. Il faut qu'elle paie son
idéal, sa fidélité, son courage quotidien, mais surtout
qu'elle paie son existence. Si les Français d'Algérie n'existaient
pas, il n'y aurait pas de problème. Pas de problème pour M. De Gaulle
qui aurait déjà tout largué en se lavant les mains ; pas de problème pour
le métropolitain qui pourrait digérer en paix, sans trembler, en lisant
dans son journal les méfaits de l'O.A.S.; pas de problème pour le garde
mobile qui met d'autant plus de rage à accomplir sa mission qu'il est
peut-être moins fier de lui.
Ce désir de brimer la population existe jusque dans les moindres
détails.
Ce matin, entre 10 et 12 heures, on a « ramassé » au hasard
les hommes jeunes qui passaient dans le boulevard Saint-Saëns ou le
boulevard du Télemly. On les a emmenés dans les locaux de la police
pour « vérification d'identité ». Cela leur permettra de passer une
nuit inconfortable tandis que leurs familles seront dans l'angoisse. On en
prend deux cents pour en garder dix, peu importe la souffrance des innocents.
MERCREDI 25 AVRIL 1962
…
Nos voisins du troisième sont bouleversés. Leur fils (dix-huit ans) a été
embarqué rue Michelet dans un camion de l'armée, et dirigé sur le camp de
Béni-Messous. Fourrière nouveau style, les camions descendaient
lentement la rue et les patrouilles les remplissaient d’hommes de tous
ages pris sur les trottoirs.
…
JEUDI 26 AVRIL 1962
…
J’apprends que les gardes mobiles viennent de faire une rafle de tous
les jeunes gens qui passaient. Ces opérations se font à l’improviste dans
divers quartiers.
…
Cet après-midi, je voulais me rendre Place de la Poste, c’est
impossible.
Une Automitrailleuse stationne au carrefour de la rue Edith Cavell et de la
rue Michelet. Des soldats arpentent les trottoirs, arme braquée
vers les façades. Je devais aller rue Michelet, j'y renonce. ...
Il y a, paraît-il, beaucoup de monde rue Michelet. En début d'après-midi
on pouvait encore passer à pied. Pourtant, des personnes photographiant les
fleurs ont été molestées par le service d'ordre. Depuis ce matin,
les fleurs s'étalent sur la façade de la banque devant laquelle tant de
malheureux ont été tués. Les gerbes sont si nombreuses qu'elles ont
été accrochées jusqu'au troisième étage. J'aimerais y aller, mais
je suis sans courage à la pensée revoir les canons des armes dirigées sur
les passants. L'émotion est encore trop «récente, pourrai-je l'oublier
?...
…
Aujourd'hui, rue Bab-Azoun, les commerçants qui ont encore le courage d'y
ouvrir leur magasin, ont pu assister à un curieux spectacle : six
soldats français, les bras en l'air, fouillés consciencieusement par les
civils du F.L.N.
VENDREDI 27 AVRIL 1962
Hier soir, à 18 heures, les C.R.S. ont enlevé les fleurs de la banque.
Arrivés avec un camion ils ont chargé celles du trottoir. Ne pouvant
atteindre les autres accrochées aux balcons, ils ont téléphoné au
directeur de la banque pour faire ouvrir la porte. Celui-ci a répondu qu'on
ne pouvait accéder aux étages par l'intérieur. Des travaux de réfection
sont en cours, il n'y a pas d'escalier. Il est donc préférable d'enlever les
fleurs de l'extérieur. Les C.R.S., n'étant pas de cet avis, ont fracturé
la porte de la banque. Le directeur en l'apprenant porte plainte pour
effraction.
Ce matin, grève des P. et T. et des banques pour protester contre la
disparition de certains membres du personnel.
...
Le fils de nos voisins est rentré cet après-midi. Il raconte :
« On nous a arrêtés rue Michelet et emmenés sans explications au
camp de Béni-Messous. Nous avons présenté notre carte d'identité qu'ils
ont gardée, On nous a répartis dans des cabanes où nous avons trouvé des
couvertures et des paillasses extrêmement plates bourrées de punaises.
Il y avait avec moi des hommes de tous les âges, un infirme, et même un
gosse de treize ans pris avec son père. Nous n'avons presque pas dormi de
la nuit. Le lendemain, la Croix-Rouge est venue apporter des vivres,
des jeux de cartes et des cigarettes. La journée s'est étirée sans
qu'officiellement on nous dise quoi que ce soit. Vendredi matin, après une
autre mauvaise nuit, nous avons répondu à l'appel. Ensuite, nous avons
nettoyé et rangé les baraques en attendant un autre passage de la
Croix-Rouge. Ces visites nous étaient d’un grand réconfort. L’après-midi,
on nous a appelés pour nous rendre nos papiers et sans autre explication des
camions nous ont ramenés jusqu’à El-Biar. »
Il paraît que ces rafles permettent la constitution d’un fichier.
(on voit là l’emprunt des Foccart, Ponchardier et Lemarchand,
responsables des barbouzes de De gaulle.)
MERCREDI 2 MAIS 1962
…
Les dockers ont arrêté une camionnette conduite par des Européens qui, par
malchance, passaient là, et les ont égorgés.
Mon mari est allé inspecter le chantier d'El-Affroun.
Pourvu qu'il ne soit pas arrêté par des barrages F.L.N. !
Un monsieur nous racontait hier qu'ils lui avaient déchiré tous ses
papiers parce qu'il n'avait pas dix mille francs sur lui pour payer son «
passage ». Il estimait s'en être tiré à bon compte, tout en étant très
ennuyé. Il y en a tant d'autres qui sont enlevés ou même assassinés sur
place...
JEUDI 3 MAI 1962
L'entrepreneur qui travaille au chantier de la d'El-Affroun téléphone à
mon mari. Des civils F.L.N. sont venus en fin de matinée donner l'ordre aux
ouvriers de cesser le travail. Ils ont obéi immédiatement. Il s'agit de la
construction d'un poste d'interconnexion électrique.
Cela dénote l'anarchie qui règne, l'autorité est à qui la prend par la
force.
II paraît qu'il y a eu aussi des règlements de compte dans la
Casbah entre F.L.N. et M.N.A. On dit que la fusillade d'avant-hier chemin
Picard et l'auto piégée d'hier sont le fait du M.N.A.
Un ami de l'Arba nous apprend que toute une famille a été enlevée
sur la route en allant à Baraki (vingt kilomètres d'Alger); deux agents de
police ont également disparu mais on n'en parle pas.
VENDREDI 4 MAI 1962
Belcourt est interdit depuis ce matin dans le style Bab-el-Oued, on ne sait
pour combien de temps.
MERCREDI 9 MAI 1962
Depuis hier, soixante rues sont interdites au stationnement
automobile. La circulation est très compliquée.
Les S... ont fermé leur magasin rue Bab-Azoun ainsi que les
quelques commerçants courageux qui tenaient encore.
Avant hier soir, des musulmans excités sont descendus de la Casbah. Ils
ont lynché à mort un ouvrier européen qui passait square Bresson et
malmené un jeune ménage. C'est alors que les commerçants ont baissé leur
rideau pour ne plus le rouvrir. La rue est vide, gardée par la troupe. Quelle
tristesse pour ceux qui ont connu les heures prospères de ce
quartier populeux et vivant !
Depuis plusieurs jours les enlèvements se multiplient. Le F.L.N.
prend même des enfants dont on voit ensuite la photographie dans le journal
pour les « recherches dans l'intérêt des familles ». On retrouve de
temps en temps un cadavre exsangue.
Il paraît qu'on saigne à blanc ces malheureux pour des transfusions
pratiquées dans de mystérieux hôpitaux de la Casbah. C'est tellement
horrible qu'on a peine à le croire.
Les pharmaciens sont en grève aujourd'hui car deux d'entre eux ont été enlevés
ce matin.
JEUDI 10 MAI 1962
Le quartier du haut de la rue Michelet est toujours bouclé.
Un véhicule roule sur le boulevard. II est rempli de jeunes qui passent les
bras par les fenêtres et tapent joyeusement « Al-gé-rie
Fran-çaise ». Ils se rendent dans un service civil quelconque.
Depuis quelques temps les jeunes étudiants se dévouent sur le marché,
dans les fermes ou les services de la voirie pour tenter de conserver un
aspect normal à notre vie.
Nous apprenons que les gardes mobiles les ont stoppés au Palais
d'Eté et ont dirigé sur le camp de Béni-Messous ceux qui avaient plus de
dix-huit ans.
Une jeune femme et son enfant ont été enlevés près de la gare de
l'Agaha. On parle aussi de quatre enfants à EI-Biar et d'un jeune
couple en haut des escaliers qui montent au boulevard Galliéni. Ces
nouvelles avivent une angoisse dont il est difficile de se libérer.
De la fenêtre, je vois des lueurs rouges au loin sur le bord de
l'eau. Ce sont des voitures qui brûlent à la décharge publique près
de la route Moutonnière, Elles stationnaient dans les rues interdites,
l'intervention des forces de l'ordre fut rapide et efficace...
DIMANCHE 13 MAI 1962
Triste anniversaire. Le temps est à l'unisson, il fait gris et frais.
Peu de circulation. La journée ne se prête guère aux sorties à la plage et
des craintes diverses retiennent les Algérois chez eux. Il paraît qu'il y a
eu soixante enlèvements dans la semaine. D'autre part on craint les rafles
du service d'ordre.
Même lorsqu'on n'a rien à se reprocher, la perspective de coucher à
Benî-Messous n'est pas agréable.
Hier, au Rocher Noir, on a pris des mesures en vue de détruire l'O.A.S, et
de réduire la résistance des Européens. Des milices musulmanes
vont être armées, quinze mille hommes de la force locale implantés en ville,
et dans les commissariats il y aura des gardes mobiles assistés de
policiers musulmans. Ces mesures avivent l'inquiétude au moment où on
retire aux Européens l'autorisation de posséder des armes
même déclarées.
LUNDI 14 MAI 1962
Dans un appartement de la rue Michelet, deux enfants de six et trois
ans ont été égorgés. La bonne indigène de leurs parents a disparu.
A-t-elle commis elle-même cet horrible forfait, ou a-t-elle été complice du
meurtrier ? Elle a en tout cas profité de l'absence de leur mère
partie, en confiance, faire des courses. Au retour, elle a trouvé la porte
ouverte et les deux petits cadavres dans la salle de bain. Combien de fois
n'ai-je pas moi-même laissé les miens à Zorah! C'est abominable.
Le couvre-feu est instauré à 19 heures. Les commandos F.L.N, ont
attaqué les Européens en divers points de la ville. A Dîar-Es-Saada,
ils ont mitraillé un groupe d'enfants qui jouaient dans la cour.
Les deux de ce matin ne suffisaient sans doute pas.
…
VENDREDI 18 MAI 1962
…
Mme S... est bouleversée. Ce matin elle a téléphoné à deux
personnes qu'elle connaît depuis plus de trente ans. Ce sont deux fragiles
petites vieilles qui ont près de soixante-quinze ans. Leur père était le
médecin des parents de Mme S... Elles sont nées ici rue Jules-Ferry (parallèle
à la rue Bab-Azoun) et y ont toujours vécu. Peu fortunées, elles ne sont
allées en métropole que deux ou trois fois dans leur vie. Une voix d'homme
répond avec l'accent arabe : « Les demoiselles sont à Hydra » et
donne le numéro de téléphone. Mme S... appelle Hydra. L'une d'elles
répond, les larmes dans la voix :
«Nous sommes réfugiées chez notre nièce. Des musulmans nous ont expulsées,
sans nous laisser rien emporter. Nous avons tout perdu. Nous ne
pouvons parler au téléphone, mais si nous nous revoyons je vous raconterai
tout. Notre nièce va nous amener en métropole dans un asile de vieillards.»
Pauvres femmes, qui ne peuvent même pas terminer leur vie en paix !
Les Européens aidés par l'armée, déménagent de la rue Bab-Azoun.
Les magasins fermés depuis plus de huit jours commencent d'être pillés.
SAMEDI 19 MAI 1962
Mlle B…m’apprend que les jeunes détenus à Camp du Maréchal
sont gardés par les soldats musulmans de la force locale. Son frère
doit être libéré cet après-midi. Elle est joyeuse mais ne sera réellement
rassurée que lorsqu’il sera là.
MARDI 22 MAI 1962
Hier après-midi une patrouille a été attaquée à Haouch-Addah près
d'Alger. Cet incident a permis de découvrir un charnier où gisaient
treize corps horriblement mutilés. Parmi eux, celui du père d'une de
mes élèves.
Parti hier matin comme à l'ordinaire, il n'est pas rentré à l'heure du
déjeuner. Le corps était dans un tel état que sa femme n'a pas été
autorisé à le voir à la morgue de l'hôpital. Aujourd'hui, avec sa
fille, elles ont pris l'avion pour la métropole.
Je suis obsédée par l'image de l'enfant blonde, rieuse, dont les douze ans
se chargent tout à coup de ce mort hideux qui incarne la dernière image de
sa vie douillette et protégée. Que va faire d'elle ce choc inhumain ?
Les départs s'accélèrent. Les scènes sur les quais ou les pistes
doivent être pénibles. La radio disait hier qu'une petite fille avait eu les
jambes brisées dans une bousculade à l'embarquement sur le bateau. Ce n'est
même pas la jungle, mais la panique abjecte.
Pourquoi n'en sommes-nous pas contaminés ? Manque d'imagination ? Les découvertes
comme celles d'hier soir sont pourtant là pour nous rappeler aux réalités.
Fatigue extrême qui nous fait nous terrer où nous sommes et confier au
destin le soin de choisir pour nous ?
Espoir fou d'un miracle qui redonnera un sens normal à notre vie ?
Ou conscience que l'on ne respecte pas une coquille vide ?...
L'idée du risque que nous courons avec les enfants me fait frémir
d'angoisse.
Franceline, étudiante en deuxième année de médecine qui fait son
stage à Mustapha,]me dit que les médecins lui ont interdit l'entrée
de la morgue. « Nous n'avons jamais vu de pareilles horreurs! »
disent-ils. Pourtant, ils doivent être endurcis depuis longtemps.
Quel calvaire ont vécu ces pauvres hommes ! D'après l'état des deux
rescapés, il y a tout lieu de penser qu'ils ont été mutilés vivants.
JEUDI 24 MAI 1962
Le général Salan a bénéficie des circonstances atténuantes et a
donc été condamné à la détention perpétuelle. La surprise est grande ici.
Cette nuit, vers minuit, ceux qui avaient veillé en attendant le verdict se
sont précipités vers leur balcon pour scander « Algérie Française
». L'étonnement passé, on s'interroge et on pense au général Jouhaud.
Sept corps de plus non identifiables, ont été retirés du charnier .
Un dominicain me disait hier que c'étaient quatre-vingts corps que
l'on avait découverts sans toutefois en avouer le nombre. Tous les jours, six
ou huit noms paraissent dans le journal sous le titre « Recherches
». Quelle angoisse pour ces familles qui, n'ayant pas de dépouille à
ensevelir, penseront aux morts anonymes où se trouve peut-être le leur. Nous
n'aurons pas de peine à choisir un « Pied Noir in connu » pour le futur
mausolée à l'Algérie perdue.
Il paraît que vendredi le président Farès aurait rencontré le
colonel Gardes dans un lieu très secret protégé par l'O.A.S. Farès
lui-même a dit publiquement qu'il accepterait de consulter toutes les
tendances, même l'O.A.S., pour rétablir la paix.
MARDI 29 MAI 1962
La radio annonce la découverte d’un nouveau charnier à Bouzardah
contenant une dizaine de corps
…
SAMEDI 2 JUIN 1962
…
L'exode massif vers la métropole a achevé de nous démoraliser. La panique
est contagieuse, elle force ceux qui voulaient rester à se poser
d'épuisantes questions. Pourtant, les scènes lamentables qui se déroulent
sur les lieux d'embarquement n'encouragent pas au départ. Des familles couchent
sur l'aérodrome, attendent de longues heures sous le soleil,
trimbalent de lourdes valises et traînent des gosses pleurnichant. Sur
les quais, c'est pire, pour aboutir à l'inconfort d'un pont où une chaise
longue se loue très cher.
Les cabines sont souvent réservées à des prioritaires, des familles de
fonctionnaires, des C.R.S. et cela suscite bien des rancœurs. On parle des trafics
honteux, cent nouveaux francs pour un passage (en plus du prix du billet
bien entendu) et même de voitures laissées aux C.R.S. de garde pour un
tour de faveur. Pour nous qui restons, c'est l'écœurement devant la
panique qui s'étale et l'exploitation éhontée d'une triste situation.
Par la voie hiérarchique, on a demandé aux ingénieurs de l'E.G.A. leur
position après l'autodétermination : quatre-vingts pour cent désirent être
mutés en métropole si l'Algérie devient indépendante. Même pourcentage
aux chemins de fer et dans l'enseignement, c'était prévisible depuis
longtemps. Cette fuite éperdue de tous les Européens inquiète le
gouvernement français et même le F.L.N. C'est une lourde menace pour
l'avenir de l'Algérie économique, où l'asphyxie du commerce pèse déjà.
Les magasins ferment les uns après les autres, même ceux d'alimentation. On
parle d'arrêt des « Galeries de France » pour un congé exceptionnel. De
nombreux magasins et des entreprises veulent ainsi libérer leur personnel
entre le 13 juin et le 15 juillet.
DIMANCHE 3 JUIN 1962
Un ménage qui habite Belcourt a été expulsé par des musulmans,
responsables F.L.N. en tête. Bien heureux d'avoir le droit d'emporter
deux valises. La dame pleurait en racontant à Mme R... « Je
les entendais se partager mes affaires alors que nous n'étions même pas en
bas. Et ils se disputaient.., » Ces gens ne sont pas jeunes. Ils n'ont
plus rien, et ont pris l'avion ce matin.
Je suis allée voir Mr F... à Saint-Eugène, Je lui racontais cette
navrante histoire sans penser qu'elle fixait de douloureuses inquiétudes. « Nous
risquons nous aussi dans quelques jours d'être à la rue, il n'y a plus que
trois Européens par ici. Lorsque les musulmans verront ces maisons vides, ils
s'y installeront sûrement et en même temps dans les autres. » Elle va
mettre chez, moi une ou deux valises. Notre quartier semble à l'abri des
risques de pillage, mais est-ce certain ? Bien des familles transportent ainsi
des colis les uns chez les autres, avec l'espoir de sauver quelques objets qui
leur sont chers.
Mlle T… me raconte que samedi à Bouzareah elle a vu des
militaires pénétrer dans un appartement vide et prendre ce qui leur
convenait. Ils étaient là pour assurer la protection d'un déménagement.
Ils ont vu un appartement fermé de l'autre côté de la rue et sont allés se
servir sans hésitation. C'est le logement d'un musulman. Mr T... et
son père qui, de chez eux, assistaient à la scène, étaient indignés.
…
MARDI 5 JUIN 1962
…
Une émission « pirate » a annoncé ce soir que la trêve est prolongée de
quarante-huit heures. Ce calme provisoire n'engendre pas l'optimisme. Les
départs sont de plus en plus nombreux. On craint un regain de panique après
le 15.
Un sous-lieutenant a été tué ce matin par des musulmans devant une
villa de Beau-Fraisier. Après un bref combat, ses soldats ont pénétré dans
la villa et ont trouvé deux cadavres tellement mutilés qu'il n'a pas
été possible de reconnaître s'il s'agissait de musulmans ou d'européens.
Nous sommes saturés d'horreurs et je comprends les gens qui fuient cette
ambiance. Moi aussi je vais peut-être me décider tout coup.
…
MERCREDI 6 JUIN 1962
…
Un ami de l'Arba est venu nous voir cet après-midi. Le F.L.N. règne
en maître là-bas, et fait maintenant inscrire la population pour voter.
Les Européens sont presque tous partis. Entre l'Arba et Rovigo, à
Roumili, se trouve un camp où le F.L.N. garde des personnes enlevées à
Alger ou dans la région. Certaines sont torturées ou tuées,
d'autres en ressortant sans aucun mal, et sans savoir pourquoi elles sont
soumises à un régime plutôt qu'à un autre. Il est ahurissant de penser que
ce camp existe (à environ vingt kilomètres d'Alger) et qu'on ne va
pas délivrer les malheureux qui s'y trouvent. Un habitant de l'Arba, Robert
A..., y a été amené il y a quelque temps. Il a été malmené puis oublié
dans une geôle. Un matin ses gardiens s'apprêtaient à le pendre
simplement. Deux gradés F.L.N. eux aussi originaires de l'Arba arrivent à ce
moment-là. « Oh ! Robert, qu'est-ce que tu fais là ? Je ne sais pas.
- Si tu n'es pas sur la liste, on va t'en sortir! » II n'était pas
sur la liste fatale, ils l'ont reconduit eux-mêmes au village.
Nos vies sont suspendues à de bien faibles chances, ou de bien grands
miracles.
MARDI 19 JUIN 1962
...
Nous sommes revenus à la banque ce matin. Quelques musulmans se risquent
jusqu'à la place de la poste. On revoit aussi des fatmas dans notre quartier.
Dans quelque temps ils reviendront tous chercher du travail. On se demande
comment ils ont vécu jusqu'à maintenant. Quelques distributions de vivres
dans leurs quartiers n'ont pas dû beaucoup améliorer leur vie. Ils
trouveront bien des portes closes. Les premières beautés de
l'indépendance risquent d'être amères.
L'Union Générale des Travailleurs Algériens annonce que les musulmans se
présenteront à leur travail demain dans tous les secteurs.
VENDREDI 22 JUIN 1962
Nous décidons d'expédier trois malles contenant du linge et des
couvertures. Mon mari les amène au port à 8 h. 30. Il obtient le numéro trente-neuf
et rentre», à 18 h. 30, fourbu et dégoûté d'avoir encore une fois passé
la journée debout sur le quai. Une femme lui a proposé pour quinze mille
francs le ticket numéro huit, il a refusé. Des trafics éhontés
s'organisent et vivent de la détresse morale qui conduit les
Algérois en masse sur le port. On paie dix ou vingt mille francs le grutier
qui embarque votre voiture avec un tour de faveur, dix mille francs de
supplément une chaise longue sur les ponts d'un bateau... On se «
débrouille » et la canaille en vit. Quel est le premier qui a
accepté de verser une dîme ouvrant ainsi la voie à tous les abus ?
On imagine sans peine que, si personne ne payait, les départs auraient
lieu quand même. Inversement, puisque d'autres le font, on s'aligne, pour ne
plus attendre, pour fuir, pour ne plus voir ceux qui piétinent
interminablement et ne peuvent pas choisir la solution facile. Ils patientent
des heures sous le soleil, témoins impuissants et rageurs des resquilles en
tous genres. Parfois, rendus furieux, ils crient et cognent à travers.
...
De nombreuses bonnes sont revenues, les ouvriers musulmans ont repris leur
travail. Depuis hier, le couvre-feu est levé complètement. Une camionnette
marquée « F.L.N. » en klaxonnant six brèves (Al-gé-rie Al-gé-rienne)
a descendu hier la rue Michelet. Des slogans apparaissent sur les murs et sur
les autobus : vive le peuple victorieux », Algérie Presse Service,
agence du F.L.N. a diffusé ce matin son premier journal. A la télévision et
à la radio, la campagne électorale est commencée. Musulmans et
Européens se succèdent pour demander à la population de voter « oui
» à l'indépendance.
…
Mon journal s'arrête deux jours avant mon départ. Une partie de ma vie s'est
terminée lorsque, du bateau j'ai vu s'éloigner les maisons blanches qui
bordent la baie, les arcades du boulevard du front de mer, les grands
immeubles de mon quartier. J'ai voulu tout fixer une dernière fois avant que
les lignes ne s'estompent dans le lointain. Sanglotante, je me suis
effondrée contre le bastingage, le visage enfoui dans mes bras repliés.
J'ai pleuré sans honte et sans retenue, comme cet autre jour, en mars, rue
d'Isly, Je savais que je n'étais pas la seule à le faire et que ceux qui me
regardaient avec un calme apparent, sombreraient comme moi, demain.
…
Je sais que mes enfants pourront s'adapter à de nouvelles conditions de vie.
Pourtant, je m'inquiète pour eux des premiers contacts avec les groupes de
gosses de leur âge, avec les nouveaux maîtres dont dépend leur avenir. Je
crois que nous avons réussi à les préserver, parce que nous avons eu la
chance que nos épreuves s'arrêtent aux limites de notre résistance.
Mais tous les autres ? Tous ces enfants témoins lucides et effarés
de la décomposition de leur univers ? Ils ont vu éclater le cadre de leur
vie : école fermée ou brûlée ; foyer démantelé ; parents, écrasés de
fatigue, minés par le chagrin, épaves abandonnant leur rôle tutélaire.
Avec la terrible lucidité de l'enfance, ils ont tout enregistré, à la fois
mûris et désemparés. L'oreille encore pleine des derniers sifflements des
balles sur les quais, ils ont trouvé, en métropole, l'ambiance déprimante
des centres d'accueil, ou les interminables marches sur les trottoirs d'une
ville inconnue, à la recherche d'un nouveau toit. Enfants blessés,
que vont-ils devenir ? Seront-ils le chien galeux que l'on lapide avec
la férocité de l'enfance, l'étranger dont on se méfie, ou le frère
prodigue qu'on aime et guide sûrement, parce qu'il a trop souffert ?
...
Maintenant que les vies sont sauves, commence pour les mères une
nouvelle attente. Que vont devenir nos enfants au cœur chargé de souvenirs
trop lourds ? Tant de mots font un mal irrémédiable aux êtres fragiles et
désaxés.
Saura-t-on les aider, les aimer ? Nous pensions en avoir fini avec
l'angoisse. La voici qui renaît sous un nouveau visage : après avoir perdu
notre pays, verrons-nous nos enfants dénaturer leur âme ?
Journal d’une Mère de Famille
Pied-Noir par Francine DESSAIGNE
Presses d’Emmanuel GREVIN & Fils
A LAGNY-SURMARNE, le 28-05-1963
|