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De Gaulle
 
 

La mémoire maudite des barbouzes
p.235 245

Partie
2

La Cendre Et  La Braise
de Gérard LEHMANN
Editions SDE
147-149, rue Saint Honoré 75001 Paris

Des zones d'ombre persistent naturellement: les agissements du M.P.C. sont évoqués avec une certaine discrétion dont le lecteur ne sera pas dupe. Il est notamment question, en relation avec les enlèvements, du traitement des séquestrés (pp. 223, 236 ss. 240). Bitterlin parle benoîtement de gifles, de menaces
(pp. 236-240). Le reste est tu.

L’assassinat de M. Petitjean n'est nullement évoqué.

Contrevenant à l'angélisme de Bitterlin, le document 6l (Mémorandum sur les enlèvements) reproduit dans O.A.S. parle (Juillard Paris 1964), évoque la phase des enlèvements sélectifs:

Les premiers enlèvements d'Européens signalés en octobre 1961 coïnci­dent avec l'installation des barbouzes. Une centaine de personnes vont ainsi disparaître entre octobre 1961 et mars 1962; ce sont en général des gens connus pour leurs activités antérieures pour la cause de l'Algérie française.

L'officier commandant le 12è Bataillon d'Infanterie installé du 3 août 61 au 4 juin 62 dans le secteur El-Biar-La Bouzareah (Z.A. Alger-Sahel) a retrouvé 16 cadavres, rejetés par la mer, enfermés dans des sacs ou des caisses de contreplaqué, portant des traces de tortures, (coups et brûlures). En outre il mentionne deux Européens vivants mais dans un complet état de délabrement physique retrouvés enchaînés dans le garage de la villa des services spéciaux d'El-Biar (ceux de Bitterlin) qui venait d'être l'objet d'un attentat à l'explosif; mes hommes ont dû Iivrer ces deux hommes aux gendarmes mobiles, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.

Enfin le rapport confirme la collaboration des barbouzes avec le F.L.N. dans les enlèvements et plasticages. Il est bien évident que nous n'avons là qu’une idée très vague de la réalité des crimes commis par les barbouzes, ceux de Bitterlin et de ses compagnons. Mais il convient tout de même de noter que les enlèvements sélectifs ne sont rien en comparaison de l'activité d’Azzedine qui, entre le 19 mars et le 3 juin 1962, fait 435 victimes. Azzedine qui déclara se faire fort de nettoyer en trois mois Alger de tous les pieds-noirs. Le rapport de l’officier français responsable des enquêtes après disparition reçoit un coup de fil de Rocher Noir : Farès et Fouchet ont été agacés par l’arrestation de cette cellule F.L.N. spécialisée dans les enlèvements... Quant au colonel Galhouet, il sera expulsé d'Algérie et puni de trente jours de forteresse pour avoir rendu compte au commandement de la gravité des exactions exercées contre les Européens et de la passivité complice de l'Armée. (O.A.S. parle, op. cit. pp. 260-261)

À propos du M.P.C., nous disposons de deux autres sources : Jacques Dauer, qui fut son président (alors que Bitterlin en était le représentant en Algérie) avec deux ouvrages écrits à plus de trente ans de distance : Les orphelins du gaullisme, Paris, Juillard 1962, en collaboration avec M. Rodet et Le hussard du Général, Paris, La Table ronde 1994). Jacques Dauer prétend que le M.P.C. n'était qu'une organisation politique et précise que le groupe Le Talion de la Sûreté nationale, le C.D.R. (Comité de Défense de la République) et l'O.C.C. (Organisation Clandestine du Contingent, communiste et proche du F.L.N.), auxquels on peut ajouter le S.A.C. (Service d'Action Civique) constituent le terreau où des polices parallèles ont proliféré.

Quant à Constantin Melnik, conseiller technique de Michel Debré pour la sécurité de janvier 1959 à avril 1962, il nourrit fort peu de considération pour ceux du M. P.C. voyants et peu subtils [...] les excès de ces êtres simples et tout d'une pièce face à une population hostile à leur idole étaient prévisibles, (l 000 jours à Matignon. De Gaulle, l'Algérie, les services spéciaux (p. 172).

Anne-Marie Duranton-Crabol, qui évoque le sujet (Le temps de l’O.A.S., Paris, éd. Complexe 1995, pp. 176-183), parle de zones d'ombre. Il est bien évident que sur ce point, l'occultation est, et restera, presque totale : c'est ce qui passe quand, au nom de la raison d'Etat, des membres du gouvernement, et ce jusqu'au plus haut niveau, tolèrent, couvrent ou organisent le crime. C'est dans ce contexte qu'il convient de considérer le traitement en retour dont Yves Le Tac fut l'objet de la part de l'O.A.S.

Nous avons vu que Bitterlin cite De Gaulle: le discours légitimant situe le M.P.C. dans le droit fil de la tradition gaulliste, de la légitimité qu'elle incarne. C'est bien le sens de la préface de Louis Terrenoire:

Dans l'histoire contemporaine de notre pays et les tourmentes qu'il a connues, l'épopée gaulliste a suscité et entraîné avec elle des hommes d'une qualité exceptionnelle auxquels des circonstances exceptionnelles ont proposé un destin à leur mesure. La France libre et combattante, la Résistance extérieure et intérieure en ont présenté un palmarès digne du guide qu'ils suivi­rent en répondant à l'appel du 18 juin 1940.

Pour Louis Terrenoire, le putsch des généraux est responsable du drame des soldats perdus changés en chefs de tueurs, du gâchis des derniers espoirs d'une indépendance sans rupture avec la France, enfin de l'exode des pieds-noirs. On retrouvera couramment ce genre d'argumentation qui permet d'évacuer la responsabilité des crimes commis à l'époque et dont les autorités gouvernementales françaises sont directement ou indirectement responsables, Terrenoire entre autres.

Si le M.P.C. est fidèle à l’esprit de la Résistance, de l'autre côté, du côté de l'O.A.S., derrière les colonels, il y a les cagoulards, les fascistes, les chefs de bande »(p. 9) écrit l'ancien ministre en citant Pierre Lazareff de France-Soir. Nous voilà plongés en plein rejeu.

Au fond, tout se joue autour du terme de terroriste. Pour Bitterlin, le terrorisme peut être d'abord synonyme de résistance et être un acte légitime, ou tout au moins compréhensible, s’il n 'est toujours admissible (p. 19), et l’on retrouve une optique semblable dans les propos de Georges Montaron :

Les résistants —j'en étais
qui s'opposaient au régime nazi, soit par les armes, soit plus simplement par une action de propagande, étaient pour les Allemands des terroristes (p. 291)... C'est l'occupant nazi qui nous a contraints à la Résistance et à l'action clandestine (p. 293)..., tant il est vrai qu'il y a des terrorismes qui ouvrent les portes de la liberté et d'autres qui plongent le monde dans le néant (p. 294)... Les actes terroristes ne se justifient que dans la mesure où ils s intègrent dans une politique clairement définie et qu'ils sont décidés par un organisme politiquement responsable (p. 295);

Si la dimension tragique, mais d'un tragique dérisoire, s'exprime dans l'évocation des cadavres du M.P.C. liquidés par l'O.A.S. et discrètement enterrés dans un village de France (Introduction en forme de funérailles}, évocation reprise dans les dernières pages comme une hantise, il y a, entre le chef du M.PC. et le ministre un différence notable.
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À la question des implications politico-policières du M.P.C, la réponse est simple, sobrement résumée par Claude Micheletti dans son Fors l'honneur :

Les fondateurs du M.P.C. sont Jacques Dauer et Raymond Schmittlein, président du groupe U.N.R. à l'Assemblée nationale, sous le discret patronage de Louis Joxe. Les implications de ce mouvement avec les associations diverses répondant aux mêmes buts, comme le S.A. C, le soutien au général De Gaulle. LO.C.C. (Organisation Clandestine du Contingent) ou le C.D.R. (Comité de Défense de la République) sont extrêment complexes, mais elles sont indéniablement téléguidées par les mêmes hauts responsables qui coordonnent l'ensemble (p. 124).

Le M.P.C. illustre sur un mode mineur un aspect majeur de la poli­tique gaulliste. Derrière les silhouettes de Dauer, de Bitterlin et d'Yves Le Tac se profilent les ombres du Debrosse des Tagarins et du Katz oranais, de la collaboration d'État avec le F.L.N. en Algérie même, enfin de la honte française des Accords d'Evian et de leurs conséquences : tous éléments rayés, biffés de la geste gaullienne qui n'en supporte ni l'histoire ni la mémoire ; le tout se tient.



 
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