Ces tueurs qui «
n'existaient pas
Par JP Chappui
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LE CRAPOUILLOT
N°109-mai/juin
1992- Chapitre XVI- pages 72 à 78
Recueilli
par Sivéra
Un commando OAS en action dans les
rues d’Alger, en face, les « barbouzes »…
Le spadassin n'est pas une invention du siècle et, de
tout temps, il s'est trouvé des demi-soldes pour exécuter de sombres
besognes.
Mais, voulue, conçue,
organisée par des cerveaux corrompus acharnés à chasser les Européens
d'Algérie, vifs ou morts, l'engeance barbouze est un phénomène typiquement
gaulliste.
Il avait existé des barbouzes avant la récupération du mot et de
la chose par le syndicat Debré, Frey & Compagnons . Dès sa
naissance, l'OAS avait été infiltrée par les dénommés Barthélémy
Rossello et André Palaccio , qui avaient eu le temps de faire des
dégâts avant d'être démasqués et abattus. Mais, en la matière, la palme
revient sans contredit à Pasani , un ancien trafiquant d'armes pour le
compte du FLN passé au service des brigades anti-OAS en qualité de tueur.
A quelle date peut-on situer le début de l'engeance
barbouze ? Les avis diffèrent. Inexplicablement, d'aucuns se donnent le beau
rôle ; ainsi de Lucien Bitterlin.
En mai 1960, cet homme de radio crée l'antenne algéroise
du MPC (Mouvement pour la Communauté), qui colle sur les murs d'Alger neuf
mille affiches favorables à De Gaulle et à l'autodétermination.
Yves Le Tac prend la présidence de la station Yves le TAC prend
la présidence de la Fédération algérienne. C'est un industriel en
chauffage central, président de l'Association des anciens déportés de la Résistance.
UN RÉSEAU D'INCONDITIONNELS
Animé de Paris par Jacques Dauer , président,
et Raymond Schmitlein , vice-président, le MPC vise des objectifs
politiques : il se veut « le noyau dynamique de la future coopération
entre les deux pays » . Sous l'impulsion de Lucien Bitterlin, le
MPC va devenir un noyau dynamite.
Car, au fil des mois, Lucien va se faire des amis
parmi les gaullistes inconditionnels, La campagne pour le référendum du 8
janvier 1961 est l'occasion de nouer des alliances avec René Gentgen,
colonel en retraite, Henri Jeunet , conseiller général d'Alger,
gaulliste socialiste, tous deux représentant l'UNR, et Claude Raybois ,
secrétaire général de l'Association nationale pour le soutien à l'action
du général De Gaulle, « un personnage jovial, solide, aux yeux
clairs et à l'accent parisien prononcé ».
Au siège de l'association, 26, rue Carnot, face au
port, Bitterlin fait la connaissance d'André Goulay Etabli à
L'Arba comme blanchisseur avec femme et enfants, recousu de cicatrices, cet
ancien des « commandos noirs » et de Corée a assuré avec le futur
ambassadeur Ponchardier le service d'ordre du RPF. C'est un homme sans
nuances :
« Le Oui a gagné le 8 janvier ; on n'a qu'à faire comprendre à tous
ces Pieds-Noirs que l'autodétermination est la seule solution. »
Oui, mais « tous ces Pieds-Noirs » ne sont pas
d'accord. Dissous après les troubles de décembre 1960, le Front de l'Algérie
française (FAF) continue de distribuer des tracts. Les éléments
activistes européens se regroupent dans l'OAS. Eminent specimen de libéral
favorable à la politique algérienne du général, Me Popie est
assassiné à Alger.
Le rendez-vous de Rocher-Noir
:
Lucien Bitterlin, le premier organisateur
des « parallèles » gaullistes.
Avant et après le putsch d'avril 1961, réunions et
accords vont bon train dans les milieux gaullistes. Lucien Bitterlin se
remue beaucoup, à Paris comme à Alger. Il retrouve souvent André Goulay
et, parfois, l'un de ses amis, Guy Gits ; un fonctionnaire de la Société
agricole de Prévoyance d'Orléansville, reconnaissable entre dix mille (grand
gabarit et cheveux flamboyants), ce qui lui sera fatal. Les deux hommes,
partisans de l'action, cherchent « des moyens pour s'imposer et des armes
pour se défendre » contre les « commandos Delta » (D comme Degueldre
de l'OAS). Ils prêchent un convaincu. Tous trois, par Louis
Joxe ,
obtiennent un rendez-vous avec Jean Morin
, délégué général en Algérie. Jean
Morin est installé à Rocher-Noir (aujourd'hui Bou-#####s), siège de
l'administration
; Alger est en effet considéré comme « peu sûr ».
Rocher-Noir ne l'est guère davantage. Morin sent
sa police commencer à lui échapper, noyautée par l'OAS. Il écoute ses
interlocuteurs et donne son accord « pour un essai d'un mois dans les départements
d'Alger et d'Orléansville ». André Goulay a la responsabilité d'un
service Action à créer de toute pièce ; Guy Gits est son alter ego
dans l'Orléansvillois. Lucien Bitterlin se charge de diverses tâches,
dont la logistique. L’engeance barbouze a trouvé
ses parrains avant d'être baptisée.
LA MISSION C.
Il urge, pour
contrer l'OAS, de lancer une grande campagne d'affichage. Bitterlin
loue une villa-PC à El-Biar, négocie un parc automobile et commence à
recruter. Un boucher nommé Robert Lavier se présente avec sa 2 CV
utilitaire ; suivent un gardien de la paix, un administrateur civil et
plusieurs représentants de commerce. Neuf mille affiches imprimées en France
par les soins de Jacques Dauer arrivent à El-Biar. Deux thèmes : «
Paix en Algérie par l'autodétermination » et « Ni la valise ni le cercueil
, mais la coopération ». Le MPC est devenu « Mouvement pour la Coopération
».
Quelques jours avant le 13 novembre, date fixée pour la
grande opération affichage, Lucien Bitterlin et André Goulay
prennent l'avion pour Paris ; il y ont un rendez-vous important, dans le
cabinet de Me Lemarchand , situé au
quatrième étage d'un immeuble de la rue François-Miron, dans le Marais.
L'avocat Pierre Lemarchand est un ancien,
lui aussi, des « commandos noirs » d'Algérie, où « s'illustra » Jean-Jacques
Servan-Schreiber , du service d'ordre RPF et des Volontaires de l'Union
française de Me Biaggi. Bitterlin et Goulay font la
connaissance de deux barons du gaullisme de choc : Roger
Frey , ministre de l'Intérieur et son chargé de mission Alexandre
Sanguinetti .
Militant d'extrême droite dans sa jeunesse, ancien des
commandos d'Afrique, grièvement blessé lors des combats de l'île d'Elbe, Sanguinetti
a été un partisan tonitruant de l'Algérie française. Comme Debré,
il s'est renié pour des raisons
d'opportunité très personnelles. Le cerveau du plan anti-OAS, c'est lui.
Ce plan - Mission C - très offensif, est à
double fond. Il comporte dans sa partie officielle l'envoi de deux cents
fonctionnaires de police aux ordres de Michel Hacq, directeur de la
Police judiciaire à la Sûreté nationale ; commissaires et inspecteurs sont
des volontaires sollicités, stimulés par la promesse de promotions et de
primes.
CARTE BLANCHE
AUX BARBOUZES
Volet numéro 2 de ce plan : la formation rapide et
l'envoi, notamment à Alger, d'une police très spéciale, sous la
responsabilité de Me Pierre Lemarchand
et de Dominique Ponchardier , ancien des
services spéciaux et auteur à succès de romans d'espionnage. Son personnage
principal : le Gorille.
Nommé le 26 novembre 1961 à la tête de l'ensemble de la Mission
C, Michel Hacq s'envole pour Alger. A ses côtés : Jacques Dauer
et l'ancien champion de tennis Robert Abdesselam, devenu député.
A un rang devant eux, Lucien Bodard , l'as
des reporters, capte le maximum de bribes de la conversation des trois hommes.
Ce n'est pas tout à fait un hasard si Bodard est dans Avion. Un rédacteur
en chef de France-Soir a eu vent de la « Mission C » et a demandé au
journaliste de reporter un congé en Corse pour aller aux renseignements.
Les trois hommes parlent
naturellement de la nouvelle stratégie à adopter contre les gens de l'OAS :
la guerre secrète à outrance ; pour décapiter l'organisation, il faut
capturer le Général Salan , les colonels Gardes et Godard ,
le lieutenant Degueldre et Jean-Jacques Susini ; et, dans un premier temps,
recueillir le maximum d'informations sur eux.
Le soir même, dans sa chambre de l'Aletti, Lucien Bodard tape à la machine
le « papier » nourri et construit dans l'avion, où apparaît le mot «
barbouze », emprunté à l'écrivain Ponchardier.
En voici quelques passages :
« La force de choc sera indépendante ; les nouvelles formations
anti-OAS ne feront partie d'aucune hiérarchie classique. Ce seront des
organismes autonomes, sans sujétion à l’égard des autorités normales,
agissant par leurs propres moyens et ne dépendant que des instances les plus
hautes. Ils agissent largement en dehors de l'armée et de la police.
»
Emporté par son lyrisme bien connu, Bodard écrit
aussi :
« Cette force sera surtout composée de
"nouveaux". Tous les as de l'espionnage, du contre-espionnage, de la
guerre subversive disponibles en France vont être envoyés en Algérie. Ce
sont des gens sûrs, aux origines les plus diverses...»
« Aux origines les plus diverses » est tout à
fait exact. Mais le reste du paragraphe l'est moins. Les barbouzes ne viennent
pas de la « Piscine » du boulevard Mortier ; ils ne feront pas
un métier de seigneurs. Comme dira Me Tixier-Vignancour au procès du
général Salan :
« On a fait l'amalgame entre la
police régulière et une police irrégulière et supplétive, composée de bandits,
de tortionnaires et de condamnés de droit commun. »
Et, comme a écrit Constantin Melnik, alors chargé
de la coordination des services spéciaux à Matignon, dans ses souvenirs :
«... Ces demi-soldes du gaullisme... laissant dans leur sillage
tout ce que j'apprenais sur leurs éventuelles condamnations pour rixes,
coups et blessures, voire proxénétisme... »
Ce qui n'empêchera nullement Constantin Melnik d'assurer la
transmission des ordres et des comptes rendus entre le Premier ministre Michel
Debré et Michal Hacq autres agents de
liaison : Alexandre Sanguinetti
(Intérieur M. Frey ), le colonel
Laurent (2e Bureau), M. de Rochefort (le Rocher Noir). Michel
Hacq dirigera la Mission C de Paris ; quand il viendra à Alger, pour
inspecter ses fonctionnaires casernés à l'Ecole de Police d'Hussein-Dey,
sous la protection des gendarmes mobiles, ce sera sous un faux nom : «
Professeur Hermelin ». Policiers et barbouzes bénéficient du soutien de
la Sécurité militaire. Entre Michel Hacq et les barbouzes, la liaison
est assurée par l'inspecteur René Chazotte , petit, sec, à
l'accent de Perpignan ; surnom « Hernandez».
L'ARGENT SALE DE
JEAN MORIN
Chargé du nerf de la guerre, Bitterlin reçoit
de Jean Morin trente, millions, pour commencer. Les besoins d'argent
sont considérables. Le recrutement bat son plein. Dominique Ponchardier,
puisant dans ses relations, envoie le gros de la troupe. Jacques Dauer,
toujours actif malgré ses réticences et scrupules, offre à Bitterlin
quelques recrues de choix : Pierre Lecerf, ancien de Corée, ami de Goulay
; Mario Lobianco, ancien des Brigades internationales et, hélas,
de la Légion ; Gérard Maugueret, parachutiste de 23 ans, expert en
explosifs ; Michel Dirand, ex-commando de l'Air ; Gaston Quetel,
chargé de surveiller Bitterlin...
Le département Finances des barbouzes est tenu par Jean
Dubuquoy et Louis Dufour. Les deux comptables gèrent les fonds,
paient les soldes, règlent les loyers des villas.
Il y a entre autres le PC d'El-Biar, la villa Andréa,
du nom de son propriétaire, très Algérie française ; de style mauresque,
à un étage, on l'appelait aussi « la maison du bonheur » (dar es
Saada) ; ce sera la maison de l'enfer., Plus tard,
beaucoup plus tard, en 1968, lorsque les cris des. torturés se seront, tus
depuis longtemps, des fouilles mettront au jour une ,douzaine de corps de
Deltas ou d'Européens capturés puis torturés. Il y avait aussi la villa B,
rue Faidherbe, impasse donnant sur le chemin Raynaud, d'autres encore...
SECURITÉ
MILITAIRE ET BAS-FONDS
Le ministère de l'Intérieur est bien placé pour
recruter: il a sous la main, via l'administration pénitentiaire, tous les détenus
« intéressants ». En, 1961, un certain Raymond Meunier, dit « Raymond-la-Science
», condamné pour vol à main armée, est libéré avec mission d'infiltrer
les milieux OAS. Il travaillera surtout en métropole. Selon Leroy-Finville,
chef de service du SDECE, qui le connaît pour l'avoir utilisé, c'est « le
summum de la belle brute ; un colosse adipeux, difforme et flasque, une voix
grasseyante aux intonations vulgaires... ».
Raymond-la-Science crée de faux réseaux OAS qui
organisent des attentats à l'explosif. Comme il renseigne également l'OAS,
il reste actif et dangereux longtemps.
La Sécurité militaire n'est pas plus « regardante
» que la police. Sa recrue-phare est un certain Jean Augé, un second
couteau de la Résistance devenu sans transition un caïd du milieu lyonnais.
« Petit-Jeannot » reçoit l'ordre d'abattre à Alger deux agents du
SDECE accusés de « trahison ». Plus tard, en 1965, le colonel André
devra reconnaître avoir utilisé le savoir-faire d'Augé « en
diverses circonstances », sans plus de détails. Augé est mort le 15
juin 1973, abattu au cours d'un règlement de comptes de nature
indéterminée.
Pierre Lemarchand,
dont la femme s'occupe des problèmes
administratifs - formalités diverses, enquêtes discrètes sur
certaines recrues, billets d'avion, transports - a recruté un judoka de haut
niveau, propriétaire d'une salle -située du côté de la République à
Paris : Jim Alcheik, et huit de ses meilleurs élèves. L'adjoint de Jim,
Roger Bui-Thé est un expert en combat rapproché qui se révélera tueur
cruel et sanguinaire. Parmi les élèves, il y a quatre Vietnamiens dont la présence
incongrue fera instantanément repérer la troupe dès son arrivée à Alger.
Très vite, le MPC dispose de cinquante permanents, sans
compter les chauffeurs et gardes du corps algériens fournis par le cheikh Zekiri,
avec ou sans l'accord officiel du FLN.
Pour saluer à sa façon l'arrivée de l'ennemi nouveau,
l'OAS abat en pleine rue, à Orléansville, Bovis, adjoint de Guy
Gits. Riposte immédiate des barbouzes, destinée à frapper l'opinion
européenne. Un soir, cinq commandos en voiture font sauter l'Otomatic,
le Tantonville et le Cheval Blanc ; quelques jours plus tard, le
Joinville, le Coq Hardi et le Viaduc sautent à leur
tour. Dégâts considérables, surtout sur le plan psychologique. Tous ces établissements
étaient des fiefs « intouchables » de l'OAS.
Degueldre relève le défi. Il lui faut peu de
jours pour identifier un certain Dulac, qui habite une villa rue Séverine
et circule dans Alger et sa banlieue dans une Mercédès conduite par Goulay.
Photographies faisant foi, Dulac n'est autre que Lucien Bitterlin,
le gaulliste à abattre. La Mercédès quitte la villa chaque matin à 8
heures, en marche avant.
Le 6 décembre, deux commandos, chacun à bord d'une
voiture, se postent au bas de la rue afin de prendre la Mercédès sous leurs
feux croisés à sa sortie de l'impasse. A bord du premier véhicule, Jo
Rizza ; au volant de l'autre, Gaby Anglade, l'un des meilleurs
hommes de Degueldre depuis l'arrestation du sergent Albert Dovecar.
Exceptionnellement, la veille au soir, André Goulay
a garé la Mercédès en marche avant. Ce matin-là, Goulay enclenche
la marche arrière et commence à reculer. Dès qu'ils voient apparaître ce
qu'ils pensent être le capot, les Deltas ouvrent le feu à la MAT-49, au
MP-40 et à la Thomson. Quatre chargeurs de vingt-cinq criblent la malle arrière
de la Mercédès. Histoire de fignoler, Rizza dégoupille une MK-2. La
défensive rebondit sur la carrosserie et explose à terre.
Atteint d'une balle ou d'un éclat, Goulay se
couche et éjecte Bitterlin d'une bourrade. Des voisins européens
s'approchent et entourent les blessés, non pour les achever, comme le
supposent un moment les deux intéressés, mais pour les secourir. Goulay
et Bitterlin sont emmenés à l'hôpital Maillot, qu'ils ont préféré
à Mustapha. Goulay y est opéré d'urgence. Bitterlin reçoit
quelques soins puis regagne la villa Séverine, où bientôt une estafette de
la Délégation générale apporte un
billet d'avion à l'intention de Mme Bitterlin, invitée, pour des
raisons de sécurité, à quitter l'Algérie pour la métropole.
Quelques jours plus tard, Lemarchand
rend visite à André Goulay. Prévenue, l'OAS est là, en
nombre, et en armes. Des rafales crépitent dans la cour de l'hôpital.
L'avocat et ses gardes du corps se réfugient dans les bâtiments malgré les
protestations de la direction. Impossible pour les barbouzes de sortir : la
foule, hostile, est massée devant les grilles.
Lemarchand et ses sbires veulent se frayer un passage en force à
l'arme automatique. Le commissaire du quartier les en dissuade et fait appel
aux policiers anti-OAS d'Hussein-Dey pour les tirer d'affaire. Quelques jours
plus tard, André Goulay quitte discrètement Alger pour la France.
BARBOUZES SUR LE
QUI-VIVE
Le 12 décembre, à 21 heures, Bitterlin réunit
ses hommes la villa B, chemin Raynaud. Soudain, un guetteur vietnamien donne
l'alerte : un inconnu rôde dans les parages. L'intrus es aussitôt pris, amené
à l'intérieur, fouillé, délesté de son 6,35 et de son port d'arme. Les
barbouzes déchantent vite : l'homme n'était qu'un promeneur à la conscience
tranquille. La Sécurité militaire demande à Bitterlin de relâcher
au plus vite le passant. Peu après, deux démineurs de la police officielle
se retrouvent eux aussi dans la nasse, braqués par les occupants décidément
bien nerveux. La Sécurité militaire intervient de nouveau ; et ce n'est pas
fini.
Quelque part en Europe, le colonel Argoud lit
avec intérêt la nouvelle de sa propre arrestation. Un «canard » qui
deviendra malheureusement vrai à Munich. Du fait de barbouzes...
Le 13, nouvelles alarmes dans la villa B. Un Européen
qui semble un peu trop curieux est happé sans ménagements à l'intérieur.
Un agent de Bitterlin, un musulman nommé ou surnommé Nasser,
croit reconnaître le passant; il dit à Bitterlin :
- C'est un technicien de la SN Repal et de l'OAS. Il doit connaître ceux qui
ont tiré sur vous l'autre jour.
Appelé par Bitterlin, qui ne tient pas à
commettre une nouvelle méprise, le colonel Laurent ordonne de « faire
parler » le prisonnier. Trop heureux, Jim Alcheik et ses Vietnamiens
se mettent au travail . Torturé, l'homme finit par donner les noms de deux
collègues partisans de l'OAS. Le lendemain, deux barbouzes partent en expédition
et ramènent les deux techniciens du pétrole. « Traités » par les
bourreaux, ils passent aux « aveux ». Déception : ils ne savent
manifestement pas grand-chose, n'étant dans l'organisation secrète que des
sous-ordres.
LA COLÈRE
DES PÉTROLIERS
Pendant ce temps, on s'agite beaucoup à la SN Repal et
par ricochet à Hassi-Messaoud. La disparition des trois techniciens est
justement attribuée aux barbouzes. L'ensemble du personnel, de haut en bas,
menace de se mettre en grève si les camarades ne sont pas immédiatement relâchés.,
On alerte, la Délégation générale
de Rocher-Noir. Jean Morin
tremble pour son poste. Une grève diminuerait la production de pétrole; le
gouvernement ordonnerait une enquête, qui remonterait jusqu'aux barbouzes,
ces barbouzes qui n'existent officiellement pas... Deux jours plus tard, sur
intervention personnelle de Jean Morin,
les trois techniciens libérés retrouvent leurs postes de travail à la SN
Repal. On leur a fait promettre de ne raconter à quiconque les traitements
subis, mais ils parlent quand même.
Leur récit arrive aux oreilles de Degueldre, qui
réagit immédiatement : il faut détruire les barbouzes dans leurs terriers.
En effet, la situation devient préoccupante. Assassinats, enlèvements et
explosions font souffler un vent de folie sur Alger. On fouille des passants
pour un oui ou un non, les nerfs sont à vif ; quelquefois, c'est un comble,
les gens de l'OAS sont pris pour des barbouzes. Il faut en finir.
BATAILLE DE RUE
L'opération est bien préparée. Degueldre ne
laisse rien au hasard. Pendant huit jours, d'une planque sûre - l'appartement
d'un officier de la Coloniale en retraite -, les Deltas surveillent la villa
B, rue Raynaud. Ils prennent notes et photos, dessinent des plans. Lorsque Degueldre
en sait assez, il fixe la date et l'heure : ce sera le 31 décembre, juste
avant le couvre-feu.
Ce soir-là, une 403 verte s'arrête à l'entrée d'un
immeuble en construction, face au repaire barbouze. Le fameux Jo Rizza
aide le pivot de l'opération, Marcel Ligier, à sortir de la voiture
un matériel choisi. Spécialiste du tir au bazooka et au mortier, expert en
explosifs, Ligier a apporté plusieurs tubes en plastique, un gros sac
de roquettes, une batterie et du fil électrique. Progressant dans les gravats,
Rizza et lui montent le tout au sixième.
Là, on assemble. Les roquettes sont introduites dans les tubes reliés entre
eux, un quatrième devant servir de viseur. Un fil relié au dispositif tombe
le long de la façade jusqu'au sol, où attend la batterie, à laquelle on
branchera le fil au moment M.
M -30 : les hommes des commandos Rizza et Anglade
se déploient en tirailleurs face au repaire.
M -10 : au volant d'une 2 CV,qui descend
lentement le boulevard Galliéni, Nicole Gardy ; à ses côtés, Roger
Degueldre.
A M -23 h 15 -, Marcel Ligier fait tonner
ses tubes.
Couverts par le tir ininterrompu de l'as du FM, Anglade, qui arrose la
façade sans désemparer, les commandos sortent d'un jardin qui leur servait
d'abri et donnent l'assaut, mitraillette à la hanche.
Sous l'impact des roquettes, des pans de murs s'écroulent. Cachés comme ils
peuvent dans les ruines de la villa, les assiégés, surpris, s'organisent et
rendent tir sur tir.
M + 5 : Degueldre donne un coup de sifflet
bref et strident. C'est le signal convenu du repli ; les forces de l'ordre
vont arriver. Dès que les véhicules Delta ont disparu, police et gendarmerie
surgissent. Croyant voir arriver des renforts OAS, les barbouzes tirent dessus.
La méprise coûte la vie à un brigadier.
Deux heures plus tard, Pierre
Lemarchand, qui vient d'arriver de Paris, se présente à la villa
; il va passer la nuit à aider Lucien Bitterlin à panser les plaies
des blessés ; selon les barbouzes, il n'y aurait aucun mort ; le lendemain
matin, l'OAS en annonce quatorze, « homologués ».
Le lendemain matin aussi, un « passant »
s'approche du repaire. Un coup de feu claque. L'homme est touché aux reins
mais trouve la force de battre en retraite ; il meurt un peu plus loin, vidé
de son sang. C'est le capitaine Massenet, responsable OAS pour la région
Orléans-Marine. Sa présence était-elle fortuite ou
venait-il aux nouvelles ?
Il existe une autre version : Massenet aurait été
tué d'une manchette par Jim Alcheik ou l'un de ses Vietnamiens.
MORTS EN VRAC
Dans la journée, avec l'aide de la Sécurité militaire
décidément aux petits soins pour les, tueurs, Lemarchand
et, Bitterlin procèdent au déménagement de leurs hommes. On quitte
la villa B pour la villa A d'El-Biar ; la villa Andréa,
«la maison du bonheur ».
Là, Lemarchand fait
un compte rendu morose de son aller-retour
en métropole. A Paris, on est très mécontent
des barbouzes. On préférerait en haut lieu
moins de bruit et plus de résultats ; on réclame des arrestations ou des assassinats
spectaculaires de gros bonnets. Plus
d'efficacité, sinon... Il y a de la
menace dans l'air ; pour tout le monde. Peut-être même, en haut
lieu, la fin des barbouzes, devenues nuisibles,
est-elle décidée.
Le 29 janvier 1962, des déménageurs de Bedel &
Cie livrent deux caisses lourdes et volumineuses - deux cent soixante-deux
kilos - à l'heure dite. La cargaison, très attendue, est accueillie avec
joie il s'agit de tout un matériel de composition et d'impression on va
pouvoir enfin fabriquer tracts et affiches sans sous-traiter. Mais que fait la
douane ? En principe, elle doit assister à l'ouverture des caisses. On attend
un peu ; le temps passe puis s'arrête. Jim Alcheik n'y tient plus.
Impatient de devenir éditeur à part entière, il porte le fer entre deux
planches de sapin et imprime un délicat mouvement de bas en haut...
Enorme explosion ; champignon de fumée au-dessus des
hauts d'Alger. Quatre-vingt-dix kilos d'explosifs - 30 de plastic, 10 de TNT,
30 de N 17, 20 de dynamite gomme - plus quelques grenades défensives pour
fignoler le travail dans les coins, ont fait sauter la villa Andréa,
qui retombe en pluie sur une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf,
dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit,
dix-neuf barbouzes calcinées.
Parmi les rares survivants, trois prisonniers, dont deux membres de l'OAS, qui
ont été torturés et que l'arrivée de l'imprimerie a sauvés de justesse.
Il s'agit probablement de Henri Vincent , aide-radio, d'Alexandre
Tislenkoff , responsable ses émissions-Pirates de l'OAS, et d'un chef
de chantier nommé Jacques Gosselin .
Qui, à Marseille ou ailleurs, a piégé les caisses ?
L'Organisation de l'Armée secrète ? Le SDECE ? Probablement les deux, l'un
aidant l'autre et réciproquement. C'est que les barbouzes sont devenues
diablement gênantes pour le gaullisme et ses leçons de vertu dispensées de
haut, urbi et orbi : les liens et accords de la troupe avec le FLN, de plus en
plus concrets, sont jugés voyants et prématurés.
Rassuré par la détermination de Lemarchand,
que la haine semble aveugler, Bitterlin reloge ses troupes à l'hôtel
Radjah, propriété du Bachaga Bouabdallah. Ponchardier vient y
pendre la crémaillère, porteur d'une bonne nouvelle ; les renforts arrivent.
Il s'agit d'un certain nombre de truands de Marseille et d'ailleurs.
Ils retrouvent à l'hôtel Radjah un certain Christian
David , tortionnaire de Tislenkoff , et qui assassinera quelques
années plus tard le commissaire Galibert.
Tout ce beau linge va vivre en état de siège : dès le lendemain de
l'installation, qui n'est pas passée inaperçue, un commando Delta de quatre
hommes mitraille le nouveau repaire. Les barbouzes ripostent : quatre
Deltas sont abattus.
Quelques heures plus tard, Roger Degueldre vient
en personne, en force, avec half-tracks, lance-roquettes et mitrailleuses. Dégâts
importants. Au même moment, aux abords de l'hôpital Maillot, quatre
barbouzes venues récupérer l'un des leurs, blessé, sont prises sous le feu
de Deltas du quartier. Leur véhicule s'écrase contre un mur. La foule
accourue y met le feu. Le commando achève les barbouzes au
pistolet-mitrailleur.
LEUR DERNIER
ASSASSINAT
Le « Gorille»
au naturel. Ponchardier dicte ses oeuvres complètes.
Les truands de Ponchardier et Lemarchand
se terrent. Au cours d'une de leurs rares sorties, ils commettent un dernier
crime : ils enlèvent l'ingénieur Petitjean
, soupçonné à tort d'appartenance à l'OAS, le torturent,
l'abattent d'une balle dans la tête et abandonnent son corps dans un fossé.
Reconnu peu après par des témoins, arrêté, l'un
des assassins est relâché par le procureur de la République, à cause d'une
simple erreur de nom.
Mais la réprobation est totale, l'opprobre général.
Les barbouzes ont versé trop de sang français, torturé trop d'innocents
commis trop de crimes aveugles. Le 7 mars, on les rapatrie aussi discrètement
que possible sur ordre de Roger Frey.
Avec autant de discrétion et de honte, on a enseveli leurs morts,
notamment ceux d'El-Biar,dans divers cimetières français, au hasard des
places disponibles.A Santeny, par exemple, défense a été faite
par les autorités locales administratives d'autoriser la moindre
reconnaissance de corps.
Voici le père d'un mort qui précise au
maire que son fils faisait partie d'une police spéciale ; on lui oppose
l'interdiction de reconnaissance. Et voici huit
tombes dont six seulement portent un nom, les deux autres - peut-être
des victimes des barbouzes, qui sait ? -
resteront à jamais anonymes. De toute façon, les barbouzes ne constituent
qu'une odieuse invention de l'OAS.
Roger Frey l'a
dit à la tribune de l'Assemblée nationale le 7 février 1962 :
-Il n'existe aucun personnel chargé de la lutte anti-OAS en dehors des cadres
normaux des forces du maintien de l'ordre.
Mieux encore, si c'est possible : Jean Morin et
Michel Debré ont osé proférer le même mensonge en déposant sous
serment
au procès du général Salan , jugé pour avoir refusé de se parjurer.
Jean-Pierre CHAPPUI
COMMENTAIRE de Sévira
Les archives sont une phase incontournable pour que
restent à jamais dans des copies la VÉRITÉ sur
la "TRAGÉDIE ALGÉRIENNE". Pour que NUL ne
puisse prétendre "Qu'il n'était pas au courant !"
Et oui Messieurs et Mesdames, cela c'est passé sur le territoire National,
dans la République Bananière de FRANCE, sous la Houlette du "Généralissime",
Leader MAXIMO de la République Soviétique de France ! France : Dernier Régime
Communiste de la planète, accommodé à la "Sauce Rose-BONBON"
socialiste. Maurice DRUON de l'Académie Française avait raison dans
son livre "LA FRANCE AUX ORDRES D'UN CADAVRE":
Celui du COMMUNISME !
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