JOURNAL
D’UNE MERE DE FAMILLE PIED-NOIR
par Francine DESSAIGNE |
Extrait...
LUNDI 19 FEVRIER 1962
...
C'est une villa de barbouzes qui a été
attaquée à La Redoute. Ces raclures de bas-fonds, couvertes de l'étiquette
de « police parallèle », suscitent l'horreur. La population les vomit et
les détecte vite. C'est la troisième villa qui saute à grand fracas depuis
début janvier. Gangsters patentés, grassement payés, ils concrétisent
tous les vices et toutes les perversions. Personne ne peut se croire à
l'abri de leurs coups. La haine qu'on leur voue est faite de terreur et de dégoût.
Certains sont très jeunes. Un psychiatre aurait de jolies fiches à remplir
sur chacun de ces amateurs de sang et de chair vive. Ils n'ont même pas leur
place dans le monde animal. Les traiter de bêtes serait faire injure à
toutes celles qui évitent instinctivement un corps couché sur leur chemin.
Mais que dire de ceux qui les paient, les
encouragent et les utilisent !...
mardi 20 février 1962. — Hier à
midi, un commando O.A.S. a tiré sur une voiture qui sortait de l'hôpital
Maillot. Il y avait quatre barbouzes. La voiture a pris feu, au milieu de la
rue, devant la foule qui se presse à cette heure sur les trottoirs. Un cercle
s'est formé. On a regardé se consumer le véhicule et ses occupants, dont
certains n'étaient que blessés. Puis les gens sont rentrés chez eux.
L'horreur appelle l'horreur. Je n'arrive pas
à décrire autrement cette scène atroce,
à moins de
faire du Grand Guignol et cela m'est impossible. Je pense à cette foule qui souffre
trop pour savoir encore ce qu'est la pitié. Ces matrones en cheveux, cet employé de bureau, la jeune dactylo
pimpante comme on l'est à vingt ans, tout ce qui forme « la population » a regardé
l'horrible mort sans sourciller.
Je n'ose pas écrire avec joie et, c'est pourtant cela. Une joie tragique, une
joie démoniaque, pire encore peut-être : le sentiment d'une besogne d'assainissement.
Qui
n'a jamais dans sa vie tué des rats ou brûlé des scorpions ?
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