PAUL ET ANGÈLE
20 ANS - TORTURÉS A MORT
Par les tortionnaires
sous les ordres de BITTERLIN
(Les barbouzes n'ont jamais existé
!)
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EXTRAIT
du roman de CAMILLE GILLES
JÉSUS ET CES APOTRES
Editions JUILLIARD
8, rue Garanciere Paris
Paul Sintès et Angèle Leoni
Assassinés par les barbouzes de Lucien
Bitterlin
après avoir été enlevés,
torturés et Angèle violée
P201 - 205
……
……
Du 24 décembre au 2 janvier, la promesse de ne
pas avoir recours à l'attentat fut respectée par le FLN et l'OAS.
Quant aux barbouzes, Jim Alcheik dit : «
En temps de guerre, il n'y a pas plus de Jésus-Christ que de Mohamed qui
tienne. La guerre c'est la guerre. »
Le 24 décembre au soir, quatre Vietnamiens
enlevaient, square Bresson, Paul Sintès, le fils du patron du Café
des Consulats.
Une petite pluie fine tombait sur Alger.
Abrités sous leur parapluie, les pieds-noirs se pressaient aux arrêts de
tramways pour
rentrer chez eux fêter Noël.
Square Bresson, le square des yaouleds, Paul
Sintès et sa fiancée Angèle viennent de quitter la brasserie du Tontonville
où ils étaient venus souhaiter un joyeux réveillon à leur ami, le chef
d'orchestre Martial Ayella. Ensemble ils avaient bu l'anisette et
mangé un peu de kémia. Martial avait promis à Paul qu'après
le bal qu'il animait dans la salle des étudiants, boulevard Baudin, à côté
du commissariat central, il viendrait terminer la soirée au Café des
Consulats.
Avant de partir, se penchant à l'oreille de
son cousin, il lui dit :
« Est-ce qu'il y aura
Jésus ? »
« Je
pense », avait répondu Paul, puisque c'est la trêve ! Paul
releva le col de sa gabardine et Angèle ouvrit son parapluie.
« Oh là ! T'es pas folle », lui dit Martial.
« Jamais un parapluie ouvert, ni dans une maison ni dans un lieu public. Ça
porte malheur ».
« Allez va ! Toi aussi maintenant tu es
superstitieux ? »
Le couple était arrivé devant la voiture. Paul
fouillait ses poches à la recherche de la clé. Une DS s'arrêta à sa
hauteur ; quatre Vietnamiens, mitraillette à la main, sortirent et
obligèrent Paul et Angèle à monter avec eux. Puis, la DS démarra
sur les chapeaux de roues.
André Forliani
venait d'arriver chez lui quand il reçut un coup de téléphone de la
permanence du commissariat central. Il était cinq heures du matin. Le
commissaire venait de faire la nuit, il était fatigué et n'aspirait qu'à
aller dormir. Il laissa la sonnerie se répercuter dans l'appartement, bien
décidé à ne pas répondre. Puis, pris d'un soudain pressentiment, il
décrocha.
Excusez-moi de vous déranger, patron,
c'est Sanchez de la première brigade mobile, voilà chef, je vous
téléphone parce
que nous venons d'avoir un télégramme de la gendarmerie de Koléa, au
sujet de Paul Sintès et d'Angèle Léoni. Les gendarmes
ont retrouvé leurs corps sur la plage de Castiglione. Il faut prévenir les
parents et comme je sais que vous n'habitez pas loin et que vous les
connaissez bien, j'ai pensé que... enfin vous comprenez monsieur le
commissaire.., les petits, ils ont été plutôt malmenés. Déjà, André
Forliani n’écoutait plus. Il raccrocha, en murmurant :
« Pauvres petits, pauvres gosses. »
II appela Jacques le Majeur pour lui
faire part de la mauvaise nouvelle :
« II faut prévenir le père Sintès, ensuite, je passerai te chercher.
Nous l'accompagnerons tous les deux à la gendarmerie de Koléa où les corps
ont été transportés ».
« Mais André, je n'ai pas de
laissez-passer ».
« J’en apporte un pour toi et pour le vieux Sintès
Une heure plus tard, la vieille Panhard du
commissaire Forliani stoppait devant la gendarmerie de Koléa.
Un brigadier de permanence, après avoir regardé les papiers du commissaire,
voulut bien les laisser entrer. Il alla réveiller deux gendarmes.
« C'est un OP d'Alger, avec le père du gosse
qu'on a ramené cette nuit, il faut les accompagner jusqu'à la morgue ».
M. Sintès ne sentait même plus la
pluie glaciale fouetter son visage, elle se mélangeait aux larmes. Il
marchait le dos courbé, soutenu par Jacques le Majeur et le
commissaire Forliani. Depuis qu'ils avaient quitté Bab-el-Oued, le
vieil homme n'avait pas dit un mot, il gardait sa peine pour lui seul, ne
voulant la partager avec quiconque. Cette peine était la sienne.
L'hôpital se trouvait à une centaine de
mètres de la gendarmerie nationale. Le brigadier frappa à la porte des
admissions, un employé en blouse blanche vint lui ouvrir ; les deux hommes
se serrèrent la main et le brigadier lui fit part du but de cette visite.
La morgue était au bout d'un long bâtiment,
leurs pas résonnaient sous la grande voûte de l'ancien monastère
transformé en hôpital. Ils arrivèrent devant une porte de bois brut et
entrèrent.
Une lumière jaune éclairait une salle aux
murs ripolinés de blanc, une forte odeur de formol se dégageait. Du doigt,
l'employé désigna deux blocs de ciment recouverts d'une toile plastifiée,
« Ils sont là » , dit-il.
André Forliani s'approcha
et releva la toile. Le vieux Sintès étouffa un cri qui se répercuta
dans la salle, comme celui d'une bête qui se meurt. Doucement, il posa la
main sur le corps de son fils, puis il s'écroula.
Le visage de Paul Sintès était
méconnaissable, la bouche n'était qu'un immense trou béant, une partie de
son corps avait été dévoré par les crevettes. Ses mains n'étaient plus
que deux moignons.
Jacques le Majeur,
très pâle, murmura :
« Je ne le reconnais pas ».
« Vous savez ,
dit le gendarme,
après plus de quarante-huit heures dans l'eau... » Puis il
ajouta : « Les
pauvres gosses, ils ont sûrement été torturés avant d'être abattus ; vous
voyez, dit-il en désignant la nuque de Paul,
la balle est entrée ici et elle est sortie par la bouche. Du gros calibre
monsieur, et la petite, c'est pareil. Mais elle, d'après le médecin légiste,
a été violée et empalée ; de plus, elle a eu les ongles
arrachés et la pointe des seins coupée au rasoir... »
André Forliani
signa le procès-verbal, reconnaissant qu'il s'agissait bien de Paul
Sintès et d'Angèle Léoni.
Ils avaient tous deux vingt ans.
En cette fin d'année 1961, le petit peuple de
Bab-el-Oued ne fêta pas la Saint-Sylvestre.
Tandis que rue Michelet, et dans les
beaux quartiers d'Alger, les pieds-noirs s'accordaient quelques jours de
trêve, tentaient d'oublier qu'ici il y avait la guerre, que la mort rôdait
partout. Bab-el-Oued était en deuil, Bab-el-Oued pleurait Paul Sintès et
Angèle Léoni.
Le jour de l'enterrement, ils étaient tous là,
Jésus et ses apôtres en tête du cortège, brassard OAS autour du bras.
Sur le passage, les militaires détournaient le
regard, et les policiers « locaux » faisaient de même.
Paul et
Angèle furent inhumés sous la même dalle de granit blanc, surmontée
d'un christ de bronze.
Et une fois de plus, après l'enterrement, le
petit peuple de Bab-el-Oued
cria vengeance.
Le lendemain, 1er
janvier 1961, les Algérois accueillirent le dicours du général De Gaulle,
qui s'adressait aux Français sur les ondes de la télévision et de la radio,
par un concert de casseroles.
L'OAS avait promis aux pieds-noirs une
véritable « nuit de la strounga ». Elle ne manqua pas à sa parole.
La téléspeakerine de France V, l'émetteur
d'Algérie, venait à
peine d'annoncer : « Monsieur le président de la République, le
général De Gaulle s'adresse aux Français », que la première
explosion de plastic retentit dans la ville.
Puis, pendant plus d'une heure, tout Alger fut
illuminé, comme pour un 14 Juillet, par les explosions.
Chemin Raynaud, au golf, Lucien
Bitterlin était venu présenter ses vœux de bonne année à ses amis.
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Camille Gilles
Né à Alger en 1931
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