Extrait du
livre LAMIA – des éditions de l’HOMME, de THYRAUD de
VOSJOLI Philippe, agent du SDECE.
Avant de quitter l'hôtel Matignon, je me rendis dans le bureau d'un
certain Jacques Foccart, qui avait téléphoné à plusieurs de mes
amis pour leur dire qu'il désirait me voir.
Je ne le connaissais pas plus que Pompidou.
On m'avait seulement dit qu'il avait appartenu au Service «Action»
du SDECE et que de Gaulle l'avait présentement chargé des problèmes
de Renseignements. Son bureau se trouvait au rez-de-chaussée, à gauche
de l'entrée, et donnait sur les jardins.
A chaque coin de la pièce, il y avait un bureau occupé par un jeune
homme affairé.
Le bureau de Jacques Foccart était
différent des autres, en ce sens qu'à sa droite il y avait, comme dans
un poste de police, un impressionnant standard téléphonique. De temps en
temps, une lumière s'allumait et, soulevant le récepteur, Foccart
écoutait silencieusement tout en prenant des notes. J'avais la désagréable
impression qu'il écoutait purement et simplement des conversations qui ne
lui étaient pas destinées.
Contrairement à Pompidou, il était
rude et se comportait comme un sous-officier rengagé.
Il ne paraissait s'intéresser qu'à une seule chose: la façon dont
travaillait la CIA, et il me posa d'innombrables questions à ce sujet. Il
me dit que de Gaulle l'avait chargé de réorganiser le SDECE et il
me pria de préparer pour lui un diagramme montrant l'organisation du
Service américain de Renseignements. Insistant sur l'urgence, il me
demanda de lui fournir cette information dans les quarante-huit heures.
Deux jours plus tard, je lui remis un
rapport hâtivement écrit sur la conception américaine du Renseignement.
Il le parcourut rapidement et se déclara surpris de ce qu'aucun service
du genre d’ « action » n’y figurait.
«Mais comment les Américains se débarrassent-ils
des gens? » me demanda-t-il.
Je lui répondis qu'à ma connaissance, l'assassinat n'était pas une
pratique courante aux Etats-Unis.
Il me regarda étonné, et me demanda mon adresse personnelle afin de
pouvoir prendre contact directement avec moi sans passer par les voies
officielles.
Puis, revenant sur le même sujet, il
insista: «Mais il doit y avoir une
section spéciale chargée d'éliminer certains individus. Essayez de le
savoir et
d'avoir des détails. Je voudrais savoir aussi s'il y a un moyen d'entrer
en contact avec la mafia.
Les services de quelques tueurs peuvent être
utiles, parfois. »
Je n'ai jamais revu Jacques Foccart,
ni ne lui ai écrit. J'avais compris que, pour ceux qui étaient au
pouvoir, le Renseignement avait été relégué à l'arrière-plan.
L'ère de l'assassinat politique avait,
maintenant, commencé.
Les prochaines pages sont confidentielles
et réservées à la Justice comme
pièces à conviction d’une importance capitale. dans la culpabilité de
Charlot
et sa bande d’assassins.
A partir de cette date les assassinats
et les suicidés vont faire légions.
L'ordre de « liquider» un individu
venait soit du Premier minister, soit d'un membre de son cabinet.
L'entourage direct de de Gaulle s'intéressait peu aux actions
militaires visant à gagner la guerre en Algérie, mais exigeait d'être
tenu au courant des opérations spéciales.
Les décisions du Premier ministre Michel
Debré étaient communiquées à « Action », qui avait la
responsabilité complète des opérations.
Les tueurs utilisaient non seulement des
mitraillettes ou des couteaux, mais aussi des méthodes plus compliquées
qui avaient été mises au point. Des fusils au bioxyde de carbone lançant
de petites seringues avaient été achetés aux Etats-Unis, où ils étaient
utilisés pour capturer des animaux vivants; mais les gens du SDECE
substituaient un poison mortel au tranquillisant. La victime présentait
tous les symptômes d'une crise cardiaque. Cette méthode presque parfaite
n'offrait qu'un seul inconvénient: il fallait un complice sur le lieu de
l'accident - prétendant porter secours à la victime, mais s'occupant, en
fait, d'enlever la pièce à conviction,
c'est-à-dire la seringue et son aiguille. Au début, on essaya divers
poisons qui donnèrent des résultats plus ou moins satisfaisants; mais,
par la suite, « Action » fournit un produit qui ne laissait
aucune trace dans le corps
de la victime.
On avait également perfectionné des
bombes magnétiques destinées à des usages bien précis.
Un engin destiné à détruire une
automobile différait d'une bombe à planter dans un avion, et l'on fit
des études pour déterminer l'endroit exact où l'explosif produirait le
maximum d'effets.
On détermina les meilleures méthodes pour
saboter un avion ou une automobile de manière qu'il fût
impossible de découvrir la cause réelle de l'« accident ».(par
exemple l’avion du Général Leclerc ?)
« Action » groupait des officiers
de carrière, des officiers de réserve et des sous-officiers.
Une unité était stationnée à Toulouse,
l'autre à Perpignan. Les membres étaient entraînés au combat corps à
corps, mais, sauf de rares exceptions, l'idée de tuer un homme non armé
leur répugnait. Pour éviter des difficultés, « Action »
entreprit de recruter des volontaires pour ce travail spécial parmi les
Français d'Afrique du Nord dont les familles avaient été maltraitées
ou
torturées par les Arabes.
Mais l'expérience démontra que ces hommes
étaient trop émotifs. Aussi, «Action» dut se résoudre à
engager pour ces opérations spéciales des repris de justice, des proxénètes
ou d'anciens membres des forces de police du Maroc et de Tunisie que
l'indépendance de ces deux pays avait réduits au chômage. Ces hommes
subissaient un entraînement complet en Afrique du Nord ou dans certains
endroits isolés en France. Ils étaient bien payés et assurés d'une
certaine immunité. Il est difficile de donner le nombre exact des gens exécutés
par la Main Rouge.
En Allemagne, en Belgique et en Suisse,
beaucoup de ces meurtres furent classés comme « morts naturelles.
Seuls les assassinats auxquels on voulait
donner valeur d’exemple étaient arrangés de manière à impliquer la
Main-Rouge et recevaient ainsi un maximum de publicité. C’était le cas
lorsqu’il s’agissait de trafiquants d’armes.
Aux Etats-Unis, l'«Association Nationale
pour le Soutien de l'Action du général de Gaulle» éprouvait, donc, des
difficultés à recruter des membres. Mais il en allait tout autrement en
France. Appartenir à l'association signifiait des promotions rapides dans
l'administration, ou l'obtention de contrats du gouvernement. Les jeunes
gens désireux de soutenir de Gaulle en
retiraient non seulement des avantages matériels, mais ils trouvaient là
une occasion de dépenser leur excès d'énergie. Les mieux qualifiés étaient
invités à suivre l'entraînement spécial «Action» du SDECE,
qui comprenait des sauts en parachute, la manipulation d'explosifs et leur
utilisation pour des sabotages, et enfin les méthodes à appliquer pour
se débarrasser d'un adversaire. En d'autres termes, ces jeunes gens
devenaient des guérilleros expérimentés ou de parfaits gangsters. On
les organisait alors en unités prêtes à maintenir de Gaulle au pouvoir,
en recourant, s'il le fallait à l'action armée clandestine. Ces unités
portaient différents noms, le plus
connu étant le SAC ou Service pour l'Action Civique. Jacques
Foccart, qui avait suivi l'entraînement « Action »,
dirigeait par personnes interposées ces équipes de Gaullistes
fanatiques. Il connaissait les plans de de Gaulle pour l'avenir
de l'Algérie, et il savait qu'un jour ou l'autre il deviendrait nécessaire
de faire appel à ces groupes Foccart était au service de de Gaulle,
en qualité de secrétaire général
pour la Communauté, un poste créé spécialement pour lui. La Communauté
Française groupait toutes les anciennes colonies françaises d'Afrique
auxquelles de Gaulle avait accordé l'indépendance en 1958.
Pour tenir étroitement à l’œil ces
gouvernements des pays nouvellement indépendants, Foccart avait eu
l'idée simple, mais habile, de convaincre les nouveaux chefs d'Etat de la
nécessité d'avoir leur propre Service de Renseignements pour surveiller
les activités de leurs adversaires politiques.
La France fournissait les fonds et le matériel
nécessaires. Naturellement, il fallait aussi des spécialistes du
Renseignement, pour donner directives et avis aux nouveaux Présidents.
Des amis de Foccart furent alors placés, à un titre ou un autre,
auprès de chaque chef d'Etat africain pour le conseiller en
matière de renseignement et rapporter fidèlement à l'Elysée ce
qui se passait. Ce plan était ingénieux et particulièrement avantageux,
et, chose rare,il fonctionne encore maintenant.
Foccart
avait donc la haute main sur un réseau de Renseignements en Afrique et
sur des groupes organisés de Gaullistes fanatiques. De plus,
faisant la liaison entre le général de Gaulle et le SDECE, il
exerçait virtuellement la direction de celui-ci.
En 1960, plusieurs territoires africains
causèrent du souci au gouvernement français.
La Guinée, sous l'autorité de Sékou Touré,
avait refusé d'entrer dans la Communauté.
Quant au Cameroun, son gouvernement qui
avait l'appui de de Gaulle courait grand risque d'être renversé
par le chef extrémiste Félix Moumié. L' «Action» du
SDECE reçut consigne d'éliminer le trublion.
…
…
Le soir du 15 octobre, il fut pris d’une sorte de langueur ; sa
respiration devint difficile et il éprouvait du mal à se déplacer. Avec
beaucoup de perspicacité il se rendit compte qu’il avait été
empoisonné avec du thallium. Or, c’est ce que l’on emploie
habituellement en Europe pour se débarrasser des rats.
…
Avant d’être placé dans un poumon d’acier pour l’aider à respirer,
Mounié eut le temps de répondre à quelques questions. Au court
de son agonie il se rappela avoir bu deux Pernods, le soir de sa dernière
sortie, et avoir trouvé à l’un d’eux un goût amer.
Puis il sombra dans un coma qui dura jusqu’à sa mort, au soir du 4
novembre.
…
…
Son amie Liliane Friedli, connaissait l’identité du journaliste
avec qui Mounié avait dîné, le soir du Pernod fatal.
Une nuit, pendant son hospitalisation une
voiture s’arrêta dans la cour de la clinique et deux hommes tentèrent
de pénétrer dans l’immeuble. Mais une infirmière les avait vus ; elle
alluma les lumières extérieures et appela la police. Se rendant compte
qu’ils avaient été découverts, les hommes remontèrent précipitamment
dans leur voiture et prirent la fuite. L’auto avait des plaques minéralogiques
françaises. « Action » avait envoyé les deux hommes pour
effrayer Liliane et la contraindre au silence.
Deux mois plus tard, à la fin de décembre
1960, la police suisse lança un mandat d'arrêt international contre un
Français nommé Bechtel, soupçonné d'avoir empoisonné le leader
africain. Bechtel faisait partie du SDECE; il avait servi en
Indochine et en Afrique et avait pris sa retraite de l'armée. Mais il
continuait à travailler pour le SDECE, où il était très utile, car il
avait la double nationalité française et suisse. Bechtel avait
travaillé
pour le colonel Mercier quand il était en poste en Suisse. En préparation
de l'opération contre Moumié, il avait fait connaissance du
leader africain et il avait pris l'habitude de l'inviter à des repas
fins. Le poison qu'il avait reçu du SDECE avait été récemment élaboré
et on ne l'avait jamais expérimenté auparavant.
Son effet était censé être immédiate et
Bechtel, qui avait étudié la chimie, devait administrer une dose
proportionnelle au poids de Moumié.
Mais, soit que la drogue ait été défectueuse, soit que la dose ait été
mal calculée, Moumié eut le temps de parler pendant son horrible
agonie qui dura deux semaines.
Son sale travail terminé, Bechtel
rentra en France.
Plus tard, il se fit un devoir d'écrire à
plusieurs amis en Suisse pour nier sa participation à l'assassinat
de l'Africain.
Afin de brouiller les pistes, le SDECE
faisait poster ses lettres en Autriche.
Sûr de l'immunité, Bechtel, qui
avait soixante-dix ans, changea de nom et s'en alla vivre dans le Midi de
la France où il réside probablement encore, jouissant d'une vie calme et
confortable grâce à l'argent qu'il a reçu en paiement de son travail.
Mais les assassinats ne pouvaient pas modifier le cours de la guerre. Les
Arabes recevaient des Soviets tous les secours en armes et en munitions
dont ils avaient besoin, et la France était seule.
Les Français étaient fatigués du conflit
et décidés d'en terminer.
De Gaulle, qui s'était engagé à
garder l'Algérie française, changea complètement sa position et décida
d'abandonner l'Algérie sans même essayer d'obtenir la moindre garantie
pour les Français qui y avaient vécu plus d'un siècle.
Quand on demande à plus d'un million
d'individus d'abandonner leur maison, leur terre et tous leurs biens sans
leur donner la moindre compensation, quand on leur dit de quitter tout ce
qu'eux-mêmes et de nombreuses générations avant eux ont construit, ils
se révoltent. Une partie de l'armée les soutint.
Mais la révolte des généraux échoua, ce
qui amena les officiers et leurs partisans à se regrouper en réseaux
clandestins pour combattre non seulement les nationalistes algériens,
mais aussi les Français qui sympathisaient avec eux.
Des excès inexcusables furent alors commis.
Entre-temps, le gouvernement de de Gaulle
craignait d'être renversé. Foccart et le ministre de l'Intérieur,
Roger Frey, eurent, en septembre 1961, une longue entrevue au
palais de l'Elysée.
Ils s'y mirent d'accord pour créer en Algérie des groupes de choc chargés
de combattre les adversaires de la politique gaulliste et de l'indépendance.
Au cours de leur conversation, Foccart
signala au ministre de l'Intérieur que les officiers de l'«Action»
pourraient très bien refuser d'obéir à l'ordre de se battre contre
leurs camarades officiers.
On décida donc une purge, et seuls les Gaullistes inconditionnels
furent maintenus dans « Action ».
Ce groupe d'irréductibles fut chargé d'encadrer des réservistes de l'
«Action» et de nouvelles recrues qu'on transformait rapidement en
terroristes. Afin de ne pas se compromettre personnellement, Foccart
et Frey décidèrent de confier l'organisation à Dominique
Pontchardier, qui
avait toute leur confiance. Pontchardier, officier de marine
pendant la guerre, avait combattu courageusement en Indochine avec la
division Leclerc. Il y organisa des équipes de commandos vietnamiens
qui acquirent une solide
réputation de cruauté.
Après la guerre, il se fit un nom dans la
littérature populaire en publiant des histoires d'espionnage qui eurent
beaucoup de succès.
Quelques jours après son entrevue avec Foccart,
Roger Frey invita chez lui Dominique Pontchardier et sa
femme. Etaient également présents Pierre Lemarchand et sa
femme, amis personnels des Pontchardier, ainsi que la secrétaire
de Frey, Mme Huguette Renaud. Mme Pontchardier, qui avait eu
avec Foccart un long échange de vues, signala au ministre de l'Intérieur
qu'il était toujours en contact avec un groupe de Vietnamiens
habitués à exécuter les ordres donnés, quels qu'ils soient.
Mais cela était insuffisant, et même en
comptant les Vietnamiens et les officiers de l'«Action» du SDECE,
il fallait au moins deux cents hommes de plus. Lemarchand était
avocat et sa clientèle était constituée
principalement de membres du «milieu ». Il offrit de recruter des «volontaires»
parmi ses clients.
Mme Pontchardier fut chargée d'assurer la liaison avec Jacques
Foccart et le SDECE sous le pseudonyme de Madame Rollin, tandis
que Mme Lemarchand s'occuperait de l'administration de la partie
financière de l'opération, et ferait la liaison avec le ministre de
l'Intérieur. Le ministre étant très occupé, Mme Renaud, sa secrétaire,
reçut la consigne de faciliter les choses pour Mme Lemarchand.
Au SDECE, c'est le colonel Laurent
et un ancien expert du Contre-Espionnage qui devaient élaborer la stratégie
de l'opération. Les officiers de Renseignements - sauf ceux travaillant
directement pour Jacques Foccart -répugnaient généralement à exécuter
des besognes policières et préféraient s'en tenir à leur tâche
normale de recherche des renseignements sur les pays étrangers.
Il n'en était pas de même pour ceux du
Contre-Espionnage et de la Surveillance du Territoire.
Là, les chefs de sections et leurs adjoints, pour qui la promotion
comptait avant tout, passaient la majeure partie de leur temps à
rassembler des renseignements sur leurs compatriotes connus pour n'être
pas d'accord avec la politique du gouvernement.
Au lieu de consacrer leur temps et leur énergie
à démasquer les espions russes en France, les Services Secrets français
concentraient tous leurs efforts à combattre les membres de l'opposition.
Mais cela ne suffisait pas, et Jacques
Foccart ordonna la création en Algérie d'un « Service parallèle
de Renseignements» doté d'amples moyens financiers et commandé
par un gauchiste connu sous le nom de colonel Foyer.
En fait, ce prétendu Service était
exclusivement composé d'indicateurs. Toute personne soupçonnée d'être
opposée à la politique gaulliste était fichée. Des copies des fiches
étaient transmises à Foccart par Pontchardier, et à Frey
par l'intermédiaire de Lemarchand.
A la fin de novembre 1961, les recrues de Lemarchand
arrivèrent en Algérie par avions spéciaux.
Le colonel Laurent et d'autres chefs de groupe avaient déjà établi
leurs quartiers dans de luxueux immeubles. Ils avaient commencé à
travailler sur les fiches fournies par Foyer et avaient établi
l'agenda des premières opérations à exécuter.
Les hommes se mirent immédiatement à
l’œuvre en posant des bombes dans plusieurs cafés d'Alger connus pour
leurs complaisances envers les Français.
La première journée de terrorisme se
solda par des douzaines de civils tués ou grièvement blessés. A
partir de ce moment, les équipes spéciales frappèrent chaque jour, plaçant
des explosifs sur les objectifs marqués à l'avance et détruisant
maisons et appartements où vivaient les suspects.
Certains furent enlevés de force, et
quand les victimes vivaient dans des endroits isolés on leur infligeait
sur place d'horribles tortures, sous prétexte de les faire « parler ».
En réalité, la plupart du temps, les
tortures n'avaient pas pour but d'arracher des aveux, mais seulement de
permettre aux persécuteurs d'assouvir leur cruauté et leur sadisme.
Le groupe des Vietnamiens recrutés par Pontchardier était connu pour
son extrême cruauté.
On retrouva plus tard des corps
portant des marques d'affreuses tortures: pieds brûlés, parties
sexuelles mutilées, yeux arrachés... Des enfants et des jeunes femmes
furent violés devant leurs pères et leurs maris, avant d'être tués de
la manière la plus sauvage.
On mit tout en oeuvre pour que le blâme
retombât sur des organisations d'extrême droite, mais ce furent les récits
de quelques survivants qui firent apparaître la vérité.
La monstruosité de tels actes et le
fait que des Français pouvaient recourir à des méthodes aussi barbares
provoquèrent un sentiment d'horreur chez les représentants du
gouvernement en Algérie.
Des pressions furent exercées à Paris
pour que fussent limitées les répugnantes activités du groupe appelé
«les spéciaux ». Le colonel Laurent dont l'esprit
malade inventait, chaque jour, des tortures et des cruautés nouvelles fut
rappelé.
Entre-temps, les autres chefs de groupes
continuaient à répandre la terreur et à mener une vie de débauche.
A Paris, le ministre de l'Intérieur Frey
et Jacques Foccart hésitaient à rappeler les équipes «de choc
», dont ils craignaient les indiscrétions aussi bien que les exigences déraisonnables.
On trouva une solution plus simple et
plus satisfaisante.
Le 29 janvier, une grande caisse en bois
envoyée prétendument par Mme Lemarchand fut livrée à la Villa
Andrea, leur quartier-général. Cette caisse contenait, disait-on,
une presse nécessaire pour reproduire du matériel de propagande. De
Paris, Pierre Lemarchand avait donné comme instructions aux chefs
de groupes, de se réunir l'après-midi à la Villa Andrea pour y recevoir
de nouvelles directives.
Vers 5 heures, une explosion terrible ébranla
Alger pourtant accoutumée depuis longtemps au bruit des explosions. La
Villa Andrea était en ruines. Tous ceux qui s'y trouvaient avaient été
tués.
L'identification de la plupart des corps
fut impossible et l'acte de terrorisme fut, comme d'habitude, attribué à
un groupe d'extrême droite.
A la fin de février, le maire d'une petite
commune de Seine-et-Oise, près de Paris, reçut par l'intermédiaire du
préfet des ordres émanant directement du ministère de l'Intérieur. On
lui enjoignait de faire creuser huit tombes dans le cimetière local et
d'y faire enterrer huit cercueils qui se trouvaient présentement
à la morgue de l'aéroport d'Orly.
Le maire avait consigne de garder le secret
le plus absolu sur ces instructions ainsi que sur la date de l'enterrement,
fixé au 24 février. On l'informait en même temps de la visite de Mme
Lemarchand, qui devait veiller à tous les détails des inhumations.
Au jour fixé, les cercueils furent amenés
par trois fourgons.
La cérémonie fut promptement expédiée.
Un prêtre bénit chaque bière individuellement et celles-ci furent immédiatement
descendues dans les fosses. Chacune d'elles portait une inscription:XN1,
XN2, etc...
On plaça alors sur les tertres des croix
de bois portant la même inscription que les cercueils; mais au revers de
six d'entre elles, on marqua des noms: Cherroux, Veillard, etc. ..
Deux croix restèrent anonymes.
Les seuls témoins de ces enterrements
semi-clandestins furent le maire, le fossoyeur et Mme Lemarchand
qui était accompagnée d'une jeune Orientale inconnue.
On n'aurait rien su de cet enterrement
inhabituel, sans l'intervention de deux journalistes de l'Express qui,
ayant été informés de l'affaire, y assistèrent discrètement.
Après que l'Express eut relaté cette étrange
histoire, le maire de la petite ville, M. Gauchard, reçut la
visite de fiers-à-bras qui lui apprirent la valeur du silence.
Les certificats de décès des onze morts
étaient datés du 30 janvier 1962, le lendemain du jour de l'explosion de
la Villa Andrea, et ces documents avaient été établis à El Biar,
district d'Alger où se trouvait la villa.
L'épisode de la Villa Andrea n'avait pas réussi
à éliminer tous les chefs de groupes.
Quelques-uns d'entre eux échappèrent
à la mort parce qu'ils n'avaient pas assisté à la réunion.
On acheta à gros prix leur silence et on
leur conseilla de quitter la France pour un certain temps et d'aller résider
Bolivie. Un de leurs patrons, Dominique Pontchardier, reçut
comme récompense un poste d'ambassadeur en Bolivie et on le pria
de venir en aide là-bas à ses anciens subordonnés.
L'autre personnage qui joua un rôle dans
cette affaire, Pierre Lemarchand, fut désigné par l'UNR,
le parti gaulliste, comme candidat dans une circonscription où un
Gaulliste était certain d'être élu, ce qui ne l'empêcha pas de
poursuivre ses activités parallèles puisqu'on le
retrouva plus tard mêlé à l'affaire Ben Barka.
Les adversaires de de Gaulle ayant
été, soit éliminés par les barbouzes, comme on les appelait en France,
soit emprisonnés et mis hors d'état de nuire, le Général décida de
donner l'indépendance à l'Algérie.
Son premier geste de bonne volonté fut de
faire sortir de Fresnes, la prison proche de Paris, le leader algérien Ben
Bella.
L'amusante histoire de cette libération
n'a jamais été racontée et elle en vaut pourtant la peine.
Ben Bella
devait être conduit sous escorte jusqu'à la frontière suisse, où il
rejoindrait ses partisans. Mais les esprits étaient très montés en
France contre le chef algérien, et Foccart craignait que Ben
Bella ne soit assassiné durant le trajet de la prison à l'aéroport
où un hélicoptère attendait pour le transporter à Genève.
Pour le protéger, Foccart envoya
donc à la prison de Fresnes les propres gardes du
corps de de Gaulle, les « gorilles », et leur ordonna
d'abattre toute personne qui voudrait attenter à la vie de l'Algérien.
Après les atrocités commises par les
Arabes durant les derniers mois, la population était excédée et prête
à donner au leader algérien un échantillon de ce que les Français
avaient subi dans leur pays. Les gardes du corps de de Gaulle étaient
beaucoup plus proches de la population que leur patron: ils connaissaient
les sentiments de leurs compatriotes et craignaient de ne pas pouvoir
escorter Ben Bella vivant jusqu'à l'hélicoptère qui l'attendait.
Aussi, à leur arrivée à la prison, ils
demandèrent à l’Algérien de se déguiser en garde mobile.
Ben Bella accepta et la voiture quitta la prison de Fresnes,
emmenant une « gorille » qui se faisait passer pour Ben Bella,
tandis que le futur Président de l'Algérie, affublé d'un uniforme de
gendarme français, lui servait de garde.
La grandeur française était à son
apogée.
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