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Poème de Jean de Brem à Jean Bastien-Thiry


Tu n'étais pas un baroudeur, mon  colonel
Tu n'étais pas une figure légendaire
Ni un brillant stratège de la guérilla
Ni un seigneur du djebel.
Tu n'étais pas un fasciste
Ni un chouan pétri de traditions
Ni un automate sorti des camps viets
Ni un officier perdu d'orgueil.
Tu n'étais pas un para
Tu n'avais pas l'amour des combats impossibles
Ni le culte du Désespoir
Ni la vanité des soldats d'élite,
Tu n'étais pas un révolutionnaire
Tu ne voulais la place de personne
Tu n'étais pas amer
La haine ne couvait pas dans ton cœur
Ni le dégoût dans ton regard
Ni l' insulte dans ta bouche.
Non.
Tu n'étais qu'un homme paisible
Calme, honnête, responsable
Un chrétien réfléchi et pur
Un officier consciencieux
Un jeune savant, technicien appliqué
Qui menait la vie de tout le monde
Entre sa femme et ses filles.»
Mais un jour.
Un jour a cessé la paix civile.
Car l'Orgueil est entré dans la Cité
Pour étrangler la Patrie au nom de la Patrie
Pour lacérer les drapeaux au son des fanfares
Pour décapiter l'armée qui était la
Force de la Nation
Four épurer la Fonction qui était
l'Elite de la Nation
Pour soudoyer l'Église qui était la
Conscience de la Nation
Pour tromper les masses qui étaient la
Nation même
Pour appeler chaque défaite un triomphe
Chaque crime un miracle 
Chaque lâcheté un fait d'armes 
Pour appeler la Comédie Droiture
L'Impuissance, Fermeté
L'Abandon, Succès 
La Haine, Modération
L'Indifférence, Lucidité
Et les Plébiscites Référendums…
Tôt on t'avait appris
Qu'une parole ne se reprend pas
Que la France est une et indivisible
Que la loi est la même pour tous
Que la télévision est à tout le monde
Et bien d'autres choses encore.
Tu as vu tous les grands
Tu as vu tous les responsables
Tu as vu tous les dignitaires
Protester mollement d'abord
Et puis se taire bien vite
Dès qu'ils ont senti le bâton.
Et tu n'as pas compris qu'ils étaient lâches
Car tu ne t’étais jamais parjuré
Car tu n'avais jamais hésité ni menti
Ta vie était droite comme l'Horizon des mers
Et tu regardais le soleil en face.
Les généraux pouvaient empêcher la
France de mourir
Et aussi les fonctionnaires 
Et aussi les évêques
Et aussi les professeurs
Les députés
Les magistrats
Et aussi les grands bourgeois
Les financiers
Les journalistes.
Mais ils ont préféré la servitude
Ils ont vendu leur liberté trente talents
Ils ont acheté trente talents le droit 
De survivre à leur Patrie
Pour continuer à ramper comme des vers
A grouiller comme des cloportes dans
les ruines d'un monde en flammes.
Alors toi, mon colonel.
Un citoyen inconnu, un patriote inconnu
Tu as senti ton heure venue 
Tu es devenu le glaive 
Tu as frappé devant Dieu et les hommes.
On t'a traîné devant les juges 
Pour une parodie de procès 
Où des robots vêtus d'hermine, 
Petits fonctionnaires des abattoirs 
Choisis sur mesure par le prince 
Au nom du peuple français 
Ont ri de tes paroles 
Bouché leurs oreilles à tes explications 
Et font condamné de leur voix méca­nique
A quitter la comédie humaine. 
Tu les gênais, toi qui ne jouais pas 
Tu les salissais, toi qui étais pur 
Et ta voix nette et claire 
Témoignage de l'Histoire Etemelle 
Il fallait l'étouffer pour qu'on cessât devoir
Les fronts rouges et les âmes sales 
Des courtisans chamarres 
Affolés par ton audace d'homme libre.
Adieu, Brutus.
Tu es mort, un chapelet tressé dans les doigts 
Sans haine et sans colère comme un héros paisible
II s'est trouvé des soldats pour t'abattre.
Et t’ont couché dans l'herbe du fort
Et ils ont basculé ton corps dans une fosse
Sous la pluie fine de l'aurore
Ils ont joué aux dés ta tunique bleue d'aviateur
Déchiré ton ruban rouge
Et dispersé tes galons d'argent et d'or au vent de l'histoire.
Et ils ont cru, les déments
Que ta mémoire piétinée
Ton souvenir effacé par décret
Se tairait à jamais la voix d'un homme,
Alors que ta mort tranquille
Nous rendait un dernier service…
Regarde-nous, mon colonel
Du haut du paradis des croyants
Situé à l'ombre des épées :
Regarde-nous.
Tu as maintenant dix-mille fidèles
Que ton martyre d'officier
A rendu à la lumière ;
Qui jurent devant Dieu
De faire éclater nos chaînes,
Et de révérer ton image,
Un jour au soleil d'été
Dans l'avenue qui portera ton nom
Des milliers d'hommes aux yeux fiers
Défileront d'un même pas
Guidés par les clairons de la postérité
Et d'un seul geste, au commandement
Croiseront le regard de ton effigie
A jamais sanctifiée par les hommes.
Dors maintenant, mon colonel.
Tu es entré dans la paix... 
Mais qu'ici-bas sur la terre
La malédiction demeure !
Que ton sang retombe sur les têtes
Des Pilâtes et des Judas
Qui poursuivent leurs vies d'insectes
Au prix d'un forfait si grand !…
Et que nos larmes brûlantes
De douleur et de colère
Fassent jaillir, de la terre grasse
d'Europe et d'Afrique, 
La race nouvelle d'Occident…
Merci pour tout, mon colonel : 
D'avoir vécu en Français 
Et d'être mort en officier. 
Car le moment est venu 
Où après un tel exemple 
Tu vas nous obliger à vaincre».

Jean de Brem

 
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