Je me
souviens……BENI- SAF
|
Partie 2
Passée la route caillouteuse, la villa Abecassis,
puis le réservoir d’eau, faisant , à demi enfoui, l’angle avec la rue
des écoles : boulevard Parent de son vrai nom. Face au réservoir, la Salle
des fêtes, imposant bâtiment où débutait la rue Bugeaud et où habitait un
autre ferblantier Darmon, parent de « Fatigué ». Tout près
de là, une petite place et le quartier « sidi Boucif » où un
agriculteur vendait de la canne à sucre. Les enfants sur le chemin de l’école,
à 13h, y faisaient un détour pour sucer un bout de canne dont la longueur
était proportionnelle aux 2 ,3 ou 5 francs qu’ils remettaient en
contrepartie.
Le
Bd Parent , bordé de hauts platanes sur ses deux rives, débutait par les
écoles, Filles à gauche avec Mme Falguérette comme Directrice,
Garçons à droite avec Mr Tadéi comme Directeur. On ne se mélangeait
pas de ce temps-là. Quelques noms d’enseignants me viennent à l’esprit :
Mr Bouclon et Mme, ex épouse Piantanida - Mr et Mme Orth-
Mr et Mme Verdu- et, le plus connu par son extravagance, Mr Roques-
Mme Roques aussi.
Après les écoles, quelques habitations et en bout de
cette avenue rectiligne, l’Eglise Sainte Barbe et son curé Socoya,
enrobé et sympathique . La cure, tout près dans la rue, était administrée
par sa mère.
Comme bon nombre d’entre nous j’ai
été aussi Enfant de chœur. On enfilait une soutane rouge, un surplis blanc,
une barrette comme couvre-chef, rouge également, et on servait soit les
messes du matin pendant la semaine, soit la messe dominicale, soit les
baptêmes ou les mariages , les enterrements. On participait même aussi au «
lavement des pieds « au moment de Pâques. Là c’était intéressant car le
curé nous donnait, ensuite, un petit pain et une pièce de 5 francs.
Après l’église une autre route bordée
de platanes et de maisons menait au quartier du « Filtre », composé
de quelques demeures et des installations techniques décrites en début de
récit. Y demeurait une autre famille Martinez.
Retour au marché couvert.
Juste après il y avait un jardinet avec un bassin équipé d’un jet d’eau
et des bancs autour. On appelait cet endroit qui souvent nous réunissait, le
« jet d’eau », tout bêtement. A côté, un kiosque à essence de marque Stelline,
géré par un homme qui boitait, Fernandez, dont le frère possédait,
juste en face, un grand garage-parking et distribuait aussi du carburant.
Drôles d’engins que ces distributeurs qu’on utilisait alors, genre de
tour dont le tiers haut était en verre ,où transparaissaient deux grosses
ampoules de 5 litres qu’on remplissait successivement
en actionnant une pompe à la main.
Derrière le marché une place en terre battue dont un
périmètre, délimité par du grillage recevait le marché hebdomadaire du
dimanche. Celui-ci, composé essentiellement de paysans arabes qui offraient
le produit de leurs terres. On y voyait aussi des « soigneurs » qui
entaillaient la nuque de leurs clients et les faisaient saigner au moyen d‘une
sorte de ventouse métallique. Parait-il , ça décongestionnait et
requinquait l’individu.
En bordure de la place, 4 ou 5 taxis.
Parfois venait s’implanter pour une dizaine de jours une baraque foraine qui
déversait en continu une musique assourdissante pour inciter les habitants à
venir participer à ses loteries. Un peu plus loin, l’été, s’installait
pour deux ou trois mois un marchand arabe de melons et pastèques dont il
faisait d’énormes tas qu’il abritait sous une bâche tendue, probablement
louée chez Vidal et Manéga et éclairait le soir avec une lampe à
carbure .
Partant de la place il fallait emprunter la rue de la marine pour descendre
vers le port. A gauche la Glacière. Cette usine fabriquait
artificiellement la glace destinée principalement à conserver le poisson.
Produite en longues barres, elle était ensuite concassée pour être
répandue sur les casiers des pêcheurs . Elle était également vendue aux
particuliers. Ceux-ci l’utilisaient en barre pour alimenter leur glacière,
petit meuble en bois intérieurement tapissé de zinc, destiné à conserver
au frais et précurseur du réfrigérateur actuel. A défaut de glacière la
glace était plongée dans une bassine d’eau où l’on mettait boissons,
beurre , etc.
Suivaient les installations d’ateliers et bureaux de la Mine qui s’étendaient
jusqu’au port. A droite le Jardin Public au bout duquel trônait, sur
un promontoire, la Mairie accessible ici au moyen d’un long escalier
rectiligne.
Du même côté, l’ancienne Poste précédant une
maison, dans le virage, où logeait un douanier, Chireleu. Plus bas les
entrepôts des Vins de la Tafna, négociant stockiste qui expédiait en
France. En face, deux halles en bordure de quai où, chaque soir, les
chalutiers étalaient les différents produits de leur pêche dans le but de
trouver acquéreur au meilleur prix, aux enchères. C’est là que les
acheteurs les recouvraient de glace, les chargeaient sur camion et les
dirigeaient le lendemain à l’aube sur Oran principalement.
Une rue passait devant ces hangars, avec coiffeur et
brasserie. Elle menait vers des quais plus vastes où accostaient les
chalutiers, les bateaux-citernes et quelquefois de petits cargos. S’y
trouvaient encore plusieurs magasins de salaison d’anchois, anchois
soigneusement mis en fûts de bois par une main d’œuvre de femmes arabes,
dont, gamins , on s’amusait à contempler le derrière , alors qu’elles s’affairaient
la tête plongée au fond des fûts.
La rue de l’abattoir prolongée par un chemin menait à
la plage de Sidi-Boucif. Les Sodi habitaient par là.
La
flotte de pêche était importante à Béni-Saf. Des chalutiers, oeuvrant le
jour, une cinquantaine je pense. Et des lamparos peut-être encore plus
nombreux qui étaient amarrés au milieu du port. Ils sortaient uniquement la
nuit, traînant une petite barque munie d’un système d’éclairage avec
déflecteurs qui était allumé en mer pour attirer sardines ou anchois dans
les filets. Ces lampes fonctionnaient primitivement au carbure, par la suite
ce fut des ampoules sur batteries.
Au pied de la cave « Vins de la Tafna » se
postait en fin de matinée, en été, un marchand arabe ambulant, accroupis
près de son âne, qui vendait des « tchoumbos » , ce qui , dans
notre jargon désignait les figues de barbarie. Pour 5 francs on en avait 10
qu’il nous épluchait lui-même et nous en tendait le fruit tout prêt à
déguster. On consommait donc sur place, généralement en remontant de la
plage vers 13 heures.
Un
ferronnier était installé plus loin, Nougaret. En face, une petite
plage sur laquelle on échouait les bateaux de pêche pour nettoyer leur coque
et les repeindre. La Drague, gros navire métallique qui raclait les fonds
sablonneux à l’entrée du port, y avait son chantier de réparation. Un
charpentier de marine, à une certaine époque, y construisait ses bateaux,
puis il a libéré la place.
On arrivait alors sur la jetée qui se déployait à
angle droit. Vers l’extérieur, des rochers déposés en brise-lames sur
lesquels on allait pêcher quelquefois. Vers l’intérieur se dressait un
engin nommé « le chargeur » constitué d’un bras métallique
ajouré, type « Tour Eiffel » et une construction annexe. Ce bras, en
position verticale lorsqu’il était inactif, descendait jusqu’à l’horizontale
pour atteindre les cales des cargos et y déverser, au moyen d’un tapis
roulant incorporé, le minerai recueilli dans une trémie remplie par des
wagonnets.
La voie ferrée qui leur permettait d’arriver jusqu’au
Chargeur enjambait un pont sous lequel passer pour déboucher sur l’ancienne
gare S N C F encombrés de quelques anciens wagons de voyageurs, d’un garage
à locomotives désaffecté et d’un énorme plateau pivotant sur lequel les
machines pouvaient décrire un angle de 180° et se retrouver dans l’autre
sens pour repartir à Tlemcen d’où elles venaient. En effet cette gare se
terminait en cul de sac.
Plus tard se sont construites, sur l’emplacement, deux usines de conserve de
sardines à l’huile. L’une par Boronat dont la marque était «
La Dauphine », l’autre par Falcone dont c’était « Papa
Falcone ». Cependant la plus ancienne conserverie était celle de Fouché
installée en bordure de la route de la plage, à côté des Docks, la
coopérative de blés.
Dans l’ancienne gare habitaient les Ibanes. La colonie des enfants de
la M T O ( Manufacture de Tapis d’Orient, à Tlemcen) se trouvait
juste après.
La route longeait les voies et bâtiments SNCF,
elle était bordée tout au long de maisons et villas dont certaines étaient
des résidences principales, d’autres secondaires. Elles donnaient sur La Plage
du Puit
Deux bars, avec terrasse ombragée
empiétant sur le sable, animaient notre station balnéaire. Le premier, en
arrivant du port, tenu par quelqu’un dont le nom m’échappe était moins
fréquenté que l’autre à l’enseigne « Chez Mario ». Mario,
ancien légionnaire, avait épousé une fille du pays. Son établissement
était le rendez-vous de toute la jeunesse, chez lui il y avait
continuellement de la musique, ce qui n’était pas pour nous déplaire. On y
dansait tous les dimanches et même en semaine si on y rencontrait des
cavalières.
En bout de plage une ruelle partait en
biais donnant naissance à deux rangées de cabanons. Puis on allait sur
Tlemcen via la Tafna . On appelait ainsi l’embouchure de la rivière
du même nom où se trouvait une plage qu’on fréquentait de temps à autre
mais surtout, tous les ans pour fêter Pâques autour d’une Paella «
tierra y mar » c’est à dire avec viande et poisson.
La plage du Puit, débutait à l’Est,
adossée au port et se terminait à l’ouest en buttant sur une colline où
était perchée la villa de Lazarevitch. A mi-pente il y avait un
vivier, et au bas, dans l’eau, deux rochers , le crapaud et le
chameau, qui tiraient leur nom de leur ressemblance avec ces animaux.
En plein centre de plage était édifiée
une bâtisse cylindrique, le kiosque, à proximité duquel on installait des
pistes de danse à l’occasion du 15 Août, la Fête du village.
Que faisait-on à Béni-Saf en hiver, à
part « le boulevard » enfin de journée dans la rue de la République
? Eh bien on pratiquait quelques jeux :
Des jeux calmes, comme les billes au sol
autour d’un simple cercle ou bien d’un trou. Avec les plaquettes
métalliques mises en jeu d’une manière identique aux billes. Aux osselets.
Aux « Pignols » autrement dit aux noyaux d’abricot qu’on tirait
sur un petit tas ou dont il fallait deviner le nombre enserré dans le poing
fermé. Aux cartelettes, emballage des pochettes d’allumettes américaines
aux figurines différentes qu’il fallait retourner en les frappant avec la
paume de la main légèrement creusée.
D’autres jeux moins calmes et collectifs
comme « Un le brun..» « tchincha la fava » ou la « Jarana ».
Ce dernier se déroulait généralement dans la rue Clauzel, parallèle et au-dessus
de l’av. Jean Jaurès et où demeuraient les familles Garcia, Rosello,
Fernandez ferblantier, Magno , Raphaël Pastor, Munos, Montaner.
Bref, la Jarana était d’autant plus intéressante qu’on était
nombreux. Aussi pour faire affluer les joueurs on avait coutume d’arpenter
la rue en criant : « A la jarana.. ! la figa tu hermana ! » (
traduction laissée aux soins des initiés). Et ça donnait généralement des
résultats.
Voici bouclé maintenant le survol de ma
Ville, depuis, tout en haut le Filtre, jusque tout au bout la plage du Puit.
Mes souvenirs ne sont pas sans faille, loin de là. Ils sont peut-être
imprécis, inexacts et sûrement incomplets. Ils reflètent simplement ce qu’il
me reste à l’esprit, 41 ans après que le sort nous ait
contraints à quitter notre pays, l’Algérie. J’espère qu’on ne me
tiendra pas rigueur des imperfections de ce récit.
Sous forme d’énumération, parfois
fastidieuse, j’ai tenté de décrire l’environnement des rues, des
personnes et anecdotes, dans lequel j’ai grandi. J’ai tenu à citer le
plus de noms possibles de familles béni-safiennes pour qu’on ne les oublie
pas à l’heure où, séparées les unes des autres, on se demande ce qu’elles
sont devenues…
Pour répondre à nos détracteurs j’ai
tenu à préciser chaque fois que c’en était le cas, que la personne que je
citais était arabe. Les européens ne tenaient pas la population musulmane en
esclavage, ils vivaient avec elle en parfaite intelligence comme en font foi
les différents postes que les arabes occupaient dans la vie courante, sur le
seul critère de leurs aspirations ou de leurs capacités.
Et ce sera mon mot de la fin :
Adieu ….BENI-SAF
P.G
France, le 27/06/2003
En complément aux souvenirs de Paul,
il faut noter les noms suivants : Ramon Gato, à qui les petits arabes
lançaient des cailloux en criant," Patacartré, sardina secca,
tiennes mas uessos que una caja datiles" et lui, les mains dans
le dos ,agitait sa main comme une queue d'animal pour les emmerder.. et
d'autres choses encore.....
Avec toi un petit bout de notre Algérie et de
notre sympathique village viennent de nous quitter.
NOS SINCÈRES CONDOLÉANCES A SA FAMILLE & A SES PROCHES.
REQUIESCAT IN PACE
PAUL.
|