La ville
Construite dans le versant de la montagne, en forme de cuvette, les rues en
demi-cercles, étaient en escaliers et finissaient par la place principale où était construit le marché-couvert sur lequel siégeait un couple de cigognes qui se succédait de père en fils depuis des décennies.
Lorsque les cigognes survolaient la ville vous pouviez être certains que le printemps était de retour avec les milliers d'hirondelles qui le confirmaient.
Tout au sommet de cette arène la falaise surplombée dans son coté nord la mer méditerranée qui se perdait à l'horizon. En contrebas tel un serpent gris, l'on pouvait observer la rue de l'abattoir qui se prolongeait jusqu'à une petite plage de sable fin, merveilleuse, inoubliable, que l'on nommait " la Plage de Sidi-Boucif .
La rue la plus haute après le sommet et la falaise, s'appelait la " rue Bugeaud ". Il y avait bien une centaine de maisons toutes semblables, construites par la Compagnie Mokta el Adid propriétaire des mines de fer de la région. Elles servaient en particulier d'habitations aux mineurs et à leurs familles. Pareil pour la rue du dessous dont le nom était la " rue Chanzy ". Puis le boulevard de la République où les samedi et dimanche les jeunes et les moins jeunes montaient et descendaient la rue par groupes en discutant et en s'amusant. C'est souvent là que se faisaient les rencontres qui allaient la plus part du temps conduire aux mariages. Cela fut mon cas comme celui d'amis que j'ai
connus. Toutes les rues sont reliaient entre elles par des escaliers.
Les parents s'attablaient aux terrasses des bistrots et tout en dégustant leur kémia sirotaient une anisette. Les marchands de brochettes ne manquaient pas de clients. Les patrons des bars distribuaient aux tables, qui des cacahouètes, des fèves sèches bouillies et parfumées au cumin, des escargots, qui des petits rougets panés et fris, des " tramousos " . Les idées ne leurs manquaient pas pour s'attirer la clientèle.
Vers les 21h/22h. la rue devenait déserte et seule le cinéma " Labouze " tenait ses portes ouvertes. Les clients se faisaient rare dans les bars. La pâtisserie " Chimili " résistait à la fermeture grâce aux gens qui se précipitaient aux portes du cinéma attenant.
Plus bas à la rue Pélissier le dentiste français-musulman kabyle grand mince aux yeux bleus, avait fait construire un grand et beau cinéma où il passait des films arabes et des films français.
La Place du Marché-couvert longée par la " rue d'Ain-temouchent, était considérée comme le centre de la ville. Sur le coté la Station des cars de la compagnie TRCA prenait l'allure de fête à l'arrivée des passagers venant d'Oran d'Ain-temouchent et des villages avoisinant.
Sur l'arrière se trouvait la Poste, une belle bâtisse faisant la deuxième merveille de la Place, avec son jardin public garni de magnifiques massifs fleuris, régulièrement entretenus par des jardiniers spécialisés.
Bien sur, face au Marche ils y avaient des bars et entre les bars européens, le Café-Maurs toujours occupé par les amateurs de thé et de café fort et parfumé.
La prolongation de la rue Bugeaud dans la partie sud, rejoignait l'Avenue des platanes certainement centenaires et d'une beauté
inoubliable. Une rue sur la gauche permettait d'accéder au quartier dit de " Sidi Boucif ", dont la plage citée plus haut se trouve tout à fait en bas. J'avais une vielle tante(La tita) qui habitait près de cette intersection et qui, les jours d'école, à la sortie, vendait des morceaux de canne à sucre. L'intersection menait au cimetière sis à environ 1 kilomètre plus loin sur la colline plantée de longs pins. Le cimetière était surplombé par " la ferme du Curé " De part et d'autre de ce ravin de nombreuses parcelles de terrains étaient cultivées par des maraîchers pieds-noirs d'origine espagnole aux prix d'un travail de défriche et de sueur sans précédent. Le produit de leur travail était vendu au marché-couvert dans la semaine et particulièrement le samedi.
Ces hommes n'ont exploité personne si ce n'est ces terres incultes à la sueur de leur front et ne méritaient pas d'être jetés dehors parce que leur crime était de n'être pas de la religion musulmane. Je tenais à le dire ici à leur mémoire.
A l'entrée de l'Avenue des Platanes se trouvait notre plantureuse et énorme " Salle de Fête " quelque chose de grandiose avec au dessous les classes d'écoles et une belle place de recréation plantée de jeunes platanes où nous aimions aller nous défouler après les cours.
Puis remontant l'Avenue de chaque côté il y avait les écoles primaires et secondaires, filles à gauche, garçons à droite. Il me semble encore entendre le son de la cloche tinter dans ma tête.
Continuant sous l'allée de platanes où le soleil arrivait à peine à transpercer le feuillage et sous le piaillement des moineaux par milliers cachés dans les cimes, nous arrivons à notre belle église " Sainte Barbe ". Vous pouvez la voir sur la photo jointe. C'est la que notre bon curé Socoya m'avait baptisé, plus tard gentiment obligé à faire ma communion solennelle dit-donc, et encore plus tard nous avait unis pour le meilleur et pour le pire avec celle qui est devenue mon épouse. Le pire n'a pas réussi à nous séparer et nous continuons de mener notre petite vie tranquille à parler bien souvent de notre village perdu.
Nous avons été chassés de notre village parce que nous n'avions pas la même religion, que nos frères de terre, néanmoins ils n'arriveront pas à nous le chasser de notre mémoire.
Après notre belle église la route montait, passait le quartier dit " du Filtre " et après une multitude de virages aussi dangereux les un que les autres nous parvenions à la jolie ville d'Ain-Temouchent. Non sans avoir auparavant traversé le village de Trois- Marabouts. Mignon village dont plusieurs villas étaient recouvertes de bougainvilliers d'un mauve éclatant. Le centre était traversé par une allée de platanes majestueux abondamment garnis aux extrémités des branches, de boules semblables à des cochonnets de pétanque.
Sur le versant opposé, faisant face à la ville, que j'appellerai européenne, habité également par de nombreux français-musulmans, se trouvait le village arabes. Il dominait la ville car il était situé tout à fait au sommet de la montagne. On y accédait par une route qui prenait naissance à la sortie sud de la ville et se prolongeait une fois le village passé, aux fermes et aux anciennes mines de fer abandonnées.
Au-dessous du village et tout au long de la route, le versant abrupt était recouvert d'arbres dont j'ignore les espèces. Dans une des photos nous pouvons remarquer les emplacements des mines exploitées par la Compagnie Mokta el Adid que je suppose ont du résister à l'emprise de l'indépendance. L'argent n'indispose pas la religion
d'Allah.
LE PORT
Un des plus important port de pêche d'Afrique du nord.
Apres une multitude de virages la rue d'Ain-Témouchent mène au Port de pêche, en passant devant notre magnifique Mairie avec ses illustres armoiries qui a du changer de face hélas, certainement remplacée par une demi-lune et un croissant.
.Arrivée à hauteur du port lui-même on distingue la partie réservée aux bateaux venant charger le minerai de fer sur la gauche, dominée par les rails des wagonnets. La partie de droite est réservée à la flottille des chalutiers
Pas efficace le port mais important en ce qui concerne le chargement du minerai, et abri de la flottille des chalutiers et des lamparos.
Il y a eu des accidents à l'embouchure pour des chalutiers revenant de la pêche après une rude journée et un vent d'Ouest terrible qui formait des vagues de 5 à 8 mètres à l'entrée. L'un d'eux a été retourné par une lame de fond et roulé sur une cinquantaine de mètres avant de disparaître. Il y avait eu plusieurs marins noyés.
En 1962 sauf erreur, à cinq prés, il y avait 45 chalutiers et un peu plus de lamparos sans compter les palangriers et quelques bateaux de plaisance.
Pour la galerie peu habituée à ce genre de bateaux, les chalutiers sont des bateaux construits en bois comme les lamparos. Ils ont une longueur variant entre 10 et 17 mètres pour les plus récents tel le " Marc-Eric. (1) Le chalutier se différencie du lamparo d'abord par la taille, les lamparos ne dépassant guère les 6 mètres ; ensuite par le mode de pêche.
Les chalutiers traînent leur filet sous un fond variant entre quelques mètres si le fond est sablonneux à 60 et plus en haute mer suivant le type de poissons visés.
Les lamparos sont des petits bateaux de 7/8 mètres destinés à la pêche à la sardine, anchois et autres poissons de surface. Ils traînent derrière eux un petit canot équipé de puissantes lampes soit à carbures remplacées plus tard grâce aux progrès par des lampes allogènes connectées à de grosses batteries. Les lampes servent au moment voulu à piéger les bancs de poissons. Le but étant de faire croire aux poissons que le soleil est levé et ils montent à la surface. Un deuxième canot similaire sans lampe est chargé sur le travers du lamparo. Il servira à tirer l'un des bras du filet jusqu'à l 'encerclement du banc. Le canot avec les lampes se maintiendra au milieu du filet jusqu'à ce que le banc de poissons soit bloqué. Les filets des lamparos sont très longs disons 100 a 150 mètres de chaque côté et finissent par une poche aux mailles épaisses et très étroites..
La saison la plus favorable aux lamparos était la fin du printemps et l'été. Elle se terminait fin septembre et doublait d'animation à cette période avec la venue des touristes de la capital et des environs en particulier de Tlemcen et villages réputés pour leurs vignobles, Enaya, La Vaissiere, dont les propriétaires avaient des résidences secondaires sur les trois quart de la Plage du Puits.
Au retour des chalutiers et des lamparos l'animation redoublait d'intensité. La foule s'entre croisait, s'entre choquait, les uns recherchant le poisson bleu, les autres assistant aux ventes aux enchères que l'ont dénommaient " la criée ". Et ça gueulait de partout !!!
Comme dans toutes les places, la pêcherie était animée par des bars et des épiceries. Même un coiffeur avait eu l'idée de s'installer tout prés. Les pêcheurs rentrés après une semaine passée hors de chez eux se faisaient une beauté avant de retrouver leur famille.
Les pêcheurs qui rentraient chez eux étaient reconnaissables avec leurs bottes et leur casquette. Ils avaient une allure plutôt débonnaire avec leur sac contenant la part de poisson et traînant leurs bottes.
Néanmoins un problème subsistait. Le port situé à vol d'oiseau à 500/600 mètres de la ville, les pêcheurs remontaient vers la ville à pied. Seulement, à l'entrée de la rue de la République, les attendaient les bars. Là, la situation se corsait. L'anisette coulait à flot et un après l'autre les bar étaient visités, j'en compte sept de mémoire. Le dernier était à mi-chemin de la rue et ne vivait que par les consommations des pêcheurs.
Apres la tournée des bars, ils rentraient chez eux avec mille difficultés. Il arrivait parfois que les enfants envoyés par leur mère, viennent tirer le papa par la veste.
… " j'arrive, j'arrive. Tiens ramène à la maison mon couffin avec ma part de poisson. Donne le à maman pour qu'elle fasse le souper ".
C'était la réplique bien connue du pêcheur.
Les camionnettes après le prix fixé et la vente réalisée se dirigeaient archies pleines vers les conserveries. Parfois le moyen de transport se réduisait à une simple charrette montée sur deux roues et équipée de deux brancards, chargée au maximum et tirée par un seul homme.
Par ailleurs le poisson, ramené par les chalutiers était placé dans des cageots. Le bien exposé et recouverts d'une couche de glace pillée. Une fois acheté à la " criée " les cageots étaient chargés dans des camions bâchés et dirigés sur la capital " ORAN ".
Une fois le port passé nous longions une quantité de palans soutenant les filets de pêche séchant au soleil après avoir étaient nettoyés et rincés à l'eau douce. Plus loin, après l'intersection du village se trouvait le quartier de " Boukourdan " village arabes et européens occupé par de nombreux locaux de salaison d'anchois. Sur le coté mer se trouvaient les ateliers du plus important charpentier de marine Manolico Galafaté, en réalité Campillo Manuel. Mitoyen et séparé par un ruisseau s'élevait la grande " cale sèche où les chalutiers et la grande drague venaient faire toilette. Puis nous passons sous un pont au-dessus duquel passent les wagonnets chargés de minerai en direction du cargo qui attend de finir son chargement.
Apres le pont la route contournait un grand terrain remblayé aux files des années et recouvert par les rails de l'ancien chemin de fer qui reliait en principe Béni-Saf à Tlemcen.
A son milieu Une gare qui ressemblant à toutes les petites gares de France, était là pour rappeler la vieille locomotive à charbon vendue à je ne sais quel pays africain sous-développé.
Sur ce même terrain, plus à l'est, un hangar pavoisait fièrement de son imposante masse dominant la route et la plage par dessus les
maisons.
A l'entrée avaient été construits de grands hangars de mise en conserve de sardines, si mes souvenirs sont exacts, l'un appartenait à la familles Boronad et fils et le deuxième à Papa Falcone réputé dans le monde
entier.
LA PLAGE DU PUITS
A partir de cet endroit se trouve être la limite entre le port et la Plage du Puits, " Mon domaine ", " Ma jeunesse ". Mitoyen avec le port coté chargement de minerai, et appuyé au mur de pierres taillées, l'Atelier Montanère, le plus ancien fabriquant de chalutiers et lamparos.
Plus loin la rue coté mer était bordée de belles villas le long de la plage sur toute sa longueur. Jusqu'au vivier où un sentier, creusait dans la falaise de sable durci et jauni était emprunté par les pêcheurs à la ligne, nombreux en été. Souvent il m'est arrivé d'escalader ces marches abrupts creusées dans le sable compact devenu, aussi dur que la pierre. J'accompagnais mon père à la pêche au lieu dit " la Playa de la Sinda ( ?)
La continuation de la rue, bordée de belles villas, devenait une route départementale. Elle reliait Tlemcen, une ville importante de l'intérieur, après la traversée de Montagnac, village vivant essentiellement de la récolte de l'Alfa. C'est dans ce centre que nous avions notre Juge de Paix.
Tout a l'heure en décrivant le port, j'ai cité le chalutier " Le Marc Eric ". Un des plus récents dans son genre et des plus long. Il appartenait à la famille Boronad. Patron-pêcheurs très proches des équipages. En général un équipage se composait de 7 a 8 hommes toutes ethnies confondues.
Comme tous les matins, vers les 3heures, avec les autres chalutiers, il quittait le port pour son lieu de pêche. Depuis des mois voir des années les équipages, qu'ils soient arabes, catholiques, voir juifs, se connaissent et se fréquentent sans arrière pensée.
Aux environs de 16heures les chalutiers comme d'habitude sont de retour au port pour permettre le déchargement des cageots et la vente du poisson. La nuit tombée point de Marc Eric à l'horizon. Le propriétaire et les familles des marins sont inquiètes.
Le matin la nouvelle tombe comme un couperet. La Police espagnole prévient les autorités françaises de la présence du Marc Eric dans le port de Melilla. Seuls trois musulmans membres de l'équipage sont à bord. Elle précise que vu les traces de sang sur le bateau une enquête est en
cours.
L'on apprendra ensuite que les trois musulmans avaient égorgé les européens et les avaient jeté à la mer. L'un d'eux, le mousse, (cousin germain de ma femme) age de 15 ans : Aldeguer Joseph (jojo) après avoir été gorgé avait été attaché à l'ancre de marine et jeté par 600 mètres de fond.
L'ensemble des chalutiers partait le lendemain traîner leurs filets de pêche autour de la position donnée par la marine espagnole sans résultat.
Les assassins n'ont jamais été jugés, politique gaullienne oblige. Libérés après l'indépendance ils regagnaient tranquillement la ville où ils étaient accueillis en héros.
Les catholiques jugeront de la morale à tirer de cette affaire et des
autres.
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