NOTRE MÉMOIRE
L’ASSASSINAT DU LIEUTENANT ROGER DEGUELDRE
par José Castano |
« Le jour où
les « fells » entreront à Alger, j’espère trouver trois compagnons pour
garder les faces du Monument aux morts et tomber en tirant une dernière
salve de PM » - R.D –
C’est
quelques heures seulement après le génocide du 5 juillet 1962 qui, rappelons-le,
fit plus de trois mille victimes parmi la population civile européenne, que de
Gaulle prit sa décision de faire fusiller le lieutenant Roger
DEGUELDRE qui, fidèle à son engagement « La mort plutôt que le
déshonneur! », avait justifié son action dans l’OAS par ces mots : « Mon
serment, je l’ai fait sur le cercueil du Colonel Jeanpierre. Plutôt
mourir, Mon Colonel, que de laisser l’Algérie aux mains du FLN, je vous le
jure ! »
Le
lendemain, 6 juillet 1962, à l’aube, au fort d’Ivry, Degueldre se
présenta devant le peloton d’exécution en tenue de parachutiste, le drapeau
tricolore sur la poitrine, drapeau auquel il avait tout sacrifié et qu’il avait
choisi comme linceul. Autour de son cou, il avait noué un foulard de la légion.
Dans la poche intérieure de sa vareuse, il y avait la photo d’un bébé, son fils
qu’il n’avait jamais vu. Il avait conçu cet enfant dans la clandestinité. Le
bébé était venu au monde alors que le père se trouvait dans sa cellule de
condamné à mort.
« Dites que je suis
mort pour la France ! » s’écria-t-il à l’adresse de son défenseur. Puis il
refusa qu’on lui bande les yeux et, au poteau cria : « Messieurs, Vive la
France ! » avant d’entonner la Marseillaise. Les soldats qui devaient
l’exécuter, émus par son courage, hésitèrent à tirer. La première salve le
blessa seulement : Une seule balle l’atteignit sur les douze qui furent
tirées : au ventre dirent certains… au bras affirmèrent d’autres. Quoiqu’il en
soit, le fait certain c’est que Degueldre ne fut pas atteint de manière
décisive.
L’adjudant
chargé de donner le coup de grâce se précipita, l’arme à la main, pour accomplir
sa sinistre besogne et se rendit compte que le condamné était toujours en vie.
Sa tâche ne consistait désormais plus à achever un quasi-mort censé avoir reçu
douze bouts de métal… mais bel et bien de tuer un vivant. Et ce sont là
deux choses bien différentes... Il en eut si terriblement conscience, que sa
main pourtant préparée à cette macabre mission trembla, et que le revolver se
déchargea dans le vide.
Parmi
l’assistance, c’était la stupéfaction. Cette situation eut pour effet d’agacer
le procureur qui, réveillé un peu tard, n’avait pas eu le temps de prendre son
petit déjeuner. Et son estomac gargouillait. Mécontent, il fit signe à
l’adjudant de se dépêcher. Pendant ce temps, Degueldre, à demi
recroquevillé souffrait. Les coups de feu résonnaient encore à ses oreilles et
il se demandait quand son calvaire prendrait fin.
L’adjudant, toujours tremblant, pointa une nouvelle fois son arme sur la tête de
l’officier parachutiste, ferma les yeux et appuya sur la détente. Stupeur ! Rien
ne se produisit. L’arme s’était enrayée. Une rumeur monta de l’assistance.
Degueldre tourna la tête vers son exécuteur comme pour l’interroger. Aucune
haine dans son regard… juste de l’incompréhension.
Exaspéré
par cette situation – unique dans les annales de l’exécution - le procureur
ordonna qu’une nouvelle arme soit amenée. Mais personne parmi les militaires
présents n’en possédaient. Il fallait courir en chercher une… Et pendant ce
temps, Degueldre était toujours vivant... et il souffrait.
A partir
de ce moment là, tous les juristes s’accordent à dire que la sentence ayant été
exécutée, puisque le condamné étant encore en vie, il fallait le détacher du
poteau et lui donner les soins nécessaires. Autrement dit, on n’avait pas le
droit d’achever le blessé. Mais les ordres étaient formels ; Il fallait que
Degueldre soit tué ! Il incarnait à lui seul, l’OAS, cette puissance qui
avait fait trembler les Etats Majors, le FLN et l’Elysée… Il fallait exorciser
jusqu’à son souvenir.
Et pendant
que l’on s’affairait à se procurer une arme, celui qui, à cet instant, aurait pu
changer le cours des événements ne réagit point. Pétrifié par la scène, glacé
d’effroi, le défenseur du condamné demeurait inerte. Pourtant, il lui
appartenait de tenter quelque chose, de courir jusqu’au supplicié, de le prendre
dans ses bras et de le couvrir de son corps en invoquant la justice, en appelant
à l’amour, en exigeant au nom de toutes les traditions humaines et chrétiennes
qu’on fît grâce qu condamné. Cela s’était déjà produit dans l’Histoire quand la
corde du pendu avait cassé et que la grâce lui avait été accordée. Mais non,
l’avocat demeurait prostré, sans voix, mort… alors que Degueldre, lui,
était vivant et qu’il le regardait.
Enfin on
remit un pistolet à l’adjudant qui, blanc comme un linge, écoeuré par cette
boucherie… mais servile au commandement de tuer, devait en finir puisque tels
étaient les ordres et que le défenseur du condamné qui, seul avait qualité pour
tenter quelque chose, se taisait.
Un nouveau
coup de feu claqua. Stupeur ! Celui-ci fut tiré, non pas au-dessus de l’oreille
comme l’exige le règlement, mais dans l’omoplate… Une douleur atroce irradia le
corps du supplicié. Il regarda vers le ciel et ouvrit grand ses yeux. Peut-être
perçut-il à cet instant que son calvaire prenait fin. Il était tout illuminé des
illusions radieuses de ceux qui vont mourir et il lui sembla entendre, là haut,
les voix des martyrs du 5 juillet lui murmurer : « Roger… Roger… dès
aujourd’hui tu seras avec nous dans le Paradis ».
Puis une nouvelle
détonation retentit… et ce fut la fin.
C’est ainsi qu’après
Claude PIEGTS et Albert DOVECAR, Sergent au 1er Régiment Etranger
de Parachutistes, mourut, assassiné, le lieutenant Roger DEGUELDRE,
également du 1er R.E.P, Chevalier de la Légion d’honneur… Et les salves du
peloton couvrirent un instant les plaintes et les râles qui montaient d’Oran,
tandis que la France, en vacances, n’entendit rien. Et nous nous devons de ne
jamais oublier son ultime message adressé au petit peuple d’Algérie :
« Si je ne suis pas de leur race, ni né sur leur
sol, je les ai beaucoup aimés et je les aime toujours ! »
Huit mois
plus tard, le 11 mars 1963, le Colonel Jean BASTIEN-THIRY,
Polytechnicien, tombait à son tour à 35 ans, sous les salves du peloton.
Décidément, le crime
était profondément enraciné !…
José CASTANO
joseph.castano0508@orange.fr
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