DOSSIER
SECRET DES ACCORDS D'ÉVIAN
L'Agonie d'Oran
de Geneviève de
Ternant
Editions J Gandini - Calvisson |
DOSSIER SECRET DES ACCORDS D'ÉVIAN
Tom 3 - P.14 à 20
« La voix du combattant » a
publié en octobre 1997 le document ci-après. Ce journal est l'organe de
l'Union Nationale des Combattants. Monsieur de Leusse est un des
négociateurs des accords d'Evian. "Ce témoignage de première main
livré par un des importants acteurs de cette tragédie" a été rédigé
par M. Guy Mollard et nous est envoyé par M. Chamboulive, A.C.
officier de !a Légion d'Honneur que nous remercions vivement.
"Qui est Monsieur de
Leusse ?
Aujourd'hui, il gère avec son
équipe municipale, un des plus beaux villages de France, situé au bord du
lac Léman.
Mais, il y a près de quarante ans, il
représentait la France et le Général De Gaulle dans les
négociations qui ont abouti au cessez-le-feu entre l'armée française et le
F.L.N. algérien.
1962 la vérité historique
B. de Leusse
a accepté de lever le voile sur ces événements tragiques et d'apporter une
touche personnelle à la vérité historique.
Les présentations faites, B.
de Leusse commence son exposé. Devant lui, des notes.
---==oOo==---
" Je
veux parler avec respect"
annonce-t-il en introduction.
Et on se trouve très
rapidement au cœur du sujet. Pourquoi le drame algérien ?
Parce qu'on a refusé de
reconnaître certaines vérités. La première vérité, c'est qu'à cette
époque, la croissance démographique est importante en Algérie. Elle est
telle, qu'il n'y a pas assez de travail pour tout le monde. Le chômage est
l'une des sources du drame algérien. Ensuite, on n'a pas tenu compte de la
situation internationale et, surtout, on a ignoré l'impact créé par
l'indépendance de la Tunisie et du Maroc.
En 1958, douze nouveaux états
ont vu le jour en Afrique, et cela pouvait donner des idées à certains. Et
les politiques de l'époque ne voulaient pas que l'O.N.U. tranchât la
crise, donc on la minimisait.
En Algérie, n'étaient
citoyens que les Français et les Juifs. Les Européens s'agrippaient à leurs
privilèges. Tout le monde était figé dans un immobilisme lancinant. Les
ordres continuaient à venir de Paris, sans s'occuper des paramètres locaux.
Rien ne bougeait. Pendant ce temps, les accrochages s'amplifiaient, le nombre
des victimes augmentait. Et puis, aidés par les puissances voisines, les
Algériens ont pris conscience de leur force. Le comité national de la
résistance algérien est né.
Ce réquisitoire est net,
précis, limpide.
Et le général De
Gaulle arrive au pouvoir.
Nous sommes le 13 mai,
date charnière. De Gaulle arrive. Son objectif est simple, clair : il
faut résoudre le problème rapidement et
redonner à la France sa place dans le monde.
En cette année 1958,
l'armée française avait gagné la bataille sur le terrain.
Fort de cette situation,
il propose la paix des braves.
C'est un échec.
Il faut trouver d'autres
solutions. Ainsi sont évoquées :
- la sécession
- la francisation
- une fédération, dans une
Algérie algérienne.
Le principe de la
négociation avec le F.L.N. est accepté. Mais avec qui ? En plus, il faut
trouver des intermédiaires. Nombreuses sont les personnes qui veulent jouer
ce rôle pour se placer.
De Gaulle choisit des
gens neutres mais influents, les banquiers suisses.
A la fin décembre 1960, les
premiers contacts ont lieu à Genève.
En 1961, le 19 février,
les négociateurs ont enfin un visage. Du côté français, Pompidou et
de Leusse, de l'autre Boumenjel et Boularouf.
C'est donc à Lucerne que
la délégation française peut transmettre à ses interlocuteurs, et
directement, les ordres de De Gaulle.
L'Algérie pourra être
indépendante, mais les conditions sont précises :
-l'Etat
français n'aura rien à demander au futur état.
-la France ne veut
reconnaître le F.L.N.
-la France ne veut pas
abandonner Mers-el-Kébir.
La réponse est un
discours violent contre la France. Mais les négociations ne sont pas
interrompues. Les mêmes personnes se retrouvent à Neuchâtel le 26 février
1961. Vient ensuite une période de travail obscur et secret, parce que
les autorités françaises refusent toute communication à la Presse, et
craignent les réactions de l'O.A.S.
Le F.L.N. veut bien discuter,
mais les divergences sont nombreuses dans son camp, et cela bloque les
discussions.
Autre sujet de préoccupation :
où va-t-on discuter ?
Evian-Lugrin
Lieux de négociation.
En France, exige De Gaulle,
près d'une frontière suisse et de ses hôtels, rétorque le F.L.N.
On tombe d'accord sur Evian où
les négociations devraient commencer début mai. Le putsch d'Alger va-t-il
tout remettre en question ? Non. De Gaulle utilise cet événement pour
accélérer le processus dans les négociations.
Et les deux parties se
retrouvent le 20 mai 1961 à Evian à l'hôtel du Parc.
Joxe et des généraux
constituent la délégation française, Krim Bel Kacelm et Ben Yaya
représente désormais les intérêts algériens.
On travaille d'arrache-pied
pendant quinze jours. De Gaulle veut obtenir un cessez-le-feu rapide.
Une trêve française
unilatérale est décidée. Les Algériens sont décontenancés et mécontents.
Ils décrètent, en contrepartie, l'unité du peuple. Mais De Gaulle
s'obstine dans son refus de négocier sur le Sahara.
Les conséquences sont que, du
20 mai au 19 juillet 1961 les négociations sont suspendues.
L'espoir renaît
Mais, le 20 juillet,
elles reprennent à Lugrin. Pendant ce temps d'interruption, Ben Khedda
a pris la tête du gouvernement en exil. Le 5 septembre 1961, changement de
ton pour De Gaulle, il ne fait plus du Sahara une question de principe.
Les négociations peuvent se poursuivre, et, le 5 septembre, à Baie, les
délégués français remettent aux Algériens, pour la première fois, des
dossiers. Acte éminemment important qui contraint les Algériens à un
dossier réponse.
C'est ce qui se passe le 9
janvier 1962. Dès lors, les événements vont se précipiter.
Les interlocuteurs se
rencontrent à nouveau aux Rousses le 18 février 1962.
Une importante page de
l'Histoire de France est tournée, avec la disparition d'une grande partie du
territoire national, français depuis 1830, avant même la Savoie.
Des accords
Mais !!!
Mais il n'en reste pas moins que
les accords
d'Evian demeurent désespérément
vides, sans consistance aucune.
Le seul résultat positif
a été la signature du cessez-le-feu.
Et
-on a continué sur le
chemin des erreurs, en oubliant d'ouvrir à la France un avenir de
collaboration.
-On a complètement manqué
l'accueil des Français d'Algérie.
-On n'a pas défendu les
harkis, des dizaines de milliers d'entre eux ont été assassinés après.
Et aujourd'hui que se
passe-t-il ?
Les Français se sont retirés
depuis longtemps, et, pourtant, l'Algérie vit des soubresauts sanglants,
comme si la guerre n'avait jamais cessé. Pour B. de Leusse, il y a une
espèce de malédiction sur l'Algérie.
L'intégrisme est né à
cause de la présence d'un parti unique. Il faut restaurer la démocratie
et continuer à l'aider. Cela permettra à un pays béni des dieux et cher
dans le cœur des Français de retrouver sa dignité et ses vraies valeurs.
Les questions posées par les
participants après l'exposé nous ont apporté des réponses intéressantes,
sinon surprenantes. A celle posée à B. de Leusse pour savoir si les
accords d'Evian ont vraiment été signés par les Algériens, la réponse est
sans équivoque affirmative.
On apprend, également, que
15000 harkis seulement
sont rentrés en France et que tous les autres ont été massacrés.
Il semble également que la
paix des braves proposée par De
Gaulle soit un coup de
bluff.
L'O.A.S. a tenu, pendant cette
période tragique, un rôle non négligeable. Les Français d'Algérie ont
porté peu d'intérêt aux négociations. Ils ne souhaitaient aucune solution.
Dans le fond, c'est De
Gaulle lui-même qui a cru un certain temps, tenir la clef du problème.
Estimant que ce conflit empêchait le destin de la France de se réaliser, il
avait opté pour une confédération. Il ne croyait pas qu'on irait jusqu'à
l'indépendance totale et demeurait persuadé de conserver le Sahara. Ce fut
un échec très grave pour lui.
Si les négociations ont été
longues et difficiles, c'est aussi parce que les interlocuteurs algériens
manquaient de fiabilité. Il existait une grande rivalité entre les bandes,
d'où les difficultés à faire respecter les accords.
Enfin, information étonnante
pour les Hauts-Savoyards et, en particulier, les Chablaisiens : l'assassinat
de Camille Blanc, alors maire d'Evian, n'a pas perturbé les
négociations; mieux, il semblerait qu'il ne soit pas lié à celles-ci.
Deux heures d'information, deux
heures d'histoire qui m'ont passionné et ont passionné tous les présents,
puisque c'est un peu de notre histoire à nous anciens d'A.F.N.
G.M.
Il faut, aussi, ajouter
que, répondant à une question précise de C. Le Barillier, Bruno
de Leusse s'est déclaré tout à fait OPPOSE
à toute commémoration, officielle ou non, du 19 mars.
Nous remercions très vivement
Monsieur de Leusse pour son témoignage vivant et d'un intérêt
évident sur cette page d'histoire douloureuse pour notre Pays et qui, hélas,
est trop souvent, depuis 35 ans, émaillée de zones d'ombre et de non-dits.
Cf. Le Barillier Vice-Président
national
N.D.L.R :
Les accords ont été signés le 18 et le cessez-le-feu date du 19 mars 1962.
QUELQUES
COMMENTAIRES
Ce texte, que nous donnons
intégralement, tel qu'il a paru dans "La voix du Combattant"
appelle quelques commentaires. M. de Leusse est un des négociateurs
des "accords
d'Evian", son
témoignage peut, donc, apparaître comme un plaidoyer pro domo.
Nous lui accorderons, cependant,
qu'il fut et est, sans doute, encore sincère.
Il dit que la croissance
démographique est importante en Algérie, c'est exact et ça ne s'est pas
arrangé depuis.
Est-ce à dire que le chômage
est l'une des sources du drame algérien ?
Oui
et non.
Dans l'est du pays, où la
rébellion a éclaté, la présence française est peu importante, le mode de
vie est resté assez archaïque en dépit des efforts de l'administration
française, l'existence est rude, difficile, dans les Aurès et les Nementcha,
terres montagneuses et arides mais de chômage on ne peut réellement parler.
Attirés par l'espoir d'une vie meilleure, les hommes partent vers les villes
et vers la métropole où ils seront endoctrinés par le
parti communiste en
particulier.
Ce n'est pas le chômage, c'est
le travail hors des circuits traditionnels qui est une des sources du drame
algérien.
Que la métropole n'ait pas
fait le nécessaire pour qu'il y ait du travail sur place, en Algérie, pour
tous, c'est un débat qui est ouvert.
Nous possédons quelques
éléments à verser à ce dossier. M. de Leusse ose dire que les
"Européens
s'agrippaient à leurs privilèges".
Le privilège de
travailler de l'aube au crépuscule et d'en tirer une certaine aisance, bien
plus modeste qu'en métropole...
Il y a tant à dire !
Et, d'ailleurs, tout a été
dit et écrit mais, à force de
dire des mensonges, cela
passe pour la vérité.
Quant à l'O.A.S. que De
Gaulle craindrait au 19 février 1961, elle n'est rien encore et ne
prendra vigueur qu'après le putsch du 22 avril 1961.
Quand M. de Leusse
dit que "le
seul résultat positif a été la signature du cessez-le-feu",
ce fut au contraire une erreur funeste
: le FLN, pour
ne pas rompre cette fausse trêve, multiplia
les enlèvements et, aidé par les sbires de De Gaulle, Gardes
rouges, CRS et barbouzes, rendit
inéluctable le départ des européens et le
massacre des colons et des harkis.
Beau travail "Les
Français se sont retirés depuis longtemps"
mais pas leurs sous !
L'argent des
contribuables a continué de couler à flot et comme les oueds du pays, il
s'assèche avant d'atteindre le "mesquine", et fructifie dans les
banques suisses.
Non, M. de Leusse,
il n'y a pas la malédiction de Seth sur l'Algérie. Il y en a une sur la
France qui prend des baudruches pour des étoiles et De Gaulle pour un
visionnaire.
PRECISIONS
CONCERNANT LES "ACCORDS D'EVIAN"
Dans l'Agonie d'Oran Tome II,
page 7, nous écrivions qu'ils "avaient été signés par les délégués
du Gouvernement français et ceux du GPRA (Gouvernement provisoire de la
République algérienne) qui, en fait ne représentaient rien et
furent désavoués par
Ben Bella avant
que l'encre ne fut sèche".
La vérité est encore plus
curieuse. Nous devons à l'obstination de notre ami le Docteur Edmond Rosa
d'avoir obtenu la photocopie de la page de signature de ces accords.
S'ils furent bien
paraphés par les trois représentants mandatés du Gouvernement de la
République Française :
Louis Joxe, Robert Buron et
Jean de Broglie,
un seul des trois
représentants du Front de Libération Nationale, président de la
délégation du FLN,
Belkacem Krim y
apposa sa signature. Les deux autres "négociateurs" - qui n'avaient
rien négocié, puisque De Gaulle
consentait un abandon
total -
Saad Dahlab et Ben Yahia Malek, se défilèrent courageusement,
laissant à Belkacem Krim toute la responsabilité de défendre devant
les instances du FLN un texte
mal fichu, et
des dispositions tatillonnes
impossibles à mettre en œuvre sur le terrain.
Sa position au sein du GPRA,
ainsi que celle de ses amis, Boudiaf et Boussouf était très
précaire par rapport aux chefs FLN. Ben Bella qualifiant même le GPRA
"d'océan de
saleté"...
C'est dire la confiance que
l'on pouvait avoir dans ces soi-disant "accords" !
(cf. : "Le FLN,
mirage ou réalité" de Mohamed Harbi, p.322).
De fait, on s'aperçut vite que
ces "accords" n'étaient pas destinés à protéger les
populations européennes ou indigènes d'Algérie, dont le Gouvernement
gaulliste et le FLN se moquaient comme d'une guigne,
mais seulement à dissimuler à l'opinion
publique française la
retraite la plus honteuse et la plus insensée de l'histoire de France,
qui en a compté pas mal !
G.de Ternant
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