LETTRE OUVERTE
Au 1er Ministre
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Dominique de Villepin
11 juin 2006 |
Fronton, le 11 juin 2006
ANNE
CAZAL
Journaliste écrivain
Genève
Monsieur Dominique de Villepin
Premier Ministre
Palais de Matignon
57 rue de Varenne
75700 PARIS
Lettre ouverte
(Recommandée + A.R.)
Monsieur le Premier Ministre,
Hier, vous étiez à Oradour pour participer à la cérémonie commémorative du
massacre des habitants de ce village (642 victimes) perpétré par la
division SS Das Reich, le 10 juin 1944.
Votre discours, Monsieur le Premier Ministre, fut émouvant. Vous avez affirmé,
si ma mémoire est bonne : « La France se souvient de ses enfants massacrés,
ici comme dans d’autres villages... ».
Puis, vous avez évoqué les victimes de la Shoah, celles de la Résistance, allant
même jusqu’à vous apitoyer sur les enfants de Guernica, ceux de Lidice, de
Varsovie, de Srebrenica, etc...
Est-ce votre mémoire qui est chancelante, Monsieur le Premier Ministre, ou celle
des rédacteurs de votre discours ? Je n’ai pas rêvé, vous avez bien prononcé la
phrase suivante : « La France se souvient de ses enfants massacrés… ».
D’où vient cette amnésie sélective qui vous permet de vous souvenir de certains
Français massacrés et d’occulter d’autres massacres de Français, infiniment plus
importants et plus graves, tant sur le nombre des victimes que sur la barbarie
de leur mise à mort ?
Je ne vais pas vous
l’apprendre :
- Oradour – 10
juin 1944 = 642 morts
- Oran – 5 juillet 1962 = 3.000 morts et +
Est-ce que, par hasard, les Français d’Algérie ne seraient pas des «
enfants de France » ? Seraient-ils discrédités par les plus Hautes
Autorités de l’Etat au point d’être considérés comme des « sous-hommes »,
maintenus sous le boisseau du secret d’Etat, à défaut de pouvoir être expédiés,
manu militari, dans de nouveaux camps de la mort ?
Voici comment les « enfants de France » d’Oran ont été massacrés,
par milliers et en une seule journée : Ils furent étouffés dans des fours, gelés
dans des chambres froides, crochetés par la gorge aux abattoirs, débités dans
des boucheries, sciés dans des menuiseries, dépecés, décapités, écrasés sur les
chaussées… et j’en passe, tout cela, au faciès blanc, alors que 20.000 soldats
français, se trouvant sur place, restaient consignés dans leurs casernes, avec
interdiction d’intervenir, obéissant aux directives du général Katz
auquel De Gaulle avait donné l’ordre criminel suivant :
«
surtout, ne bougez pas… »
J’imagine donc aisément, Monsieur le Premier Ministre, que vous n’ayez pas voulu
associer à votre hommage ces malheureuses victimes françaises, uniquement parce
qu’il s’agit d’un crime d’Etat dans lequel est lourdement engagée la dictature
gaulliste, alliée et associée à celle du FLN.
J’imagine même, tant ce forfait épouvantable est empreint, à jamais, de
traîtrise, de lâcheté, tout autant de la part des auteurs que des responsables
indirects, à quel point il doit être difficile au Gouvernement français de
continuer à dissimuler, dans cette extermination, les responsabilités de la
France, aussi écrasantes et déshonorantes que celles de l’Algérie !
Mais malgré tous les efforts déployés pour l’occulter, ce crime contre
l’Humanité reste constitué, authentifié, indélébile, parce que, ce
jour-là, « des milliers d’enfants de France » ont été sacrifiés au
nom de je ne sais quelle politique aberrante de dégagement.
La boucherie d’Oran, à cause de l’ampleur de celle-ci et de la sauvagerie des
tueurs, restera le plus épouvantable génocide du XXème siècle, sur lequel je
souhaite, aujourd’hui, que notre pays ouvre, enfin, les yeux en exprimant enfin
la seule vraie repentance que mérite la tragédie franco-algérienne.
Dans cet espoir,
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à la considération
respectueuse que je dois à votre fonction.
ANNE
CAZAL
Journaliste écrivain
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