"l’Agonie
d’Oran"
de
Geneviève de TERNANT
(editions J.Gandini - Calvisson)
recueilli
P.170 et suivantes du Tome 1
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Témoignage de Monsieur Paul
OLIVA
Inspecteur principal des Télécommunications
(Direction Départementale des P.T.T.)
"Ce matin-la, vers 9 heures trente, des
groupes compacts d'Algériens, encadrés de scouts des deux sexes, habillés
aux couleurs vertes et blanches, défilèrent devant I'hôtel des Postes,
Place de la Bastille.
Si la masse était indifférente, quelques
énergumènes cependant ne nous épargnèrent pas des gestes pour les moins
désobligeants. Pour éviter tout incident, les volets de la Direction furent
fermés.
Une immense clameur s'élevant et ma curiosité
prenant le dessus, j'aperçus à travers les interstices d'un volet, un jeune
Algérien se hissant au sommet de la longue hampe du pavillon fixer un petit
carré vert et blanc. Je me trouvais à ce moment là dans le cabinet du
Directeur Départemental qui m'avait fait appeler. II me pria de régler un
différent au central téléphonique, rue d'Alsace-Lorraine.
De nombreuses opératrices refusaient de
pénétrer dans I'immeuble et plusieurs autres avaient spontanément
abandonné leur position de travail.
Rendu sur place, j'obtenais des précisions.
Les C.R.S. français qui avaient à charge la protection du bâtiment, faisant
preuve sans doute d'excès de zèle, vérifiaient le contenu des sacs à main
des agents féminins allant prendre leur service, exigeaient la présentation
renouvelée d'une pièce d'identité des agents masculins appelés à
pénétrer et à sortir de l’immeuble, en tenue de travail à différentes
reprises, pour exécution des travaux prescrits de raccordement des câbles.
Des explications qui me furent données, j'ai
principalement retenu ce commentaire :"Nous acceptons d'être contrôlé
par les A.T.O. (police du F.L.N.) puisqu'ils sont les vainqueurs mais pas par
les C.R.S. car ils n'ont plus qualité pour cela. "C'était la
démission de la France dans la pensée de cet agent dont les propos
étaient d'ailleurs approuvés par la grosse majorité de ses collègues qui
m'entouraient.
(1)-Il ne faut pas oublier que les CRS
français s’étaient rendu coupables de contrôle musclés et de
perquisitions sans douceur ainsi que de nombreuses arrestations,
interrogations et internements d’Européens durant les mois précédents.
Je me présentais alors au planton, demandant
à parler au responsable. Ce dernier s'abrita derrière les ordres reçus et
me donna I'adresse de son commandant d'unité. Voulant pénétrer à mon tour
dans le central en vue d'inciter les réfractaires à me suivre, je dus me
soumettre à une fouille sommaire accompagnée d'excuses fort courtoises. Je
fis demi-tour et invitais mon chauffeur à me conduire au casernement des
C.R.S. Quelques centaines de mètres plus loin, la circulation devenait très
difficile. Une marée humaine occupait les rues. Toute la population musulmane
des environs immédiats de la ville et vraisemblablement des douars pas trop
éloignés s'était jointe aux habitants des quartiers arabes d'Oran. Les
agents (A.T.O.) s'efforçaient de canaliser cette multitude. Je commençais à
avoir quelque appréhension. Mon chauffeur me dit brusquement :" Je
ne veux pas aller plus loin !".
"Quatre mois et demi-avant, notre
précédent directeur départemental, M. DEMARE avait été tué à
bout portant au moment où il sortait du véhicule conduit par ce même
chauffeur. Je compris très bien sa réaction et acquiesçais, ce qui me parut
le plus sage.
"De retour dans mon bureau, après un bref
compte-rendu verbal à mon supérieur, je visais comme chaque jour à la même
heure, les minutes des correspondances rédigées par les sections des
télécommunications. Quelques coups de feu se firent entendre à plusieurs
reprises mais j’étais habitué depuis de nombreux mois à des tirs
sporadiques.
A 11 h 55, soit dix minutes de retard sur l’horaire
normal de fin de vacation du personnel sédentaire de la Direction, j’abandonnai
mon bureau pour prendre le volant de ma voiture en stationnement rue Ramier.
Les coups de feu étaient plus fréquents et de moins en moins lointains. Ils
se précipitèrent. La panique commençait à gagner les gens. Je fis monter
dans mon véhicule une infirmière du Service Social des PTT, Mme PONS
et son fils qui demeuraient à proximité de mon domicile (Groupe de Lattre de
Tassigny).
Un groupe de trois automobiles allant dans la
même direction se constitua. J’empruntais spontanément un sens interdit
pour gagner du temps. Dans la ville, la fusillade s’accentuait.
Apres maintes hésitations, vers 15h, je repris
le chemin de mon bureau. Ma ligne téléphonique n’ayant pu encore être
rétablie, j’ignorais tout de la situation. Les rues étaient désertes. J’entendais
des coups de feu que je localisais aux alentours de l’Hôtel des Postes. L’inquiétude
me gagna.
Un Européen, en observation au seuil de sa
maison, rue Mirauchaux, ne pu me fournir la moindre indication.
Tout à coup un jeune Européen d’une
quinzaine d’années, dévalant à pied une rue transversale en pente me cria
: « Sauvez-vous, les soldats FLN tirent sur tout le monde ! ».
Je pris mes jambes à mon cou et cherchais à
pénétrer dans trois immeubles successifs. Les portes d’entrée étaient
fermées à clef. Je réussis à m’engouffrer dans une quatrième. Je me
trouvais dans une cour intérieure, genre patio. Je grimpais au premier étage.
Je fus entoure de commères qui me posèrent toutes à la fois une foule de
questions. J’étais haletant. On me fit entrer dans un appartement et boire
un verre de rhum. Un an plus tard, à la Rochelle, je devais incidemment
retrouver l’une de ces charitables personnes.
Lorsque le calme paru régner et me souvenant
que dans le quartier le réseau téléphonique était partiellement rétabli,
j'obtins une communication avec la Direction des P.T.T. C'est un de mes
collègues qui me répondit. Ils étaient enfermés dans les services. Les
ordres étaient de demeurer chez soi. J'appris ainsi I'arrestation d'une
trentaine de fonctionnaires et agents dans la cour même de I'Hôtel des
Postes.
Vers dix-sept heures, des cars de police
patrouillèrent dans la ville. Leur haut parleur diffusait un communiqué : «
En accord avec les autorités algériennes, I'ordre dans les quartiers
européens serait assuré par la gendarmerie française ». Des
applaudissements nourris saluaient chaque annonce.
Le lendemain 6 juillet, c'était devant la
Direction des P.T.T. le rassemblement de tout le personnel européen de la
ville. La grève spontanée, sans mot d'ordre syndical, était totale. Mon
directeur me pria d'assurer les fonctions de Directeur adjoint en I'absence du
titulaire du poste : Monsieur Roger JOURDE. Nous fîmes le point de la
situation. Par télex, nous rendîmes compte des évènements : 12 Musulmans
en uniforme et en armes avaient pénétré la veille vers 12 heures dans la
cour du bâtiment. Ils avaient tiré en I'air quelques rafales d'intimidation,
puis avaient conduit au Commissariat Central, 35 personnes prises au hasard.
C'était au moment du repas à la cantine des P.T.T. et des changements de
vacation, dans différents services, c'est-à-dire à un instant
particulièrement propice . La grève se poursuivit toute la journée sauf en
ce qui concerne notre petit état-major qui s'efforçait de recueillir des
éléments d'information. Peu à peu, la vérité se fit jour. Nous dressâmes
une liste des disparus. Par la suite, après diverses fluctuations, son
chiffre définitif devait être arrêté à neuf.
Quelles furent nos autres informations ? II
ressortit que les "personnes arrêtées furent libérées le jour même
vers 16 heures 30, grâce à I'intervention d'officiers français (zouaves). Mais
aucune autorité civile valable n'était en fonction. La Suisse, la
Finlande, la République Dominicaine avaient au moins un représentant
consulaire. Le consul de France et son personnel n'était pas encore en place.
La France cédait la nouvelle préfecture de 18 étages et I'ancienne de 4
étages à I'administration algérienne : elle manquait donc de locaux.
"Monsieur JOURDE, Directeur
départemental adjoint, s'était rendu du Commissariat centraI à I'Hôtel des
Postes. II avait fait monter à bord de sa 403, deux de ses voisins : Monsieur
DAVO, inspecteur central et Madame BETTAN, contrôleur principal
(épouse d'un instituteur, mère de 4 enfants}. Depuis,
plus de nouvelles de ces 3 disparus.
Un agent technique stagiaire, Monsieur LEGENDRE
à Oran depuis un mois, circulait dans une artère passante, la rue de
Mostaganem. II fut blessé à la joue par une balle et conduit à I'Hôpital
civil par deux de ses collègues. Notre assistante sociale dépêchée le
lendemain à cet établissement, n'a pas trouvé trace du séjour de
I'intéressé. II serait encore porté disparu.
Je n'ai plus présent à la mémoire, les noms
des 5 autres disparus.
Je me souviens d'un facteur, père de 3 enfants,
à qui j'avais facilité le déménagement d'Ain-Kial à Oran. Sa place était
jalousée. II avait subi des menaces avant le scrutin sur I'indépendance.
J'ai personnellement aidé un jeune agent
d'exploitation à rédiger son rapport. Bouleversé, il était incapable
d'écrire. II m'a relaté que, réfugié dans un couloir, des Musulmans armés
avaient invité à les suivre les personnes appartenant à la police ou à la
magistrature.
L'un de mes collègues, Inspecteur principal :
Monsieur CASTELLANO avait été entouré d'Algériens. Les mains liées
derrière le dos, il avait subi sarcasmes, crachats au visage et coups de
pieds aux fesses. Amené en camion dans un local et sa qualité ayant été
connue, il fut I'objet d'une allocution d'un lieutenant de I'A.L.N. On lui
demandait de comprendre son rôle et ses devoirs dans I'Algérie nouvelle qui
manquait de techniciens (1). comparer
ce témoignage à celui de Monsieur Antoine Martinez à propos de son cousin
Philippe CASTELLANO. p. 158.
Le secrétaire fédéral P.O. des P.T.T., M. Emile
ECOFFET, qui devait embarquer dans I'après-midi du 5 juillet pour passer
son congé annuel en métropole, fut entouré dans la matinée par une bande
d'énergumènes musulmans alors qu'il était au volant de son auto. La
présence bien opportune d'un petit porteur de télégrammes, arabe qui
intervint auprès des agresseurs ,lui sauva sans doute la vie. Monsieur ECOFFET,
en bras de chemise, sans bagage, sans véhicule et sans pièce d'identité,
gagna la France par le premier courrier maritime qu'il put emprunter.
"Personnellement, je fus frappé par la
disparition d'un cousin germain : Monsieur Jules GALINDO, brigadier de
police, père de 3 enfants. II avait été muté en France et persuadé qu'il
n'avait rien à redouter, il avait, le 5 Juillet, continué à procéder à la
passation des services au garage de la police.
Aussi le 7 juillet, la grève du personnel des
P.T.T. persistait, le chef de cabinet du premier I.G.A.M.E. algérien se
rendit auprès de mon directeur. Je fus chargé des contacts entre grévistes
et I'autorité préfectorale. Nos entretiens avec le personnel furent
pathétiques. C'était pour tous les Européens, la hantise d'être pris dans
une souricière. Nous réussîmes à faire promettre publiquement (dans la
cour de I'Hôtel des Postes) au chef de cabinet que tout agent muté ou devant
prendre son congé en France ne rencontrerait aucune difficulté pour son
départ.
Quelques reprises de service s'en suivirent, et
jour après jour, des réfractaires regagnèrent leur bureau d'attache. Mais
tous les agents en congé en France faisaient parvenir des certificats
médicaux et d'autres dont le tour de départ arrivait, pouvaient emprunter
sans encombre bateau ou avion. Les effectifs étaient plus qu'insuffisants.
Tous les télégrammes en provenance ou à destination de la France étaient
chaque soir transportés par avion en raison de I'insuffisance en personnel
qualifié et de I'accroissement subit du trafic consécutif aux événements,
aux retards dans I'acheminement postal et au nombre restreint d'installations
téléphoniques en service. De nombreux bureaux de poste durent être
momentanément fermés.
Le 18 juillet, un coup de téléphone du chef
du centre de tri postal Oran - St Charles, Monsieur Gabriel SEGURA,
m'informait, en tant que Directeur départemental des P.T.T. par intérim, de
la disparition d'un préposé conducteur, Monsieur René TOURNEGROS.
Quelques jours avant, il accompagnait à I'embarquement, son beau-frère,
Monsieur LOPEZ ,lorsqu'à la grille du port, des A.T.O avaient invité
les deux hommes à les suivre.
La 4 CV du manquant avait été aperçue en
stationnement devant la nouvelle préfecture. Le Directeur des P.T.T. n'ayant
pu réussir à se mettre en rapport avec I'l.G.A.M.E. ou son secrétaire
général (Maître Ben Abdella, un des défenseurs à Paris d'Ahmed
Ben Bella) contacta Monsieur Ben Bassal Benouada, agent du central
télégraphique d'Oran en disponibilité depuis 6 ans et qui devait être
nommé directeur départemental au départ du titulaire français.
"M. Ben Bassal fit connaître qu'il
s'agissait d'UNE AFFAIRE MINEURE qu'il convenait de considérer d'ores et
déjà comme classée. Elle fut en effet définitivement classée le 15 août
1962, lorsque, dans une citerne abandonnée à 15 kms d'Oran, une patrouille
de soldats français devait découvrir parmi des cadavres, ceux de MM. TOURNEGROS
et LOPEZ. Le corps de M. TOURNEGROS,
le crane fracassé et les deux avant-bras coupés, fut identifié
grâce aux séquelles d'une intervention chirurgicale à la plante des pieds".
Interrogé sur le point de savoir s'il avait
existé sur les toits de la poste centrale d'Oran, un émetteur de T.S.F. et
si ce poste avait, dès midi, émis des appels au secours, le témoin, M. Paul
OLIVA répondit que la rumeur en circulait effectivement les jours
suivants.
Ce point parait aujourd'hui certain : voir à
ce sujet ('article de Claude PAILLAT paru dans "Le Méridional- La
France" le samedi 24 juin 1972 : Annexe III.
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P.158 du Tome 1
du livre l’Agonie
d’Oran - de G. de Ternant.
Témoignage
de Monsieur Antoine Martinez
concernant
PHILIPPE
CASTELLANO
"Mon cousin Philippe
CASTELLANO, ce jour-la, a été enlevé par les troupes de I'A.L.N. et
maltraité par la foule. Après I'avoir ligoté avec du fils de fer pieds et
mains liés derrière le dos on lui a donné des coups de pieds et il allait
être égorgé. II fut sauvé par un facteur musulman qui courageusement
insista avec force pour qu'il soit épargné, vantant la bonté de Philippe
pour tous ses subordonnés y compris les musulmans. Dieu récompensa sa
générosité : il fut libéré".
LOPEZ
beau-frère de M. René
TOURNEGROS
Disparu le
18 juillet 1962 enlevé à la grille du Port d'Oran peu avant le 18 juillet
1962
Retrouvé mort le 15 août 1962
dans une citerne abandonnée à 15 km d'Oran
TÉMOIGNAGE
: Lettre de M. Paul Oliva ci-dessus.
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