TÉMOIGNAGE
DE M. PIERRE SIMON ADRESSÉ
A
MME GENEVIÈVE DE TERNANT
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Chère Madame,
Comme suite à notre rencontre d'hier soir, je vous
adresse ci-joint les documents en ma possession concernant les mitraillages
exécutés sur l'ordre de Katz en avril 1962.
Ces documents concernent le premier mitraillage
que nous avons subi, le 12 avril 1962, vers 20 heures, mais qui a été
suivi par de nombreux autres. Ces tirs se faisant sans préavis, en
général à la tombée de la nuit, je vivais dans la terreur que mes enfants
(5 et 6 ans) ne s'échappent sur le balcon. Aussitôt que cela m'a été
possible j'ai expédié mon épouse et mes enfants en Métropole, décidé
pour ma part à rester en Algérie... Je me suis installé chez un ami,
originaire comme moi d'Alger, et dont l'épouse était également partie en
Métropole. Il était difficile, dans la partie de la ville dans
laquelle se trouvait son appartement (près de la rue d'Arzew), à la
soldatesque de Katz d'exécuter ses tirs terroristes.
Ces documents sont les suivants :
- Ma "Déclaration de Dommages"
souscrite au Commissariat de Police. En réalité, j'avais déposé une
plainte pour "tentative d'assassinat par personnes non identifiées"
!!!
- L'estimation des reconstitutions établie par l'expert
commis pour l'expertise des dommages retient 26 trous
de balle. A la suite des tirs ultérieurs ce nombre peut facilement
être multiplié par 2 ou même 3. Je n'ai pas eu la possibilité de les faire
expertiser, et ma nouvelle déclaration de dommages n'a pas été admise par
confusion avec ma première déclaration.
- 21 photographies (copies réalisées à partir des
originaux, eux-mêmes mal conservés...). Je n'ai malheureusement pas pu
conserver les négatifs.
Mon appartement était situé au 13° étage de
l'immeuble situé en face de la Nouvelle Préfecture d'Oran, visible sur la
photo n°17. Ces photos ont été prises dans mon appartement, dans
l'appartement d'un voisin et ami, M. Angot, situé au 14° étage.
Ces photos sont décrites ci-après. Elles font
apparaître que les tirs effectués n'étaient pas des tirs d'intimidation,
ainsi que Katz l'a prétendu, mais des tirs réels destinés à tuer.
Je me réfère à la balistique. Si Katz souhaitait seulement intimider
la population, il s'en serait tenu à des tirs exécutés depuis le sol. La
trajectoire nécessairement oblique des projectiles ne leur permettait que
d'atteindre les plafonds. Les résidents n'auraient pas eu grand chose à
redouter. Mais Katz avait fait installer des armes automatiques, voire
des armes lourdes, sur la terrasse de la nouvelle Préfecture, en face
de notre immeuble. De sorte que les tirs n'étaient plus obliques, mais
directs et pénétraient à l'horizontale dans les appartements. Les
résidents étaient en réel danger de mort, et c'est miracle qu'il
n'y ait pas eu plus de victimes.
Nous nous réfugions dans les couloirs dans lesquels nous avions disposé des
sacs de sable. La photo 5 montre un impact à mi-hauteur de la cabine de
douche, la photo 18 fait apparaître un impact de balle à l'intérieur de
l'appartement, à mi-hauteur de l'armoire à glace, la photo 20 montre un
impact à hauteur de la table de nuit.
(Voir Tome 3 d’Agonie d’Oran)
…
…
Ces documents se passent de commentaires...
J'ai, par ailleurs, constitué un petit dossier me
concernant personnellement, mais qui peut-être pourrait vous intéresser dans
la mesure où il éclaire le comportement de l'Etat
français à l'endroit de ses fonctionnaires en Algérie. Je le
tiens à votre disposition. Ma situation personnelle est parfaitement
résumée dans la question écrite du 8/08/1962 posée au Premier Ministre par
M. Godonneche.
Je détiens l'original de la lettre évoquée dans ce
document. J'ignore la suite réservée à cette question écrite, mais ma
situation n'a certes pas évolué.
Pour terminer, je vous joins dans son intégralité (y
compris les détails à caractère personnel) la copie d'une lettre datée du
26/08/1962, reçue d'une amie de mon épouse. Cette jeune fille s'était
installée dans notre appartement pour s'y réfugier, et avait eu la
gentillesse de s'occuper du déménagement de notre mobilier. Nous l'avions
entrepris davantage par nostalgie que par intérêt pratique. Le coût de ce
déménagement dépassant le prix du mobilier transporté (j’ai dû
acheter un container, et payer le prix fort pour son transport...).
Ce mobilier nous est arrivé après une assez longue
attente, mais nous sommes restés sans aucune nouvelle de cette jeune fille,
espérant tout de même qu'elle a pu s'en tirer. Nous n'avions aucune
possibilité pour la joindre, elle seule avait notre adresse. Le dernier
contact que nous ayons eu avec elle est un très court appel téléphonique
nous annonçant simplement le départ du mobilier.
Mais si je vous adresse la copie de cette lettre, c'est
parce qu'elle décrit ce qu'était la vie quotidienne à Oran à cette
époque. Cette lettre ne vous laissera pas indifférente, puisque vous avez
connu cette belle ville d'Oran.
Croyez, Madame, en l'assurance de mes sentiments les meilleurs
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Une mitrailleuse lourde était
installée sur la terrasse d'un immeuble du côté pair de la rue d'Arzew
probablement vers le numéro 50. Elle prenait en enfilade les immeubles du
côté impair. Des balles ont traversé les volets et les vitres du 47 rue
d'Arzew où je résidais au deuxième ainsi que mes parents au troisième.
Mes deux jeunes enfants et moi-même avons vécu durant plus de trois mois
à quatre pattes dans les pièces qui pouvaient être atteintes, et
volets fermés malgré la chaleur. Ou ne savait jamais ni pourquoi ni
quand les gendarmes mobiles qui, à ma
connaissance, occupait cette position, se mettaient à tirer. Intimidation
? Oui, puisqu'il s'agissait de nous faire peur et de nous faire fuir. Volonté
de tuer ? Sans nul doute, la vie
des pieds-noirs ne valait….
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