Ambiguïtés du nationalisme algérien
Par
Philippe
CONRAD
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«
Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne,
parce que cette patrie n'existe pas,
J'ai interrogé l'histoire,
j'ai interrogé les vivants et les morts ;
personne ne m'en a parlé...»
écrivait Ferhat Abbas en 1936.
Ces lignes de Fehrat Abbas, future figure de la lutte pour
I'indépendance, résument parfaitement las ambiguïtés du nationalisme algérien.
Les réactions indigènes à la domination coloniale pouvaient difficilement se
confondre avec un mouvement • nationaliste • impliquant I'existence préalable
d'une • nation • Introuvable.
Inspirée par le mouvement islamique des Ulémas du Cheikh Ben
Badis ou par les revendications plus politiques de Messali Hadj, le
nationalisme algérien de la première moitié du XXème siècle pouvait
difficilement chercher ses références dans une indépendance confisquée.
L’Algérie, dont le nom n’apparaît qu’en 1831, par décision
française, n’a jamais constitué au cours de l’histoire un ensemble politique
cohérent.
Intégrée au vaste bloc berbère, l'Afrique du Nord-ouest durant la Haute
Antiquité, elle a reçu ensuite une empreinte
phénicienne,
puis carthaginoise demeurée
superficielle.
Vainqueur de Carthage à l'Issue des guerres puniques, les Romains soumettent les
Numides qui avaient bâti autour de Cirta, l’actuelle Constantine, le puissant
royaume de Massinissa. Intégrées cependant à l’Empire, les provinces d’Afrique
du Nord comptent parmi les plus riches. L’irruption des Vandales du début du V
ème siècle, la reconquête byzantine des provinces orientales de l’ancienne
Afrique romaine au siècle suivant,
puis
la conquête musulmane conduite par Sidi Oqba en 683 ne permettent pas de
cerner une identité propre. Le pays, qui avait un foyer du premier
christianisme, adopte rapidement la foi du Prophète.
Zirides
et Hammadides
n'exercent qu'un pouvoir localisé à l’est, avant que le calife fatimide
d’Egypte ne lance contre l’Afrique du Nord berbère les nomades arabes
hilaliens. Ils y imposeront un mode de vie et un système prédateur qui ruineront
les populations sédentaires, contraintes de se replier sur les refuges
montagneux.
L'ouest algérien (jusqu'au cours du Chélif) fait partie ensuite de l’empire
marocain des Almoravides. La fin de cet empire marocain permet l'émergence, dans
la première moitié du XIII siècle,
du royaume abdelwalide de Tlemcen qui dure jusqu'au milieu du XVI
siècle. À cette date. les corsaires turcs se sont installés depuis
1516 à Alger, alors que la
Reconquista ibérique multiplie les presidios sur les cotes du Maroc
et d’Oranie.
Comme
Tripoli et Tunis, Alger dépend désormais de la Sublime Porte et le sultan
ottoman tiendra toujours à faire valoir ses droits,
même
après 1830. À partir de 1587, la régence est administrée par un pacha gouvernant
au nom du sultan et appuyant son autorité sur l’odjak des janissaires fournis
par le pouvoir ottoman. Le déclin de l’empire et l’éloignement de Constantinople
laissent cependant aux maîtres d'Alger une large autonomie, qui correspond à
l'apogée de la course barbaresque . A partir de 1671, c’est l’odjak des
janissaires qui élit le dey dont la désignation est ensuite confirmée par le
sultan.
La vie
politique de cette république militaire dominée par la soldatesque et la
corporation des corsaires n’est pas de tout repos.
Sur
les vingt-huit deys qui se succédèrent de 1671 à 1830, quatorze
furent portés au pouvoir par l'émeute ou à la suite de l'assassinat de
leur prédécesseur. En fart, les deys ne gouvernaient qu'une faible partie de la
régence. Les hauts plateaux du Tell, les montagnes de Kabylie et le massif des
Aurès – pour ne rien dire des confins sahariens – échappaient totalement à leur
autorité. Celle-ci s'exerce essentiellement dans le domaine fiscal et les
populations sont
régulièrement pressurées par la force. Pour Chartes-André
Julien, « la régence d'Alger n'était qu’une colonie
d'exploitation dirigée par une minorité de Turc, avec le concours de notables
indigènes… »
Les
dix mille Turcs recrutés en Anatolie, à Smyrne ou à Constantinople qui
constituaient, avec cinq mille métis. l'odjak des janissaires algérois formaient
une aristocratie manifestant le plus grand mépris pour les Maures et tes Juifs
des villes, pour ne rien dire des Arabes
des
tribus, assimilés à la raia. c'est à dire au • bétail • chrétien de
l'empire ottoman. La régence avait connu son apogée à l'époque où la course
barbaresque amenait chaque année à Alger des dizaines de prises et où 35 000
captifs y attendaient d'être vendus comme esclaves ou rachetés grâce aux
bons soins des lazaristes ou des mercédaires. Les expéditions navales qui
avaient bombardé la ville à plusieurs reprises à l'époque de Louis XIV et
la lutte menée par les galères de Malte avaient limité
sensiblement les ravages de la course mais, au début du XIX siècle,
sept puissances
européennes, dont l'Angleterre, payaient encore un tribut au dey pour éviter
que leurs navires ne soient pris.
Alger demeurait un problème qui ne sera réglé qu'en 1830.
La
régence comptait à l'époque un
peu
moins de trois millions d'habitants, dont 95 % de ruraux,
utilisant un outillage
archaïque, ne pratiquant
qu'une irrigation très sommaire et n'obtenant sur leurs terres que de très
faibles rendements.
Certaines régions produisaient pourtant des surplus de blé qui constituaient
alors l'essentiel des exportations algériennes, un commerce contrôlé par les •
Juifs francs • de Livourne, notamment Michel Cohen Bacri et Neftali
Busnach dont les fameuses créances joueront un rôle dans la crise qui
conduira à l'intervention française en 1827. puis en 1830.
Alors
qu'elle était au XVII siècle une cité peuplée de 100 000 habitants, Alger
n'en compte plus, avec le déclin de la course, que
30 000 en
1830.
Oran n'en a plus que 9 OOO après l'abandon espagnol.
Les routes
carrossables sont inexistantes. Il faut neuf jours pour aller d'Alger à
Constantine.
De rite hanéfite,
les Turcs étaient perçus comme des étrangers dans un pays fortement marqué par
un malékisme rigoureux.
En 1805, les Turcs
doivent abandonner Mascara et se retrouvent assiégés dans Tlemcen.
Le
sentiment tribal et les solidarités nouées au sein des confréries ne suffisent
pas cependant à créer une conscience « nationale ».
Philippe CONRAD
Détail intéressant recueilli dans un message de
Bernard Coll
Secrétaire général de JPN
en
date du
Monday, July
05, 2004 3:45 AM
http://perso.wanadoo.fr/jeunepiednoir/jpn.wst
Ne
faut-il pas demander que le mot Algérie, de création française, serve à désigner
le pays créé par la France durant la période 1830 -1962? Le mot Djézair
servant quant à lui à désigner le pays créé, toujours par la France, le 3
juillet 1962.
Le très beau texte "Le pays sans nom" publié dans "Terres et Hommes
d'Algérie" de Marcel Amrouche (Baconnier Alger 1956)
donne la justification de cette position.
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