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LE NATIONALISME ET L' I S L A M 
LE DJIHÂD ALGERIEN 
Recueilli par Sivéra

Laïcisme ? Socialisme ? Nationalisme ?

Au temps de la guerre d'Algérie, l'intelligentsia française
regardait le FLN à travers ses bésicles.

Et si le combat pour l'indépendance n'avait été que
la version modernisée de la guerre sainte ?

PAR JEAN GRONDIN
( Source : "Enquête sur l'Histoire -Hiver 96-pages 39/40/41 )

Récemment à la télévision, lors d'un débat sur l'assassinat du général Rabin par un extrémiste juif, Pierre Lellouche, député RPR et proche de Jacques Chirac, compara la situation actuelle en Israël à celle de l'Algérie à la veille de son indépendance, ce à quoi Josette Alia, journaliste sénior au Nouvel Observateur, rétorqua aussitôt que cette comparaison ne pouvait tenir car l'Algérie de 1960 n'était animée par aucun extrémisme religieux...

Madame Alia ne voyait pas plus loin que le bout de son petit nez : la guerre d'Algérie (1954-1962) fut vécue de bout en bout, par la quasi-totalité des nationalistes algériens, comme un combat mené au nom de Dieu, comme un djihâd . Ceux que notre presse appelait bêtement fellagas étaient sans doute les « coupeurs de route » que désigne ce mot en arabe mais entre eux, et chez leurs partisans musulmans, ils s'appelaient moudjahid (au pluriel moudjahidin ) «combattants de la guerre sainte » .

L'organe depuis 1956 du Front (algérien) de libération nationale (FLN), le plus violemment et constamment anti-français de tous les journaux nés dans les décombres de notre empire colonial, s'intitula et s'intitule d'ailleurs toujours
El Moudjahid .

De même se considérèrent comme moudjahidine les guérilleros urbains dans l'Iran des Pahlavi finissants, les maquisards anti-soviétiques des montagnes afghanes et ainsi de suite partout où des musulmans, depuis un millénaire et demi que l'islam existe, ont guerroyé contre des
« renégats » (mahométans réputés déviants) des « mécréants » (chrétiens ou israélites réputés hostiles aux musulmans) ou des « païens » (fidèles de toute autre confession que celles de Moïse, Jésus ou Mahomet).

Lorsque les soldats de Charles X s'emparèrent d'Alger en 1830, Paris proclama aussitôt que les Français respecteraient en Algérie la foi, les femmes et les propriétés des habitants de la régence barbaresque. Sauf sur ce dernier point, ils tinrent parole. À en croire certains intellectuels « démocrates » algériens réfugiés aujourd'hui en France, le colonisateur est coupable de ne pas avoir « dé-islamisé » l'Algérie ou tout du moins de ne pas avoir tenté de « moderniser » l'islam, de le « kémaliser » à cela près que tout le travail d'Atatürk est à présent remis largement en cause par les musulmans de Turquie eux-mêmes...

En Algérie, il est certain que l'islam est la seule croyance importée qui a réussi, en vingt-cinq siècles, de Baal à Marx, à marquer en profondeur l'âme indigène et que, sans le Coran, l'affrontement entre le nationaliste autochtone et le conquérant européen aurait été cent fois moins âpre. La société coloniale française, en s'ouvrant plus tôt à l'intégration des Arabes et des Berbères, aurait-elle favorisé l'éclosion d'un islam moins radical ?

Rien n'est moins sûr : pour s'en persuader, il suffit de se remémorer une retentissante fatwa déjà ! - émise en Algérie en 1931 par le très respecté théologien Abdelhamid Ben Badis (1889-1940) , alors chef de file de l'Islah , l'islam « réformateur » et « modéré » . Fatwa , c'est-à-dire « avis théologique autorisé » , demandé en l'espèce par l'Association des naturalisés français ? en d'autres termes par des musulmans passés du statut de «sujet » français à celui de « citoyen » français, et ayant donc dû renoncer à l'application de la loi islamique pour eux et leur famille (renonciation à la polygamie, à la répudiation, aux privilèges successoraux des mâles : acceptation de l'adoption juridique, etc.).

Voici donc ce que répondit sans ambages à ces Français musulmans l'éminent cheikh algérien :

« Tout naturalisé est un apostat dont on ne peut accepter le repentir que s'il revient à une nationalité islamique [ ... ] quant au musulman (non naturalisé) qui épouse une Française, chrétienne ou juive, sachant que les enfants qu'il aura d'elle seront automatiquement français, ce qui les soustrait à l'application de la loi islamique, il est apostat. »

Cette fatwa, délivrée sans entraves en Algérie française, par celui que ses coreligionnaires appelèrent et appellent encore « l'imam du siècle » , approuvée par l'autre grande conscience musulmane institutionnelle algérienne du temps, le cheikh Larbi Tebessi , résume en elle une infinité de choses : la révolte islamique généralisée que les Français auraient sans doute dû affronter s'ils avaient francisé autoritairement d'un seul coup tous leurs sujets musulmans des départements d'Afrique du Nord ; le ressort politico-religieux du mouvement nationaliste algérien y compris dans son prolongement « islamiste » actuel ; et, last but not last, le refus présent de bien des musulmans de France d'adhérer à la nation française.

En 1967, une circulaire gouvernementale interdisait la célébration en Algérie du mariage de musulmanes, même étrangères, avec des non-musulmans, même algériens. Trois lustres plus tard, le Code de la famille algérienne reprit à son compte, malgré les cris de quelques rares féministes du cru, la plupart des grandes institutions de la charia, le droit « divin » découlant du Coran et de la Sunna. Plus de cent attentats meurtriers contre des étrangers ont frappé en Algérie depuis 1994 essentiellement des chrétiens, et nombre de prêtres ou religieuses - sans qu'il soit possible d'ailleurs d'attribuer sûrement ces crimes à telle organisation clandestine ou à tel service secret gouvernemental.

Ces violences antichrétiennes, racistes au sens que l'on donne à ce mot en France aujourd'hui, n'étaient pas vraiment une innovation sinon par leur caractère massif Depuis l'indépendance, et bien que, globalement, la population algérienne ne se soit pas montrée hostile
aux roumis et autres gaouris (appellations courantes peu amènes, réservées outré-Méditerranée aux non-musulmans européens), des assassinats « confessionnels » ont régulièrement eu lieu , depuis le père Georges Rogé , curé de Tizi-Ouzou, chef-lieu de Grande-Kabylie en 1972 jusqu'à Gaston Jacquier , évêque auxiliaire d'Alger, en 1976, en passant par le poète pied-noir (mais nationaliste algérien), Jean Sénac , dont le meurtre, commis en 1973, probablement par des sbires d'une branche ultra-religieuse du FLN, fut maquillé en affaire de moeurs...

Tout musulman naturalisé est apostat

En 1981, le ministre algérien des Affaires religieuses, Abderrahmane Chibane , proclama sans détour :

« Quiconque nie le caractère obligatoire du jeûne, mérite la peine capitale ! »

Dès le premier ramadan de l'indépendance, un Kabyle mangeant en public avait été laissé pour mort par la foule.

En 1989, une fatwa encore une ! - du cheikh Hamani , théologien proche du FLN et ancien responsable du Conseil supérieur islamique d'Algérie, ressuscitait la célèbre consultation de Ben Badis , en réitérant que

” tout musulman naturalisé français [ ... ] est apostat selon la parole de Dieu [ ... ]. La naturalisation en France est très dangereuse car les enfants dit naturalisé grandissent dans un milieu français, chrétien, fanatique, hostile à l'islam » (sic)”.

Petit à petit, derrière la façade d'un « progressisme » économique et social fortement teinté de socialisme policier à la soviétique, l'Algérie du FLN bâtit, ou plutôt codifia, une Algérie islamique déjà présente de facto puisque les Français n'avaient jamais osé abolir le statut personnel musulman.

Le jour qui, tôt ou tard, peut arriver, où des islamistes algériens, qu'ils soient ou non du FIS, parviendront sous une forme on sous une autre au pouvoir à la place des militaires héritiers du FLN, ils n'auront finalement que très peu de mesures à édicter pour compléter la pyramide musulmane : rétablissement d'une part de la
djizya , l'impôt spécial dû par les seuls mâles dhimmis , d'autre part des châtiments judiciaires corporels, deux spécialités de l'ordre coranique supprimées par la France coloniale ; Instauration d'un système bancaire non usuraire. Aucun islamiste algérien n'a du reste publiquement réclamé, pour le moment, l'une ou l'autre de ces trois mesures.

L'Algérie islamique, ménagée par le régime colonial mais blessée par la seule présence de ce pouvoir ressenti avant tout comme « infidèle » , l'Algérie islamique, âme et ressort de la guerre d'indépendance puis ligne de conduite majeure de l'État-FLN, habilement dissimulée aux observateurs occidentaux qui ne demandaient d'ailleurs qu'à être aveugles. En septembre 1991 encore, l'ex-porteur de valises en chef, Francis Jeanson , estimait benoîtement, dans Le Nouvel Observateur, qu'en Algérie « le problème de l'intégrisme est au troisième rang » , derrière « l'explosion démographique » et le « poids excessif des revenus du pétrole dans l'économie » .

Cette Algérie fidèle au Coran, à Mahomet et aux califes, rejette aujourd'hui les épigones bottés du FLN pour leur gigantesque échec économico-financier et leur dictature flicarde certes, mais aussi et surtout pour leur absence de fierté arabo-islaniique extériorisée, même si le système social qu'ils ont favorisé n'est pas fondamentalement anti-musulman, au contraire.

Qui ne prend pas assez en compte, en islam, le poids de la fierté personnelle et communautaire, surtout dans un terroir de rugueux montagnards comme l'Algérie, s'expose tôt ou tard à de violentes réactions...

L'islamisme algérien était déjà tout entier contenu dans le programme nationaliste de 1954, en tout cas dans le coeur et l'esprit des moujahidine ; il s'est partiellement épanoui sous le règne du FLN ; il veut maintenant régner sans limitation, alibi ou paravent. Dans ce cas, l'apaisement viendrait alors probablement sur l'Algérie - et sans doute aussi, bientôt, de nouvelles désillusions, mais c'est là une autre histoire...

J. G.

Jean Grondin est journaliste, auteur de plusieurs études sur la société musulmane.
Il a longuement séjourné en Algérie après 1962.

Bibliographie :

Omar Carlier, Entre nation et djihâd,
Presses de la Fondation nationale française des sciences politiques. 440 pages. 1995.

François-Paul Blanc, Le Droit musulman, Dalloz. 140 pages. 1995.

Numéro spécial de la revue « Panoramiques »,
Les Malaises franco-arabes de A jusque Z, 230 pages, 1er trimestre 1992.

Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Le Radeau de Mahomet,
Flammarion, 250 pages. 1983.

Villes du Sud, Payot, 1993.



 
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