Le Putsch : Une pièce de plus
au dossier
Par A.Martinez
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Voici le témoignage du Général
Edmond Jouhaud
tiré de son livre "Ce
que je n'ai pas dit"
Le cas du colonel Brothier est aussi caractéristique. Il est à la tête
du 1er Étranger à Bel-Abbès. Son commandement est d'autant plus important
que Bel-Abbès est la maison mère de la Légion et que son engagement peut décider
du comportement des hésitants.
Si, en décembre 1960, il a refusé les propositions du général Gardy,
ancien inspecteur de la Légion, il semble avoir évolué entre-temps. Il
profite d'un séjour en France pour rencontrer, le 22 janvier 1961, le
colonel Argoud: « Neuf sur dix des régiments de la Légion sont prêts,
dit-il, à s'engager sur le nom de Massu. » Il propose alors au
colonel Argoud de lui faire traverser la Méditerranée habillé en légionnaire,
et «une fois là-bas, dit-il, vous pourrez vous déplacer comme vous
l'entendrez».
Il est difficile, conclut Argoud,
d'être plus catégorique.
Courant janvier 1961, le
colonel Brothier demande à s'entretenir avec un colon de la région de
Bel-Abbès, Pierre C... Il lui fait part de ses inquiétudes quant à
la dégradation de la situation en Algérie sur le plan politique. Il a donc
pris l'initiative d'envoyer un officier de son état-major, le capitaine
Derrieu, établir des contacts avec des officiers généraux, afin de
savoir s'ils voulaient maintenir l'Algérie dans la mouvance française.
D'autres rencontres auront lieu. A Bel-Abbès, au début du mois d'avril, se
trouvent réunis dans le bureau du colonel Brothier les colonels de La
Chapelle et de Coatgoureden, commandant respectivement les 1er et
2e régiments étrangers de cavalerie, un officier supérieur du 1er R.E.P. et
M. Pierre C...
On analyse la situation, tous
s'accordant sur l'importance du facteur surprise et de la nécessité de
larguer sur Paris les parachutistes des colonels Masselot et Lecomte.
Le colonel Brothier semble le plus engagé de ces hommes.
M. Pierre C... est chargé
de préparer l'accueil des généraux, s'ils atterrissent à Bel-Abbès. La
veille du déclenchement du putsch, Brothier convoque M. Pierre C...
au quartier Vienot pour mettre au point les derniers détails, et c'est avec
une immense surprise que, le lendemain, M. Pierre C... apprendra que le
colonel Brothier, subitement fatigué, se trouve à Arzew. Son second,
le lieutenant-colonel de Baulny, tient sa parole en se plaçant aux
ordres du général Gardy.
Brothier ne réapparaîtra
que le mardi à Bel-Abbès, remis apparemment de ses ennuis très passagers.
Il avouera avoir été assailli au dernier moment par des troubles de
conscience et s’être retiré pour prier.
C'est son second qui sera convoqué
à Paris pour rendre compte de son action devant la justice.
A son départ de Bel-Abbès, les subordonnés du lieutenant-colonel de Baulny
lui rendront les honneurs.
A son procès, il déclarera n'avoir compris que par la suite que Brothier,
qui devait être l'étincelle de la révolte pour la Légion, n'avait pas donné
son accord au mouvement.
Les étoiles récompenseront
le «loyalisme » du colonel Brothier.
Ce dernier ne fut pas le seul à
s'interroger ou à partir en permission la veille de la sédition. Son cas est
cependant le plus caractéristique. Sa défection, à la dernière minute,
pesa d'un poids très lourd en Oranie.
Edmond JOUHAUD
"Ce que je n'ai pas
dit"
éditions Fayard (page 198 & 199)
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