l’ATTENTAT
Par
Armand BELVISI
"Commande avec dédicace chez l'auteur
A.Belvisi
6 bis Grande Rue
78.290 Croissy sur Seine "
Partie 2
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p.156
Le 7, le
lieutenant Degueldre, chef des commandos Delta, est arrêté à Alger dans
le quartier de Telemly, trahi par l’un de ses adjoints.
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p.157
Le
20, une autre « bombe » éclate sur la France et l'Algérie. Le Vendredi saint,
vers, midi trente, des policiers encerclent un immeuble situé au 23 de la rue
des Fontaines au centre d'Alger. Ils arrêtent un homme et son adjoint. Cet
homme, c'est le général Raoul Salan, chef suprême de l'OAS et son
adjoint, le r capitaine Jean Ferrandi. Salan, qui
s'était teint les cheveux et
laissé pousser la moustache, fut emmené par avion dans une prison parisienne. Le
général le plus décoré de France, traîné, menottes aux poings, comme un vulgaire
criminel, humilié, bafoué dans sa personne et son honneur. Traduit quelques
jours plus tard, il dira
:
«
Je suis le chef de l'OAS. Ma responsabilité est donc entière. Je la revendique,
n'entendant pas m'écarter d'une ligne de conduite qui fut la mienne pendant 42
ans de commandement. Je ne suis pas un chef de bande mais un général français.
J'ai commandé, j'ai secouru, j'ai distribué, j'ai sévi et, par-dessus tout, j'ai
aimé... Je ne dois de comptes qu'à ceux qui souffrent et meurent pour avoir cru
en
une parole reniée
et à des engagements trahis. Désormais, je garderai le silence. »
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«
Le général
Jouhaud
vient d'être arrêté. Il devait être mon successeur au cas où je disparaîtrais
moi-même. C'est donc au président Georges Bidault que je confie ma
succession et la direction de l'OAS. Fait à Alger, le 1er avril 1962,
signé : Salan. »
À la
suite de ces événements, Bastien-Thiry accéléra les préparatifs de
l'attentat et fit fonctionner le plus rapidement possible son réseau de
surveillance.
Le 22, il
m'annonça que le lieu de l'attentat était choisi.
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p.158
L’attentat fut
décidé dans le sens Villacoublay-Paris parce que l’itinéraire était beaucoup
moins variable.
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p.166 -
167
Bastien-Thiry,
les mains bien
à
plat sur la table, le buste légèrement penché, s'adresse maintenant à tous,
Watin, Bernier, Alain, Sari, Marton,
Christian, De Condé,
Gérard,
Varga, de La Tocnaye et moi.
Mais
nous connaissons parfaitement notre rôle et, en dehors de la remarque de
Christian, personne n'avait de question.
—
Il
ne nous reste plus qu'à attendre le moment opportun pour agir. Je pense que
cette fois nous avons mis toutes les chances de notre côté. Il ne doit pas y
avoir d'impondérable. Inutile de vous rappeler que nous faisons notre devoir de
Français, devant l'Histoire, devant nos concitoyens et devant nos familles. Nous
ne faisons que mettre en pratique la grande et éternelle loi de la solidarité
entre les hommes. N'oublions pas les paroles de M. Charles Lussy, ancien
député du Vaucluse, qui m'apprit que six bébés,
rapatriés d'Algérie au camp de Lanzac, sont morts dans des conditions
abominables, parce qu'ils étaient purement et simplement privés de lait.
C'est pour eux, pour les blessés d'Alger, hommes, femmes, enfants, à qui on a
refusé les soins, interdisant aux médecins de s'approcher d'eux et qui ont
agonisé pendant trois jours et trois nuits. Cette opération est notre ultime
chance de garder l'Algérie, de la leur conserver. Pour le moment elle est encore
citée sur les atlas de nos enfants mais, si
nous n’agissons pas vite, les mois à venir la verront disparaître.
Pensons aux généraux Salan et Jouhaud arrêtés, à la police, aux
services parallèles, aux brigades anti-OAS qui nous traquent de plus en plus.
Il faut se dépêcher avant que l’irréparable soit accompli…Merci messieurs.
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p.169
Dans
le courant de la première semaine de mai je suis averti de l’imminence
de l’attentat. Confirmation m’en est donnée le soir même ; le général De
Gaulle rentre à Paris.
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p.170
Le
général De Gaulle a regagné l'Elysée par un autre itinéraire et le
guetteur ne s'en est pas
aperçu.. Bastien-Thiry remarque ma désillusion. Je me suis laissé choir
sur une chaise, la tête dans les mains, accablé par tant de malchance.
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LES ÉCHECS
p.210
Pont-sur-Seine
Pour ce qui est de Pont-sur-Seine, la raison de L'échec est très claire : la
personne chargée de la confection de la bombe n'avait aucune compétence dans le
domaine des explosifs, et seule son inexpérience est responsable de L'échec. II
avait pourtant affirmé au colonel être en mesure de confectionner cette bombe.
L'examen scientifique des débris, effectue par le professeur Henri Forestier,
ingénieur en chef, chef du service des explosifs au laboratoire de la police, et
par Marc Wilmet, maître de
conférence à l'Ecole polytechnique, confirme la réalité du danger mortel de
l'engin. (Voir document, « Annexes
»,
p. 219 dans le récit « l’Attentat »)
Henri Manoury,
le concepteur de la bombe, sur ordre de Bastien-Thiry, m'a remis la bombe
dans les débuts du mois d'août 1961, car il partait en vacances à Canet-Plage
jusqu'au 5 septembre au soir. II n'a pas participé à sa mise en place, ni à la
préparation sur les lieux. D'ailleurs, pour dégager sa responsabilité, il a fait
courir le bruit que l'engin avait été trafique par les services secrets, ce qui
a fait naître la thèse de « l'attentat bidon ».
Or, la mise en place et le système de mise à feu ont été soigneusement conçus ;
la position du tireur et les résultats du tir montrent que le tir fut d'une très
grande précision. IL MANQUAIT A LA BOMBE UN RELAIS (cordeau étonnant Bickford).
Cette opération avait une importance capitale car elle a eu
lieu le 8 septembre 1961, soit six mois avant les funestes accords d'Evian de
mars 1962. Elle aurait eu un double effet: premièrement, elle aurait emporté «
par le vent de l’histoire qui vous savez » ; et, deuxièmement, elle aurait
permis à l'Algerie de connaître un autre destin que celui qu'elle a subi.
Le Petit-Clamart
Pour
ce qui est du Petit-Clamart, à l'origine, il y avait deux possibilités :
•
Première possibilité, Paris-Villacoublay : avec commando fixe; nous avions 15 à
20 minutes pour réunir les hommes, nécessairement sur les lieux de l'attentat.
•
Seconde possibilité, Saint-Dizier-Villacoublay : avec commando mobile ; le
délai de sa mise en place est plus long - une heure environ -, car nous avions
l'heure de départ de l'avion à Saint-Dizier, plus 15 à 20 minutes (trajet
Villacoublay-Paris), donc le temps de réunir et de mettre en route le
dispositif.
Cette seconde possibilité avait toutes les chances de réussir. En ce qui nous
concerne, c'est avec les dispositifs de la première possibilité (Paris-Villacoublay)
que l'attentat a eu lieu.
LES CAUSES
Les causes de l'échec sont de deux ordres :
p.211
•
Premièrement, l'ouverture du feu s'est faite avec 4 à 5 secondes de retard, la
voiture présidentielle roulant à vive allure ; elle avait donc déjà parcouru 300
à 400 mètres, s'est trouvée de ce fait à quelques mètres des deux tireurs au FM,
et l'angle de tir avait complètement changé. Le tir tendu et axial s'est
transformé en tir latéral, d'où une efficacité aléatoire. La distance entre les
FM et la cible s'est trouvée considérablement réduite ; or, avec des FM, on peut
atteindre, avec une précision du millième, un objectif à 300 mètres, et non à
courte distance. Les raisons des 4 à 5 secondes de retard sont dues à un moment
d'inattention du guetteur, qui a perçu le signal d'ouverture du feu quelques
secondes trop tard.
•
Deuxièmement, la voiture ID 19, dite PC, était mal positionnée (dans une rue
adjacente, sans aucune visibilité) ; son rôle consistait à créer un
embouteillage afin d'empêcher le cortège présidentiel de poursuivre sa route et
se trouvait, de ce fait, sous le feu des FM. La voiture PC s'est mise en
mouvement aux
bruits des rafales des FM (soit avec 4 à 5 secondes de retard). A cet instant
précis, Watin se trouvait à l'extérieur de la voiture ;
il a
fallu 1 à 2 secondes pour réagir, ce qui a eu pour conséquence de ne pas se
trouver devant le cortège présidentiel pour lui barrer la route,, mais derrière
la voiture. La voiture PC n'a pu que la poursuivre sans jamais pouvoir la
rattraper. Un impératif, en tout état de cause : la voiture PC devait se trouver
dans le sens de la circulation, c'est l'ordre qui avait été donné.
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p.213
Le
colonel Jean Bastien-Thiry m'avait fait part de ce que, après mon
arrestation, tout le dispositif avait été bouleversé.
En
effet, André
Canal,
dit le Monocle, avait été envoyé par le général Raoul Salan en
France, dès novembre 1961, pour organiser et diriger la « mission III » de l'OAS.
Il a été arrêté, le 5 mai 1962, sur un coup de fil anonyme. En effet, les
inspecteurs de la DST furent informés ce jour-là, par un « inconnu »,
que
Canal passerait à une certaine heure place du Docteur-Félix-Lobligeois,
dans le 17e arrondissement de Paris (il avait ce jour-là rendez-vous
avec un membre de la « mission III »). Les policiers se rendirent sur place,
organisèrent discrètement une souricière, et attendirent son passage pour
l’arrêter.
Apres cette date, une effervescence
inhabituelle
régnait au
sein
du commando. Au vu de cette agitation, je me suis demandé si le mystérieux
coup de téléphone n’avait pas été le fait d’un membre du commando.
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Les arrestations
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p.214 - p.215
Intervient alors mon arrestation le 30 mai 1962. Elle s'est effectuée dans les
mêmes conditions que celles ayant permis l'arrestation de Canal, sur un
coup de fil anonyme. Ce jour-là, j'avais rendez-vous à 14 h 30, au métro
Convention, avec le colonel Bastien-Thiry et La Tocnaye, pour
ressouder le commando. Le colonel nous rappelle que les ambitions personnelles
ne doivent pas avoir cours dans notre mission. Cette mise au point s'est
faite dans la voiture du colonel, une Peugeot 403 verte ; à l'extérieur, il y
avait, au coin de la rue, Watin et Bernier qui attendaient le
retour de La Tocnaye.
L'entretien a duré une demi-heure environ, et nous nous sommes quittés « en
principe réconciliés » : c'est ce que je pensais. Après avoir quitté la 403, je
me suis rendu à la Poste pour régler la location des véhicules du commando. Je
me suis très vite aperçu que j'étais suivi par une voiture de police.
Seul
Watin a revendiqué le titre du nouveau chef de la « mission III ». Seul
Watin est l'auteur des coups de fil : nous en avons eu la preuve, plus
tard, lorsqu'il passa en Suisse, où il resta jusqu'en 1964 ; il est le seul
membre de l’OAS à n'avoir jamais été arrêté malgré ses traits caractéristiques
et sa claudication. Il négociera un accord avec les autorités françaises,
obtiendra des papiers de complaisance, dont nul ne saura le prix qu'il aura dû
payer pour les obtenir - d'ailleurs, en exil au Paraguay, il percevait une
pension du consulat de France.
Il
est clair que mon élimination s'est faite par dénonciation à la police.
En
ce qui concerne Pont-sur-Seine, eurent lieu trois arrestations immédiates dues
aux aveux de la première personne arrêtée, et deux autres dues à la rapidité de
l'enquête.
Une
quatrième arrestation, celle d'Hervé
Montagne,
alias Henri Monnerot, en réalité Henri Manoury, est due à
sa irresponsabilité, à son ignorance de la vie clandestine et - fait plus grave
encore - à sa vantardise.
En
effet, lors d'un passage à Langeau, commune de la Haute-Marne, le 17 novembre
1961, Hervé
Montagne
s'arrête devant l'hôtel-restaurant du Centre, demande à dîner et à avoir
une
chambre pour la nuit. La patronne lui demande de remplir une fiche de police,
mais il répond : « Je préfère
ne pas remplir de fiche.
» La patronne lui refuse la chambre, mais accepte le repas.
Au
cours du dîner, à une table voisine, deux hommes discutaient des événements
d'Algérie et d'Indochine. Hervé
Montagne
lie conversation avec eux. En cours de discussion, il leur demande s'ils ne
connaissent pas une adresse pour avoir une
chambre pour la nuit. Croyant qu'il s'agissait de sympathisants, il leur
précise qu'il ne peut pas remplir de fiche, parce qu'il est recherché pour son
appartenance à l'OAS ; intrigué,
l’un
des deux hommes se lève, sous prétexte d’assouvir un besoin urgent, et téléphone
à la gendarmerie pour leur dire qu'il
est
en présence d'un individu se réclamant de l'OAS. Moins d’un quart d’heure plus
tard, les gendarmes arrivent et procèdent à son
arrestation.
En
ce qui concerne le Petit-Clamart, la première personne arrêtée a répondu
spontanément à la question « Vous
étiez au Petit-Clamart ?»
: « Oui j'y
étais.
» A partir de cet instant, il a donné le nom de tous ses camarades. Ce qui a
permis à la brigade criminelle d'exploiter les informations sans aucune
difficulté.
Presque tous les membres du commando arrêtés ont reconnu sur photo le colonel
Bastien-Thiry comme étant le responsable de l'attentat du Petit-Clamart. Il
fut facile au commissaire Bouvier de le confondre et de procéder à son
arrestation.
Comble de l'inconscience, tout en sachant qu'un membre du commando était arrêté,
deux membres importants, La Tocnaye et Prévost,
se déplaçaient dans Paris au volant d'une voiture américaine Chevrolet
décapotable portant l'immatriculation
d'Algérie « 9A » et, plus grave encore, armés de pistolets mitrailleurs. La
règle exigeait, compte tenu de l'important dispositif d'investigations
policières dans Paris, de rester cachés, de ne pas circuler et d'attendre que
la tension baisse.
Les
rivalités, les querelles de personnes, la légèreté, la vantardise,
l'inconscience, et pire encore la dénonciation et l'aveu, ont eu pour
conséquence l'échec de notre mission.
Notre combat n'avait qu'un seul but : garder l'Algérie
à
la France.
Armand Belvisi
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