L’ASSASSINAT DE DEUX HÉROS HORS DU COMMUN
Claude PIEGTS
, Albert DOVECAR |
TEXTE INSPIRÉ DES " CARNETS DU CLAN "
ET COMPLÉTÉ PAR HJ SEGURA
Le dernier couloir
En ce jour du 4
Juin 1962, Albert DOVECAR vit sa 66ème journée de condamné à mort.
Il la passe comme les
autres, écrivant à sa fiancée, à ses amis, écoutant la radio, lisant le
journal… Ainsi dit-il, les journées s’écoulent plus vite .
Bien que parfaitement
lucide sur sa situation, Albert DOVECAR conserve un peu d’espoir.
Pourtant aujourd’hui,
son sort vient d’être scellé.
La Cour de Cassation
vient de rejeter sa demande en révision de son procès ainsi que celles de
Claude PIEGTS et Edmond JOUHAUD.
Le sort de ces hommes
est désormais entre les mains du Président de la République.
6 Juin 1962.
En compagnie de son compagnon d’arme, Claude PIEGTS , Albert DOVECAR
vit sa dernière journée à la prison de Fresnes. Et le soir venu c’est sans
appréhension qu’il se couche et s’endort dans sa cellule éclairée.
Tandis que le Sergent
DOVECAR dort profondément , plusieurs centaines de policiers et de
gendarmes prennent leur service au milieu de la nuit.
Des inspecteurs de la
Sûreté Nationale se rendent chez les avocats de DOVECAR et de PIEGTS.
Tous les cent mètres
un CRS ou un gendarme mobile est déposé sur la chaussée afin de jalonner les 27
kilomètres des routes nationale 187 et départementale 7 qui séparent la prison
de Fresnes du Fort du Trou d’Enfer .
Chaque carrefour est
neutralisé par un gradé et sa brigade.
Sur la Nationale 186
qui longe les murs de la prison de Fresnes d’autres gardiens de la paix prennent
position.
Le long des trottoirs,
pare-chocs contre pare-chocs, des camions sont alignés. De puissants projecteurs
balaient les bâtiments et le ciel.
Devant le portail qui
est ouvert, des véhicules de commandement de la Police Nationale et de la
Gendarmerie stationnent.
Malgré le secret de
l’opération – le dispositif n’a été dévoilé qu’à 2 heures du matin -
l’intervention d’un commando O.A.S est redouté et le bouclage impressionnant mis
en place ne rassure que partiellement les forces de l’ordre.
Il est environ 2 h 30
lorsqu’un important cortège de voitures pénètre à l’intérieur de la prison.
Des automobiles
descendent les avocats, les magistrats et des officiers de
l’armée.
Brièvement le
Directeur de la prison les accueille.
En silence, le groupe
se dirige vers le quartier des condamnés à mort.
Dans le dernier
couloir où s’engage le cortège, quatre cellules sont gardées par des gendarmes
en armes. Trois d’entre elles sont éclairées. Celles d’Albert DOVECAR,
celle de Claude PIEGTS et celle du Général
JOUHAUD.
L’atmosphère est
lourde, oppressante.
Dans l’obscurité de la
quatrième dort le Général SALAN.
Albert DOVECAR
dort lui aussi profondément.
Le cortège s’arrête
devant sa cellule. On a décidé que c’est lui qui sera réveillé le
premier.
Bobby
n’entend même pas la clé que l’on a introduite dans la serrure ni le mécanisme
d’ouverture qu’elle actionne. Ce bruit est devenu tellement
familier…
On le distingue
parfaitement à la lumière de la lampe tamisée. Il dort, couché en chien de
fusil, tourné vers le mur, vêtu d’un pyjama bleu de l’administration
pénitentiaire.
La lumière est
maintenant allumée, irradiant totalement la pièce . Contre toute attente, le
sergent Dovecar ne se réveille pas ; à tel point que le Procureur embarrassé
est obligé de saisir Bobby par l’épaule et de le secouer
délicatement.
Il est loin le temps
où la moindre brise, le plus imperceptible hurlement de chacal mettait en éveil
le Sergent Dovecar.
« Réveillez-vous !
Soyez courageux ! »
lui souffle le Procureur.
Il faut insister.
Dovecar se tourne alors et appuyé sur son coude, il reste sans réaction.
Alors, comme à son habitude, il se frotte les yeux avec le dos de ses mains. Il
regarde le Procureur. Il ne reconnaît pas celui qui a demandé sa mort il y a
deux mois. Puis il découvre le visage de son avocat et réalise aussitôt ce qui
va se passer .
On appréhende sa
réaction. Il se lève prestement avec sérénité. Déjà un surveillant s’approche en
lui tendant des habits civils.
Il les écarte
aussitôt. C’est un soldat et il partira en soldat.
Alors le sergent
DOVECAR récupère sa tenue camouflée pour livrer son dernier
combat.
En laçant ses rangers,
à quoi pense-t-il ? A tous ces matins qui précédaient les départ en opération
et où la journée commençait par ces mêmes gestes.
Où alors pense-t-il à
l’Adjudant STUWE, au Colonel JEANPIERRE, à tous ses camarades de
régiment tombés en Algérie et qu’il va désormais rejoindre.
Peut-être est-il en
train de prier et de demander à Dieu de lui donner la force et le courage pour
affronter cette ultime épreuve, comme il le faisait avant chaque combat.
Il boucle son
ceinturon et ajuste ses décorations sous le regard des officiels présents dans
la cellule.
Il aurait tellement
voulu accrocher la médaille militaire qu’il était en droit d’attendre
légitimement avec ses trois citations.
Il se passe un peu
d’eau sur le visage et se coiffe avec application.
Enfin, il s’attache un
foulard vert du 1er REP autour du cou et se coiffe de son béret
vert.
L’aumônier s’approche
alors de lui. Ils s’entretiennent tranquillement tous les deux. Albert
DOVECAR est calme, même souriant. Il ne crâne pas. Non, il est
serein.
L’entretien terminé,
il récupère un paquet de lettres qui sont destinées à sa mère Karoline.
En les déposant dans
les mains du Directeur de la prison de Fresnes il lui dit :
« Vous les remettrez à ma mère ».
Cette mère qui était venu du fin fond de l’Autriche et qui
n’avait pas eu l’autorisation d’embrasser son fils.
Madame DOVECAR
n'ouvrira et ne lira la dernière lettre de son fils que trente après.
Le sergent DOVECAR
remet à son avocat un dossier qu’il avait constitué durant sa détention, dans
l’espoir d’obtenir le droit de se marier avec sa fiancée algéroise.
«Vous les
transmettrez à Mademoiselle GOMEZ».
Celle–ci, elle-même
détenue, se trouve à la prison de la Petite Roquette.
« Ces papiers sont
désormais inutiles »
dit-il, en plaçant à l’intérieur de sa veste de combat la photo de sa fiancée
qu’il a retirée d’un cadre en cuir vert.
Pendant ce temps, dans
la cellule voisine, le même cérémonial se déroule.
Claude PIEGTS
est à son tour réveillé. Passé un bref instant de panique, le jeune homme se
ressaisit.
Après s’être habillé,
il sort dans le couloir où il retrouve DOVECAR. Les deux hommes
s’étreignent devant l’assemblée silencieuse.
Afin de ne pas
réveiller le Général JOUHAUD qui lui aussi attend son exécution,
PIEGTS demande à ce que l’on ne fasse pas de bruit.
Et c’est dans le plus
grand silence que les deux condamnés et leur escorte quittent leur division pour
se rendre au greffe.
On leur sert du vin
chaud. Seul DOVECAR accepte et boit une simple gorgée.
Les deux hommes
signent leur levée d’écrou.
On les menotte et
toujours dans un grand silence, DOVECAR et PIEGTS sont dirigés
vers les fourgons cellulaires garés dans la cour intérieure de la
prison.
Les deux hommes sont
séparés. Chacun monte dans un véhicule, accompagné par un aumônier.
On a décidé de les
fusiller à 27 kilomètres de leur lieu de rétention.
Leur marche vers la mort va durer 37 minutes.
Un avocat dira : « Nous
ne savions pas alors où se trouvait le lieu de l’exécution . Je dois regretter
au passage qu’on l'ait choisi aussi éloigné de Fresnes. Le voyage a duré
quarante minutes, que les deux condamnés ont passés courageusement en prière . »
Il est exactement
3 h 35 lorsque le convoi franchit le portail de la prison de Fresnes et
prend immédiatement la direction de Versailles.
Le
convoi est précédé par un
peloton de gendarmes motocyclistes, progressant en formation en
V.
Tout de suite après
les motards plusieurs voitures de police suivent, encadrant trois fourgons
cellulaires.
Pour fermer la marche,
une dizaine de voitures transportent les avocats, les magistrats et des
officiers de l’armée.
En queue de convoi
plusieurs véhicules de la gendarmerie avec des hommes en armes bouclent le
dispositif, suivis immédiatement par un corbillard et encore une
vingtaine de motocyclistes.
Tandis que le convoi
progresse à vive allure dans la nuit sur un itinéraire dégagé de tout véhicule,
Bobby s’entretient avec l’aumônier.
Le convoi longe le
parc de Sceaux, le terrain de Villacoublay, puis roule vers Saint-Cyr-l’Ecole ,
traverse la forêt de Marly et empruntant enfin une allée immense, entre dans le
fort militaire du Trou d’Enfer.
Là aussi le dispositif
de sécurité est impressionnant . Deux escadrons de gendarmerie sont déployés.
Des dizaines de gendarmes, l’arme au pied, leurs MAT 49 en bandoulière,
quadrillent les abords du site.
Lorsque le long
cortège des véhicules s’immobilise dans la cour du dépôt de l’armée de terre,
l’aube pointe déjà depuis plusieurs minutes.
Albert DOVECAR
et Claude PIEGTS descendent de leur fourgon respectif pour apercevoir
aussitôt les deux pelotons d’exécution, composés chacun de douze hommes.
Quatre sergents, quatre caporaux-chefs et quatre soldats, dont un au moins, a
perçu une arme chargée à blanc.
En treillis, casqués,
sans aucun signe distinctif, ils attendent depuis déjà de longues minutes devant
deux poteaux plantés devant un talus.
La gorge serrée, le
Sergent DOVECAR et Claude PIEGTS sont amenés au fond de la cour
où on les attache chacun à un poteau.
Ils ont refusé tous
les deux qu’on leur bande les yeux.
Un adjudant commande
alors l’ouverture du feu.
Claude PIEGTS
crie « Visez au cœur » puis « Vive l’Algérie Française »
tandis que ses mains se crispent sur un chapelet.
Albert DOVECAR
lance « Vive l’Autriche…Vive la Légion »
Il est 4 h 12 quand
les deux salves simultanées déchirent le silence du matin. Les corps des deux
jeunes suppliciés s’affaissent, retenus par la corde qui les maintient à leur
poteau.
Il sont détachés …
puis c’est le coup de grâce.
Le sang se perd dans
la rosée ; sur le foulard vert de Bobby déjà rougi se détache en lettres
noires la devise célèbre depuis Zéralda :
« On ne
peut demander à un soldat de se parjurer ».
Un médecin militaire
constate la mort.
Les deux aumôniers, à
genoux devant les dépouilles des deux jeunes hommes,
prient.
Après une dernière
bénédiction, les deux corps sont mis en bière et les cercueils sont déposés dans
un corbillard dont les rideaux noirs ont été baissés.
Un nouveau convoi est
formé ; il est désormais constitué par quelques véhicules seulement.
Il quitte le fort du
Trou d’Enfer en passant devant les soldats qui présentent les
armes.
Par la route de
Versailles, le cortège se rend au cimetière de Thiais.
A 5 h 30,
Albert DOVECAR et Claude PIEGTS sont mis en terre, l’un à côté de
l’autre, au carré numéro 8, celui des suppliciés
.
A 5 h 40, tout est
terminé.
En ce jour du 7
juin 1962, les commandos DELTA intensifient leur politique de la
terre brûlée…
Après avoir obtenu le
rapatriement de son corps en Autriche, la famille d’Albert DOVECAR
procèdera à son inhumation définitive le 12 Juillet 1962 au cimetière
Saint-Pierre de GRAZ, carré numéro 8.
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