La Cendre Et La Braise
Le réseau
OAS- Est - En Métropole 1961 - 1962
de Gérard
LEHMANN
Editions SDE
147-149, rue Saint Honoré 75001 Paris
Partie
2 |
O.A.S.-EST
MOSELLE,
VOSGES, MEURTHE-ET-MOSELLE
P.108-109
111
à
114
122-123-131-à-136
141
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L’avertissement au lecteur de l’O.A.S. parle contient un regret : celui
que les documents rassemblés dans le volume laissent de coté les sympathisants
et les militants. Car on sait peu, au fond, ce qu’ils pensaient, de quels
milieux ils provenaient, comment ils étaient recrutés, et les conditions
matérielles de leur développement en métropole. Mon témoignage a l'ambition
modeste de combler, très partiellement, une lacune, et les historiens en feront
ce qu'ils voudront.
Le
réseau connu sous le nom d'O.A.S.-Est a été en activité de l'été 1961 au
printemps 1962 dans les départements de Moselle, de Meurthe-et-Moselle et des.
Vosges. Une cinquantaine de personnes ont été concernées par les procédures
judiciaires. Le réseau a été progressivement démantelé en mai-juin 1962, ses
membres ont été jugés par la Cour de sûreté de l'Etat fin septembre 1963, le
verdict prononcé début octobre. Remises de peines et grâces ont permis aux
derniers détenus de retrouver la liberté en 1965.
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Le réseau Mosellan
II était une fois...
En
ce printemps de 1961, le propriétaire d'une librairie-messagerie de presse à
Hayange, Moselle, le Pacha, organise, met sur pied un
réseau dont il sera le chef et que des lieutenants assisteront quand il sera en
fuite. Le but est de créer un climat d'insécurité, soit par des attentats au
plastic, soit par une propagande écrite, lettres, tracts ou journaux, par
l'expédition de lettres de menaces et d'explosifs..
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Le
Pacha avait deux adjoints: un électromécanicien, le
lieutenant Colin et un avocat stagiaire au barreau de Briey, nom de
code Rodolphe ou encore colonel Martin. Nous
l'appellerons Rodolphe. Les noms de code ne débutent pas,
comme c'était le cas pendant la Résistance, par la première lettre du véritable
nom. Outre ces deux adjoints, il faut mentionner le lieutenant Toto,
un ancien d'Indochine, qui assurera un intérim quand le Pacha,
recherché par la police, sera en fuite. Les équipes comprennent huit hommes
jeunes, dont les professions sont diverses: ajusteur, tourneur, ingénieur,
pontonnier, peintre, agent d'assurances et le groupe est à peu près constitué au
cours de l'été 1961. Le Pacha a personnellement recruté six
d'entre eux et son propre fils Patrick
fait
partie du groupe. Le procédé de recrutement est simple, original et quelque peu
risqué. Installé dans sa librairie-messagerie, le Pacha
prenait langue avec les acheteurs fidèles de certains journaux... Quant au
lieutenant Toto, il recrute un voisin, qui recrute un ami qui, à son
tour, en recrute deux autres. La section mosellane, la première à être
constituée, comprenait aussi des boîtes
aux lettres,
deux
jeunes filles.
Michel L,
contremaître lamineur, assurait avec sa femme l'impression de tracts et la
reproduction d'un journal, Vive la France diffusé par
l'O.A.S. sur le territoire national.
Enfin, diverses personnes apportaient une aide sous forme de propagande et
d'hébergement. Au-delà, une nébuleuse de sympathisants. Il est bien évident que,
si nous avions eu le temps, notre réseau aurait pris une extension considérable
et que si des arrestations avaient eu lieu, elles auraient certes ralenti son
activité provisoirement,
mais
elles n'auraient pas affecté son existence.
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Le
problème de l’approvisionnement ainsi résolu, le réseau va passer à l’action à
l’automne 1961.
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Les
réseaux Dominique et pied-noir
Tel
est le nom des réseaux d'O.A.S.-Est en activité dans la Meurthe-et-Moselle qui
ont fonctionné de manière quasi autonome. Il convient de préciser, pour la
forme, que le réseau nancéien était en réalité composé de deux groupes, le
réseau Dominique proprement dit et celui des pieds-noirs, lesquels avaient
choisi le nom d'O.A.S.-Est. Cette dernière appellation a été étendue par
les policiers et les journalistes à l'ensemble
des
réseaux ayant fonctionné dans l'Est de la France.
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De
janvier à mai 1962, le réseau Dominique exécutera un certain nombre de
plasticages.
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En vérité,
nous étions tous des étudiants impécunieux dont plusieurs travaillent à temps
plein, dont moi-même, pour pouvoir subvenir à nos besoins. Gracieux
était chargé de collecter des fonds pour régler les frais de bureau du réseau
Dominique et il semble qu’il y ait eu confusion entre ressources de
la F.E.N. et celles du réseau : l’avantage était de donner une façade légale au
recueil de fonds.
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Le
réseau vosgien
Le
réseau vosgien est d'une toute autre nature que celui de Moselle et de
Meurthe-et-Moselle. D'abord parce qu'il est beaucoup plus modeste (trois
personnes), qu'il n'a pas assuré d'opérations du genre propagande ou
plasticages, mais plutôt de soutien au réseau mosellan et au Pacha
en particulier. Il est sur ce plan beaucoup plus modeste, mais sur un autre
plan beaucoup plus important, car il implique de manière distincte d'autres
réseaux avec lesquels il entretient des contacts. Serge Palmiéri,
un ancien membre du service d'ordre du mouvement poujadiste, Georges Galle
et Jean-Jacques Dupont y ont été hébergés et peut-être Marcel
Bouyer lui-même lorsqu'il se rend avec Serge Palmiéri
dans l'Est de
la
France et contacte des officiers des garnisons des Forces Françaises en
Allemagne entre le 20 et le 25 janvier 1962 (Marcel Bouyer sera arrêté
peu après dans le train pour Nice). Si je me permets de citer les noms en
entier, c'est qu'ils sont cités dans l'ouvrage de Jacques Delarue
L'O.A.S. contre de Gaulle, (op. cit. p. 100 pour Palmiéri
et p. 125 pour Galle) En tout cas, c'est bien l'organisation madrilène,
avec Marcel Bouyer comme son représentant en France, et non l'O.R.O. du
capitaine Curutchet (Mission-II de Pierre Sergent), qui est en
contact avec O.A.S.-Est. Et il n'y a pas eu davantage de collaboration étroite,
autant que je sache, entre notre organisation et un réseau militaire s'étendant
de Metz à Strasbourg avec des ramifications en Allemagne, lequel sera démantelé
en février et mars 1962. Roger S. et Queue verte
étant aujourd'hui décédés, de même que le Pacha, je
ne dispose malheureusement pas de la possibilité de les interroger à ce sujet.
Quant au lieutenant Colin, il ne m'a pas été possible de retrouver
sa trace, ni celle de Rodolphe qui, lui, serait toujours en
vie. Ce sont pourtant ces personnes qui savent ou qui savaient. Il aurait été
intéressant de savoir dans quelle mesure précise, le réseau mosellan a pu être
impliqué dans des opérations sur le plan national. Je sais en tout cas que le
jeune fils du Pacha collaborait également avec un réseau
parisien. Il n'était pas le seul à avoir ou à avoir eu des rapports avec
d'autres réseaux, en particulier à Paris. C'est le cas de Jean M., le
cas de Jean-Pierre C,, d'Alain H. et le mien également. Et
l'arrestation du lieutenant Colin a été effectuée en relation avec
l'enquête sur la préparation d'un attentat contre le chef de l'État. Alors ?
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Marceline A,
(maîtresse de René N, dit Queue verte) va également héberger les trois
membres de l’O.A.S. déjà évoqué, dont Jean-Jacques Dupont, et c’est
Queue verte qui les lui présente ; en outre, elle cachera sous un tas
de charbon, dans son cellier, un poste radio à ondes courtes servant à
Jean-Jacques Dupont pour capter les émissions des services de police.
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(Comment
on écrit l’Histoire)
Tout
ce que j'ai appris à l'époque, c'est que ce fameux poste de radio qui se balade
avec Horace dans toute la France et derrière lequel le
commissaire Delarue court éperdument depuis une ferme du Gers, joue un
certain rôle dans la préparation d'une O.P. (opération ponctuelle) contre De
Gaulle. Faute de mieux, nous avons une source documentaire (Georges
Fleury dans son Histoire secrète
de l'Organisation Armée Secrète
en a
tiré une synthèse: voir pp. 886-887) qu'il faut bien à présent évoquer:
l'ouvrage de Jacques Delarue qui va nous permettre une intéressante
confrontation et une réflexion sur la valeur du témoignage sur lequel se
construit, en partie du moins, l'écriture
de l'histoire.
Jacques Delarue, inspecteur principal dans l'équipe du commissaire Gévaudan,
raconte les détails de l'affaire. Je résumerai ainsi : il est d'abord évident
que c'est l'organisation de Marcel Bouyer qui est à l'origine des projets
d'attentat contre De Gaulle lors de son déplacement dans l'Est de la
France à la mi-juin, et c'est Benoît,
une
taupe installée au cœur de cette branche de l'Organisation, qui a permis
l'arrestation de Marcel Bouyer et qui va aussi faciliter le travail des
policiers pour démanteler, en partie du moins, le réseau. L'équipe du
commissaire Gévaudan
sait donc que des commandos vont tenter une O.P. sur le chef de l'État avec un
fusil à lunette; une O.P. préparée depuis l'Espagne par Marcel Cerrano,
un ex-policier, et Bernard Gorostarzu à l'occasion d'un voyage de De
Gaulle
dans
les départements de la Haute-Saône, du Jura et du Doubs, mais qui a aussi des
ramifications à Baden-Baden. Si cette opération échoue, une autre équipe doit
prendre le relais, et là l'histoire devient fantastique: des chiens piégés,
chargés de plastic, seraient dirigés par ultrasons vers la tribune où De
Gaulle doit parler à Vesoul et les charges seraient déclenchées par
télécommande radio; fantastique mais possible. On saura plus tard
que
des chiens avaient été achetés au Luxembourg dans cette intention, mais que son
acheteur luxembourgeois ignorait tout de l'entreprise. Et pour couronner le
tout, l'indicateur signale aussi le risque que le passage à niveau situé dans la
ville même de Vesoul soit piégé et explose au passage du train qui transporte
De Gaulle. Suivant Delarue, et toujours selon les renseignements de
la taupe :
//
(Benoît,
l’indic) avait pu apprendre que deux
équipes s'organisaient dans la région de Metz-Nancy avec des appuis dans les
Vosges. L’une avait pour chef un certain lieutenant Colin, probablement
le pseudonyme d'un militaire lié avec les officiers arrêtés dans la région
depuis le début de l'année. L'autre était commandé par un libraire poujadiste
de la région de Metz, en fuite depuis qu'il avait échappé de justesse à
l'arrestation en février, dans un complot précédent, et que nos collègues de
Nancy recherchaient. Ces hommes disposaient, selon les renseignements recueillis
par Benoît,
de vingt et un militants décidés. Ils avaient reçu récemment des carabines
américaines et des explosifs, peut-être même des grenades. Leur mot de passe
était «Queue verte». Ce pseudonyme agreste et légèrement faunesque était celui
d'un Vosgien du réseau
(op. cit. p. 156-157);
C'est encore Benoît
qui
indique l'existence du fameux poste de radio et qui donne des indications à
partir desquelles il sera possible de « loger », d'identifier et d'arrêter le
lieutenant Colin. Ce dernier habite chez une amie, dans un quartier
de H.L.M., le Haut-du-Lièvre, à la périphérie de Nancy. Qu'il soit
électrotechnicien fait transpirer Delarue :
électrotechnichien !
commente-t-il... (op. cit. p. 160).
Il
était clair que la mort de la grande Zohra en plein mois de juin aurait
créé un indescriptible chaos et que l'explosion de la gidouille étoilée aurait
entraîné celle des «Accords» d'Évian et une redistribution des cartes politique.
En réalité, outre O.A.S.-Est, l'O.R.O. de Jean-Marie Curutchet ainsi
qu'une équipe venue spécialement d'Alger étaient sur la piste de l'homme à
abattre.
Jacques Delarue
ne se vante-t-il tout de même pas un peu quand il assure que c'est grâce à son
intuition que la voiture de l’électrotechnicien, sur ses instructions, subit
avec succès une fouille assez minutieuse pour livrer tous ses secrets? J'ai
appris que le lieutenant Colin s'était montré terriblement
coopératif, et qu'il avait lui-même indiqué que la liste complète du réseau se
trouvait cousue dans le lé de l'un des doubles rideaux. Nous lui en voudrons
beaucoup, au lieutenant Colin, et il nous craindra. Quant à
Benoît,
la
taupe qui trahissait pour de l'argent et en concevait parfois certains remords
que des rasades de Rémy
Martin
apaisaient cependant - à en croire Jacques Delarue - il eut beaucoup de
chance de ne pas être découvert par l'O.A.S. car il aurait reçu le même
traitement expéditif administré à d'autres judas, en de semblables
circonstances.
En
conclusion, même s'il dévoile quelque vanité dans son récit, on peut cependant
faire crédit à Delarue d'une franchise bavarde et vantarde que bien des
politichiens gaullistes de l'époque auraient pu lui envier
quand ils ont eu l'idée d'écrire leurs mémoires. On peut discerner chez certains
de ces policiers mémorialistes un soupçon d'acrimonie: ils n'ont en effet pas
toujours reçu la récompense politique de leurs activités policières. S'ils
l'avaient touchée, nul doute qu'ils auraient gardé plus de retenue. Si, d'un
policier mémorialiste par dépit ou par vantardise on ne fait pas un historien,
on doit remercier de ce témoignage le dépit ou la vantardise, ou les deux, comme
on voudra.
La
méthode de la police est ensuite celle du coup de pied dans la fourmilière,
à un
moment si proche de l'arrivée de De Gaulle. On arrête à tour de bras,
Queue verte entre autres. Et surtout, on accorde la
publicité la plus large aux arrestations dans les médias pour accentuer l'effet
de panique dans le réseau. Nous sommes le 14 juin 1962. Le temps presse.
Pour
le reste, Jacques Delarue se trompe sur un certain nombre de détails,
mais livre des indications intéressantes qui confirment ce que nous savons,
entre autres, d'après le dossier de l'accusation. Il est clair que le réseau
vosgien joue un rôle capital et que le Pacha et le lieutenant
Colin ne se sont pas contentés d'activer le réseau O.A.S.-Est
régionalement,
mais
ont participé - et depuis quand? et comment? - aux projets d'attentats contre
De Gaulle. De cela, rien ne transpirera lors du procès.
Georges Fleury, lorsqu'il évoque dans son Histoire secrète
de l'OAS
les
tentatives d'attentat contre De Gaulle lors d'un déplacement de ce
dernier à Vesoul le 14 juin 1962, reprend en fait, la relation donnée par
Delarue.
Au
moment où le lieutenant Colin est arrêté, - notre réseau est déjà
passé à la trappe. Mais avant de préciser à la suite de quel hasard
malencontreux, et indépendamment de l'arrestation du lieutenant Colin,
notre réseau est tombé, j'ai envie de jeter un regard critique sur son
fonctionnement.
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(OAS-EST)
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La
stratégie d'O.A.S.-Est obéissait à celle d'André
Canal
plutôt
qu'à
celle de Mission-II, et nous avions en tout cas mis la main sur du
matériel de propagande de Mission-III ; et Mission-III avait
récupéré plusieurs membres de l'organisation de Bouyer après
l'arrestation de ce dernier au mois de janvier... Nous ne dépendions pas du
capitaine Sergent ni de Curutchet: l'O.R.O. avait abandonné l'arme
du plasticage pour d'autres, bien plus radicales et avait entamé une chasse à
l'homme de son côté. L'élimination de la grande Zohra était
un objectif prioritaire pour O.A.S.-Est, mais il n'était pas planifié au niveau
du réseau Dominique et le Pacha en
gardait le secret. A propos des armes, il était resté discret sur leur usage
prévu et avait même indiqué - faussement - aux militants mosellans qu'elles
étaient destinées à un attentat
lors
d'une réunion de la C.E.C.A. (nous n'étions pas encore à l'Union Européenne).
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