Thierry Meyssan -- " Bonjour monsieur Bourequat. "
Ali Bourequat-- " Bonjour monsieur.
"
TM -- " Vous êtes en communication avec le Congrès de la CORA à
l'Assemblée nationale à Paris. D'abord, pour que nos auditeurs vous situent,
je vais vous demander de confirmer votre identité. Vous êtes bien monsieur Ali
Bourequat ? "
AB-- " Oui. Je suis Ali Auguste Bourequat.
"
TM -- " Vous êtes bien citoyen français. "
AB-- " Je suis citoyen français de naissance.
"
TM -- " Vous avez été amené à prendre connaissance de secrets qui
touchent au trafic des stupéfiants et au rôle de l'État dans ce trafic. Et,
à la suite de cela, monsieur, vous avez estimé que votre vie, ainsi que
celle de madame Jacqueline Hémard (1), étaient en danger en France et
vous avez obtenu l'asile politique aux États-Unis, ceux-ci ayant considéré
que votre vie était effectivement en danger en France. C'est cela ? "
AB-- " C'est exact. Alors, pour mettre les
choses au point. J'ai été kidnappé avec mes deux frères au Maroc et séquestré
pendant dix-huit ans sans droit ni titre, sans jugement et sans accusation.
Nous avons été libérés après dix-huit ans et demi d'incarcération dans
le camp de la mort de Tazmamart à la suite d'une pression directe du président
américain sur le roi du Maroc et nous avons été rapatriés en France, trois
jours après notre libération (2). Au cours de notre détention, nous avons
passé les premières années dans différentes prisons secrètes. Dans la
première, où nous avons séjourné deux années, nous avons été incarcérés
avec trois des quatre truands qui étaient membres des services secrets français
et qui avaient participé à l'enlèvement et à la liquidation du leader de
gauche marocain Mehdi Ben Barka (3).
Et c'est par ces gens-là que j'ai eu tout un tas de renseignements sur
l'implication directe du roi du Maroc avec les autorités françaises. Et cela
touchait les plus hautes autorités françaises du fait que la drogue
était transportée dans des avions militaires et atterrissaient dans
les deux importantes bases militaires d'Évreux et de Tours. Alors, à
la suite de cela, arrivé en France, j'ai commencé une enquête pour
reconfirmer avec les contacts qui m'avaient été donnés. Et je suis tombé
sur le réseau Hémard, qui est Pernod-Ricard (4) en réalité.
"
TM -- " La famille Hémard est l'une des familles propriétaires
de la société Pernod-Ricard ? "
AB-- " Ils sont actionnaires parce que Ricard
a absorbé Pernod. Je ne sais pas dans quelles années parce que je n'étais
pas là. Et, Pernod fait partie du groupe maintenant Pernod-Ricard
qui est une grosse boîte et la famille Hémard est une des parties
prenantes de cette affaire. Mais avant, c'était Pernod simplement. Et,
d'après monsieur Boucheseiche (5), qui était au service du SAC
(6) pendant un certain temps, les laboratoires de transformation de cocaïne
qui ont été installés au Maroc , il y en avait un à Tanger et un à Agadir.
Le premier avait été installé à Tanger en 1962 et, un peu plus tard,
a été installé celui d'Agadir. Et, ceux qui ont supervisé cette
installation, ça a été les éléments de Pernod-Ricard. Et c'est
comme ça que j'ai eu les noms d'Hémard. J'ai eu le nom de Charles
Pasqua (7) et le nom de celui qui était dans la Main Rouge au Maroc
-comment il s'appelle ? C'était un Corse : Joréduc. "
TM -- " La Main Rouge, c'était un service secret... "
AB-- " La Main Rouge -8-, c'est un organisme
anti-terroriste, comme ils appelaient ça du temps du protectorat au Maroc. Et
c'est eux qui avaient liquidé le libéral Lemaigre-Dubreuil (9). Mais
cette Main Rouge agissait ouvertement avec la police française. "
TM -- " À partir de quel moment, monsieur, avez-vous été en lien
avec madame Jacqueline Hémard ? "
AB-- " Quand j'ai découvert la piste, je n'ai découvert
que les héritiers d'Hémard. J'ai pu prendre contact avec Éric Hémard
qui est le propriétaire d'une petite usine de plastique à Maisons-Alfort
qui lui a été donnée par son père. Cette usine a toujours été un
paravent parce que c'était le paravent de la prostitution de la grande
banlieue. Et c'est comme ça que j'ai connu madame Hémard. Quand j'ai
connu madame Hémard, elle avait quelque chose à dire et elle avait très
peur. Alors on s'était donné rendez-vous en Grèce et c'est là qu'elle m'a
raconté comment son mari touchait de l'argent --comme ses frères-- par la mère
qui les réunissait une fois par an après avoir reçu ces Italiens de Naples,
qui venaient la voir régulièrement.
Ils recevaient 100 millions de francs anciens, c'est-à-dire 100 000
dollars
chacun, qu'elle leur donnait en argent liquide. Ils se réunissaient l'été,
en Suisse à l'hôtel Richemond où ils avaient un des beaux-frères qui a
aussi une société paravent et qui fait des affaires avec l'Afrique,
mais ce sont des affaires qui n'existent pas, c'est toujours une société
paravent, et c'est lui le passeur de fonds en Suisse. Et, tous les mois d'août,
ils tiennent une réunion de famille pour faire les comptes des transferts
qu'ils ont là-bas. Et madame Françoise Hémard (10) entretient et
contrôle un compte --je ne sais pas, il y a quelques milliards-- à
l'Union des Banques Suisses à Genève. Et tous, ils ont un compte là-bas,
tous les héritiers Hémard. "
TM -- " Qu'est-ce qui vous a fait croire, monsieur, une fois que vous
aviez ces informations, que votre vie était en danger en France ? "
AB-- " J'ai été menacé dans la rue quand je
suis sorti de l'hôpital la première fois. La deuxième fois, j'ai été
menacé sur les Champs-Élysées. Au cours d'une conférence de presse de
notre avocat, le représentant du Journal Le Monde en a fait état
publiquement et j'ai été convoqué par le commissaire Sabatier, qui
était le chef de l'UAT, l'unité anti-terrorisme et à qui j'ai fait le
rapport de ce qui m'est arrivé et les menaces dont j'ai été victime.
Monsieur Sabatier m'avait donné des coordonnées à appeler au cas où
j'aurais été encore menacé. Ce qui s'est passé. J'ai appelé monsieur Sabatier,
il n'y a eu aucune réponse. J'ai été attaqué chez moi par un élément qui
est le garde du corps du fils Hémard, j'ai appelé la police. J'ai été
au commissariat. J'ai signé une main courante --c'est tout ce qu'on a fait--
mais les menaces ont continué jusqu'après la conférence que nous avons eue
à Stockholm, avec Amnesty International, quand je suis revenu.
Pendant cette époque-là, quand j'étais à la conférence, madame Hémard
avait déjà quitté son domicile et s'était réfugiée chez moi, avec sa sœur.
Et, elle a été menacée, rue Lalo par trois personnes, qui se sont présentées
au nom de la DST française, et qui lui ont dit qu'ils allaient lui faire son
affaire. Elle a pris son enfant, elle a quitté la France, elle est partie en
Belgique, et, de Bruxelles, elle a pris l'avion, elle s'est réfugiée aux États-Unis.
Moi, j'ai eu le même problème en rentrant de Stockholm. J'ai été abordé
par ces éléments-là de la DST. Et ils ne se sont pas cachés de me dire
qu'ils étaient de la DST et que c'était dans mon intérêt de fermer ma
gueule. Le commissaire Sabatier n'avait pas répondu à mes appels de détresse,
comme monsieur Pasqua, ministre de l'Intérieur qui avait été saisi
par lettre par mes avocats, ainsi que le président de la République
et que tout cela était resté lettre morte, je n'avais plus qu'une
issue, c'était de partir.
Entre-temps, durant mon séjour à Paris, monsieur Hémard s'est
permis de me menacer directement par téléphone. Tous ces enregistrements, je
les ai fournis aux autorités américaines. Et il ne se cachait pas de me dire
que sa mère avait parlé avec Pasqua et avec Borderie et qu'ils
allaient me liquider et qu'ils allaient me faire mon affaire avec sa femme.
"
TM -- " Monsieur Bourequat, nous avons eu connaissance de votre
déposition et de celle de madame Hémard devant la justice américaine.
Dépositions à la suite desquelles vous avez obtenu l'asile politique (11).
"
AB-- " Oui. "
TM -- " Dans ces dépositions, vous accusez nommément une personnalité
française de préparer votre élimination. "
AB-- " Exactement. "
TM -- " Pouvez-vous nous répéter très précisément quelle a été
votre déposition devant la justice américaine ? "
AB-- " Je ne peux pas vous le dire. "
TM -- " Pouvez-vous nous dire son contenu tout au moins. "
AB-- " Le contenu, ça a été que j'ai été
menacé par ces gens-là et par une autorité officielle française. "
TM -- " Quelle est cette autorité monsieur ? "
AB-- " Cette autorité, c'est la DST. "
TM -- " Vous aviez donné le nom d'une personnalité gouvernementale
française dans votre déposition. Est-ce que vous pouvez nous la répéter ?
"
AB-- " Cette autorité, c'est monsieur Charles
Pasqua, ministre de l'Intérieur à l'époque. "
TM -- " Votre déclaration a été jugée recevable par la justice américaine
et les autorités spécialisées, le DEA, ont considéré que l'ensemble de
votre témoignage était corroboré et vous avez donc obtenu l'asile politique
aux États-Unis. Ce qui a conduit les États-Unis à considérer que, dès
lors, la France n'est plus une démocratie mais un régime dont il convient
de protéger certains ressortissants. "
AB-- " Oui. Il y en a plusieurs qui sont dans le
même cas. Je ne suis pas le seul. Il y a actuellement cinq personnes qui sont
réfugiées aux États-Unis, qui ont été menacées et il y a même des juges
qui ont directement menacé ces personnes. Il y a eu même une action directe
sur le sol américain par un consul français pour l'enlèvement d'une
fillette. "
TM -- " Lorsque nous avons eu connaissance de votre déposition, c'était
il y a deux ans je crois, nous avons joint le cabinet de monsieur Pasqua
pour lui demander sa version des faits. Nous n'avons pas eu monsieur Pasqua
lui-même mais ses collaborateurs qui ont totalement démenti vos allégations.
Alors, ... "
AB-- " Bien sûr ils vont les démentir.
Monsieur Pasqua ne va pas vous dire ce qu'il a été faire au Maroc
avec cinquante-neuf sénateurs. Il ne va certainement pas vous dire ça
monsieur Pasqua. Monsieur Pasqua ne vous dira certainement pas
quelles sont ses relations avec le roi du Maroc et cela depuis longtemps. Il
ne vous le dira certainement pas. Monsieur Pasqua ne vous dira pas
qu'est-ce que sont devenus les éléments du SAC dont une partie ont
organisé une police privée chez Pernod-Ricard et une autre partie ont
créé une société de protection qu'ils appellent une société de gardes du
corps et ils agissent pour la liquidation des gens. Moi j'ai une preuve que la
famille Hémard a proposé la liquidation de quelqu'un pour 12 000
francs. Et ça par l'intermédiaire de la police qu'ils ont, une police privée,
qui a été organisée par monsieur Pasqua au sein de Pernod-Ricard.
Ça de toute façon, c'est très connu. Bien sûr ils ne vont pas reconnaître
ces faits-là, bien sûr la France ne va pas reconnaître qu'elle nous a persécutés.
Jusqu'à présent mes frères sont persécutés.
Monsieur Alain Juppé (12) a fait un référé pour nous expulser
des appartements qui ont été mis à notre disposition quand nous avons été
libérés. Mais moi j'avais déjà quitté. Comment se fait-il que tout
Premier ministre qu'il est, il me poursuit en justice pour m'expulser d'un
appartement que je n'occupe pas alors que j'étais depuis un an déjà aux États-Unis
? Et maintenant c'est mes frères qui sont persécutés par l'actuel
gouvernement par l'intermédiaire de quoi... on a mis la société PSR, qui
est la société de Paris Services Réservations (13) qui appartient à madame
Ménage. On sait qui est madame Ménage, on sait qui est
monsieur Ménage (14). "
TM -- " Pardon, monsieur Bourequat... "
AB-- " On persécute mes frères. Alors toutes
ces persécutions, c'est quoi, c'est ça l'État de droit ? Tout cela, parce
que... , pourquoi ? Nous sommes des Arabes ? "
TM -- " Monsieur Bourequat...Pardon... "
AB-- " Je l'ai dit moi. Je l'ai écrit au président
de la République. Je lui ai dit, je suis persécuté pourquoi ? Parce que je
ne suis pas fils de Marie, je suis fils de Fatima ? "
TM -- " Monsieur Bourequat, un instant s'il vous plaît. "
AB-- " Oui... "
TM -- " Nous avons bien entendu votre déposition et les accusations
que vous portez. Est-ce que vous avez essayé d'interpréter les éléments
que vous rapportez et est-ce que vous avez, à vos yeux, trouvé un sens
politique, organisationnel à ces liens qui existent entre certains
responsables politiques français et l'État du Maroc ? Comment envisagez-vous
ces liens politiques ? "
AB-- " D'abord, il y a des intérêts privés,
comme les intérêts de monsieur Giscard d'Estaing (15). Monsieur Giscard
d'Estaing et sa famille ont des intérêts énormes au Maroc. Il y a Maroc
Phosphore, il y a Maroc Chimie. Ce sont deux importantes sociétés
de transformation de phosphate dans lesquelles monsieur Giscard d'Estaing
et son frère ont des intérêts énormes. Bon, à part cela. Monsieur Giscard
d'Estaing était propriétaire d'un grand domaine qui était mitoyen de
celui du roi dans le Ouled Dzaim, dans cette région où il y a de
grandes propriétés agricoles, c'est dans cette même région que monsieur Chirac
(16) est propriétaire d'une propriété que le roi lui a offerte après son
élection (17). "
TM -- " Vous confirmez cet élément ? "
AB-- " Oui, je le confirme et c'est la propriété
de son frère, le prince Moulay Abdel Allah, il a séquestré cette
propriété à ses héritiers et il l'a offerte à monsieur Chirac.
D'autre part avant d'être président de la République, monsieur Chirac
avait une villa qui était mitoyenne du palais d'été de Shkirat à Rabat.
"
TM -- " Bien... Monsieur Bourequat... "
AB-- " Et ça, c'est confirmé. Beaucoup de gens
l'ont vu là-bas. On a même contacté des gens qui ont travaillé là-bas,
qui ont servi monsieur Chirac dans plusieurs de ses déplacements et
dans plusieurs de ses séjours.
Alors, ce ne sont pas des choses qu'on a dit, ou des choses... Moi je n'étais
pas là de toute façon. Moi, je ne suis né que le 30 décembre 1991
et ces renseignents m'ont été donnés. Les gens ne vont pas mentir à ce
point-là. Et puis, de toute façon, la position du gouvernement français le
prouve. Pourquoi le gouvernement français nous persécute ? Pourquoi le
gouvernement français nous a ignorés pendant dix-huit ans et ensuite il nous
persécute si ce n'était pas à la demande du roi du Maroc. Mais nous
sommes citoyens français. "
TM -- " Monsieur Bourequat, un instant s'il vous plaît...
"
AB-- " Pourquoi la France nous ignore ? C'est
une honte pour un pays de droits comme la France qui a été le berceau des
droits de l'homme de persécuter ses citoyens. Pourquoi ? C'est de la
discrimination raciale. "
TM -- " Monsieur Bourequat nous comprenons très bien votre
douleur pour qu'elle ait pu justifier votre expatriation et nous entendons
bien vos accusations même si, ici donc, les personnes mises en cause ont
globalement démenti sans pour autant apporter quelque explication que ce soit
à vos allégations et nous savons bien entendu également que la justice américaine
a elle considéré que les éléments que vous apportiez étaient corroborés
à ses yeux, suffisamment tout au moins, pour vous accorder, à vous et à
madame Hémard, l'asile politique. Nous vous remercions de cet
entretien. "
AB-- " Elle n'est plus madame Hémard,
elle est madame Bourequat actuellement. "
TM -- " Félicitations monsieur. "
AB-- " Merci. Et ce que je voudrais demander à
l'Europe, c'est que l'Europe prenne en considération... parce que ce problème
de drogue, il n'y a pas une volonté européenne... "
TM -- " Monsieur Bourequat, vous avez jeté un grand trouble
dans cette salle, vous imaginez. Nous allons discuter de cela. Laissez-nous
digérer un petit peu votre intervention et nous n'hésiterons pas à vous
rappeler si nécessaire. Merci de cette intervention. "
AB-- " Je vous en prie. "