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JE NE REGRETTE RIEN
Par Pierre SERGENT
Chez Fayard

LE  PUTSCH ET LA LÉGION ÉTRANGÈRE

EXTRAIT – Partie 2

 P. 392 à 400

Le putsch avait échoué : dès les premières heures de cette première journée, les officiers du 1er R. E. P. auraient pu s'en rendre compte. Ils avaient donné Alger à quelques généraux et colonels. Ceux-ci ne sauraient qu'en faire, ou n'en feraient rien de fort. Comment s'en débarrasser : ce serait vite une situation à la Ionesco.

Pourtant, on ne pouvait rêver opération plus brillante. Sans bruit, sans violence. A tel point que les civils endormis ignoraient les événements de la nuit. Il fallut le discours de Challe sur les ondes de France V pour qu'ils réalisent ce qui s'était passé. Alors éclata leur joie. L'espoir renaissait.

Ce ne fut qu'un feu de paille. Au fond, la « révolte militaire » comme la baptisera Challe, ne sera qu'un long week-end prolongé, un pont, comme on dit. Le 22 avril était un samedi. Le mardi 25 avril, tout serait terminé. Les bureaux reprendraient leurs paisibles activités et les rêveurs des djebels iraient se faire pendre ailleurs.

Les heures passant, le 1er R. E. P. était employé à des tâches secondaires, des missions quasiment inutiles : des corvées de balayage, en quelque sorte. Ici, un « point névralgique » d'Alger encore à contrôler. Là, au G. G. ou au corps d'armée, la garde à assurer. Le régiment, ce fer de lance de la rébellion militaire, s'émoussait à ces besognes sans relief révolutionnaire. Ici, l'Amirauté, où il fallait montrer les dents pour ne pas avoir à mordre. Là, les studios de la R. T. F., boulevard Bru à occuper. Là encore, le central téléphonique Mustapha à surveiller...

C'est que le téléphone, où Challe était pendu, jouait le premier rôle. D'un bout à l'autre de l'Algérie, le général lançait le fil pour tenter de pêcher quelques ralliements de généraux. Pêche illusoire... Pendant ce temps, les civils activistes étaient systématiquement écartés. Quelques officiers du R. E. P., Degueldre en tête, se tenaient en contact avec eux. Dans ces conciliabules, les paroles sentaient le soufre :

« Mon capitaine, c'est à vous de jouer!

—  Comment ça?

—  Salan vient d'arriver. Challe ne sert plus à rien. Neutralisez-le. Imposez Salan! »

L'épreuve de ce dimanche allait connaître à 20 heures son point de crissement : De Gaulle parlait, stigmatisait le « quarteron » des généraux, ordonnait brutalement :

« La mission générale des forces armées consiste d'abord à arrêter l'insurrection, puis à la briser, enfin à la liquider par tous les moyens voulus, y compris l'emploi des armes... »

Le contingent pouvait respirer : de l'autre côté de la Méditerranée, vers quoi tous aspiraient, il y avait un chef! Déjà, dès le matin de ce dimanche de désenchantement, de jeunes soldats avaient bruyamment manifesté en faveur du chef de l'Etat, avec des cris d'inspiration classique :

« La Quille, bordel! Vive De Gaulle! Mort aux vaches! »

Les vaches en question étaient d'abord les légionnaires-parachutistes. Les vaches au béret vert l'avaient durement senti, ce dimanche matin, à la caserne d'Orléans, cantonnement du 9e Zouave. Une section du 1er R. E. P. y avait été envoyée pour rétablir le calme, sinon l'ordre légionnaire.

Moments de tension. En bas, dans la cour de la caserne, les légionnaires, immenses Allemands et autres « Français par le sang versé », comprenant parfaitement les injures qui pleuvaient. En haut, à tous les étages, grappes braillardes aux fenêtres, le poing levé par-ci, par-là, le contingent. Hurlements contre silence. Joues mangées par la barbe contre visages nets et osseux. Calots de travers contre bérets verts en ligne. En somme, deux conceptions du monde, deux visions esthétiques différentes, deux rêves opposés.

Les zouaves sentirent la tension. Peu à peu, sans qu'aient bougé les légionnaires, les cris cessèrent, les insultes moururent sur les lèvres, les « vive De Gaulle ! » rentrèrent dans les chambrées. La fanfaronnade était tombée.

Impavides, devant des garnements immobiles et muets, furibonds et trouillards, les légionnaires neutralisèrent les zouaves en mettant l'armement en sûreté.

Diffusé par les transistors, le discours de De Gaulle fut comme le vent soufflant sur la mer. Ici et là, dans les cantonnements d'Alger, des vagues. Des jeunes soldats regonflés qui criaient leur haine des putschistes. Rien de sérieux, rien de solide. Il suffisait d'envoyer une section de parachutistes. La seule vue des Bérets verts ou des Bérets rouges apaisait la tempête. Victoires purement symboliques. Le mouvement était pourri, la sédition sans attache. Ce n'était qu'une « drôle de guerre révolutionnaire », un Camerone des soldats purs et durs.

Camerone, le 1er R. E. P. connaissait. D'ailleurs, la fête tombait le dimanche suivant, le 30 avril.

24 avril de la désolation, de l'incertitude, du désenchantement. Tandis que le général aviateur Challe entendait avec tristesse le bruit des avions — ses avions — qui décollaient vers la métropole, fuyant les félons, le 1er R. E. P. continuait les corvées de peluche de la rébellion. Impuissants, les légionnaires restaient à leur poste. L'écheveau se déroulait entre leurs mains, à toute allure, et ils n'y pouvaient rien.

Et ce fut le 25 avril, la journée de la rupture, soudaine comme des sanglots qui surgissent après une tristesse trop longtemps contenue. Des pleurs de bonne femme, oui, c'était tout ce que méritaient ces journées aussi absurdes.

Dès le matin, les officiers du R. E. P. apprirent la nouvelle : le général Challe avait décidé de se rendre. Quoi, se rendre? Oui, se rendre! Le général met les pouces. Alors, c'était bien la peine...

Partout la débandade, partout la confusion. Cette partie de l'armée qui avait donné un accord hésitant aux chefs de la rébellion, qui avait cédé à la dialectique téléphonique de Maurice Challe ou qui s'était mollement inclinée devant les missi dominici des putschistes, cette armée des opportunistes se retournait précipitamment vers le pouvoir, lui donnant d'autant plus de gages qu'elle s'était engagée plus à fond. Cela n'allait bien loin ni dans un sens ni dans l'autre, il est vrai. Mais au début de l'après-midi, avec le groupement de commandos parachutistes du commandant Robin — un ancien du 1er R. E. P. ! —, il ne restait plus que deux régiments fidèles au général Challe, le 1er régiment étranger de parachutistes et le 1er régiment étranger de cavalerie. Les dernières heures de l'Algérie française militaire : égrenées par des étrangers... Il fallait que ce fût ainsi.

Challe remercia Saint-Marc : que le 1er R. E. P. assure l'ordre à Alger, où le F. L. N. invisible n'en était pas moins menaçant, jusqu'au moment de passer la main aux forces gouvernementales. Ultime corvée. Le R. E. P. l'assumerait. Le R. E. P. irait jusqu'au bout, et à sa tête ce grand et mince officier qui ignorait tout des projets de la rébellion la veille de son déclenchement.

Comme il le dirait lui-même à son procès, c'est en pensant à ses camarades, à ses sous-officiers, à ses légionnaires tombés au champ d'honneur que, le 21 avril à 13 h 30, devant le général Challe, il avait « fait son libre choix ». Le général Challe lui avait dit « qu'il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise, qu'il était venu pour cela ». Il lui avait dit
« que nous devions rester fidèles à nos promesses, que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s'étaient engagées à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur ». Alors, il avait « suivi le général Challe »...

Admirable Saint-Marc! Le dernier à être entré dans la rébellion, le dernier à en sortir. Pour l'instant, tandis que le commandant du R. E. P. recevait ses ultimes et dérisoires directives, l'un de ses capitaines houspillait dans un bureau voisin le colonel Georges de Boissieu, chef d'état-major de Challe. Le colonel baissait la tête :

« II n'y a plus rien à faire...

—  Si je peux aller voir Challe et lui tirer une balle dans la tête...

—  Pourquoi? »

Ce « Pourquoi ? » n'était qu'un murmure. Pourquoi ou pourquoi pas. La tête de Challe dans le plateau de la balance ne pesait plus rien.

Au début de la soirée, toutes les têtes de la rébellion étaient réunies au Gouvernement général : c'était là que tout avait commencé, trois années plus tôt, c'était là que tout se terminerait. Mais le G. G. n'était plus qu'un navire en perdition. En bas, sur le Forum, une foule désordonnée assistait au naufrage. On entendait une cacophonie de Marseillaise.

Deux compagnies du R. E. P. gardaient le bâtiment. C. R. S. et gendarmes rôdaient aux alentours. Mais il n'y aurait pas de curée. 250 légionnaires tenaient en respect les centaines d'hommes des forces de l'ordre qui s'agitaient dans l'ombre.

Au cœur du G. G., dans le grand salon où s'attardaient les quatre généraux et les derniers colonels, l'atmosphère était curieusement pénible. Un peu comme une fin de soirée qui se languit, où personne n'ose se lever pour donner le signal du départ. Challe fumait sa pipe d'un air absent. Salan méditait, appuyé contre le bureau. Jouhaud et Zeller s'entretenaient à voix basse. Saint-Marc marchait de long en large, très droit dans sa tenue léopard, le béret vert très enfoncé sur le front. Lui-même avait réglé tout ce qui était en son pouvoir : le repli du régiment sur Zéralda. A présent, aux portes du G. G., le régiment attendait. Les Algérois attendaient. L'Algérie attendait. L'Elysée attendait.
Tout le monde attendait la fin d'une mauvaise surprise-partie.

Le capitaine commandant la 1re compagnie du 1er R. E. P. entra. Il s'adressa à Challe :

«Mon général, vous avez décidé de vous rendre. Vous jugez que vous devez des comptes au chef de l'État. Cela ne nous regarde pas. Mais pour nous, le combat continue. Nous avons perdu cette manche, mais nous pouvons encore gagner. Il ne faut pas que les officiers qui représentent une force aillent volontairement en prison et soient ainsi perdus pour le combat qu'il reste à livrer.»

Challe lança une bouffée de mots et de fumée :

« Peut-être, répondit-il. Mais pour moi, je me présente. »

Euphémisme...

« Quant aux autres, poursuivit le général Challe, qu'ils fassent ce que leur conscience leur ordonne de faire ! » La conscience de Saint-Marc était de cristal. Le commandant cessa d'aller et venir en disant d'une voix douce :

« Moi, je suis responsable du 1er R. E. P. Je prends la décision de me présenter aux autorités... Vous, ajouta-t-il en se tournant vers ses jeunes officiers, vous pouvez continuer. »

Fin dramatique d'un tournoi de bridge. Chacun abattait sa dernière carte. Le mort était l'Algérie française. Le lieutenant Degueldre grogna. Lui, on savait : il continuait. A Louvroil, dans le Nord où il était né, là où la Flandre franchit la Sambre et tend vers les Ardennes, de mémoire de Flamand, nul n'avait jamais abandonné une tâche commencée. De toute éternité, les gens de ce pays, mieux que des Picards ou des Bretons, montraient de l'obstination. Des légionnaires.

« Partons, dit Godot, une intonation de mépris dans la voix, partons! Les gendarmes vont arriver... »

Les jeunes officiers quittèrent la pièce, laissant les généraux à leur destin, à leur choix. Brusquement, un autre capitaine du R. E. P., Yves Le Braz, se dressa devant le petit groupe. Il avait l'air de la statue du commandeur.

« II faut abattre Challe, dit-il.

Inutile. De Gaulle s'en chargera. »

C'était exactement ce que pensait le général Challe. Dans le grand salon, il disait :

« Ce qui m'ennuie, ce n'est pas d'être fusillé! C'est d'être insulté par des chacals triomphants. Il va y avoir de durs moments à passer. »

Saint-Marc s'approcha, figure protectrice, masse de calme :

« Mon général, fit-il, d'une voix toujours douce, rentrez avec nous au cantonnement de Zéralda. Vous vous livrerez demain matin. Chez moi, cela se passera proprement. »

Challe accepta. Ce sursis de quelques heures chez les Bérets verts était toujours bon à prendre. Le triomphe des chacals pouvait attendre. Encore un instant, monsieur le bourreau...

Devant le Forum, la file des camions du R. E. P. s'était rangée. Les moteurs tournaient déjà. Dans les couloirs du G. G., la plupart des légionnaires dormaient, avec l'innocence des guerriers et des enfants.

Une ombre s'approcha d'un légionnaire endormi. C'était Godot, son pistolet à la main, sa tenue camouflée sous le bras. Il s'était changé, il avait mis des vêtements civils, un pantalon de toile, une chemisette. Comme ça, il avait l'air d'un gamin, lui, Godot, le plus brillant des chefs de section du 1er régiment étranger de parachutistes.

Godot se pencha. Le légionnaire, autre gamin blond, ronflait la bouche ouverte. L'ex-lieutenant glissa sous son havresac le pistolet et la tenue camouflée. Puis il disparut dans l'obscurité.

Les généraux, d’un ordre, venaient de plonger le G.G. dans la nuit.

Cette dernière nuit arrachée aux chacals, Challe l'avait passée à Zéralda, dans le bureau de Saint-Marc. Une dernière fois, le chef de la rébellion avait serré la main à ses pairs, le général Salan et le général Jouhaud qui avaient quitté Zéralda. Destination : inconnue. Destinée : l'O. A. S. Encore une année...

Une dernière fois, dans le camp enfin silencieux, Challe et Saint-Marc avaient fait assaut de générosité et de mots :

« Saint-Marc, dit le général Challe, vous êtes jeune. Ceux qui se feront prendre vont payer cher. Moi-même, je serai sûrement fusillé. Vous avez fait tout ce que vous pouviez pour tenir votre serment. Allez-vous-en, pendant qu'il en est encore temps. Laissez-moi payer seul!

 —  Non, répondit Saint-Marc. J'ai entraîné mon régiment. Certains de mes officiers et de mes hommes vont être traduits en justice. Je ne les abandonnerai pas.

—  C'est bien », fit Challe.

Avant de s'étendre sur le lit de camp dressé à son intention sous le drapeau du 1er R. E. P. pour ce qu'il pensait être son dernier sommeil d'homme libre, le général écrivit une lettre. Il la remit au lieutenant Favreau, officier de sécurité du R. E. P.

« C'est pour ma femme », dit-il.
(Le lieutenant Favreau remis cette lettre à une hotesse de l’Air qui promit de la remettre à Mme Challe. Jamais elle n’arriva à destination…)

Puis, persuadé qu'il n'en avait plus que pour quelques jours à vivre, il parla longuement au jeune officier. Il lui expliqua les raisons de son action, exposa ses idées sur l'avenir, sur la France, sur l'Europe :

« Nous pouvions faire une Europe formidable de Narvik à Tamanrasset, dit-il. C'était mon rêve. Un rêve réalisable en quelques années! »

Challe était nostalgique. Il tendit la main à Favreau pour le congédier.

« Je souhaite que les générations suivantes trouvent une autre occasion aussi belle... »

A 9 heures du matin, le général se dirigea vers la voiture noire qui était venue le chercher au camp. Au moment d'y monter, il eut un sursaut comme s'il s'apprêtait à faire un geste impossible. Il fit demi-tour, arracha ses épaulettes étoilées et les tendit au lieutenant Favreau :

« Tiens », dit-il en jetant un regard méprisant au colonel qui était chargé de s'assurer de sa personne. « Prends-les. Je préfère te les remettre plutôt que de les donner à ces messieurs. »

II monta dans le véhicule qui démarra aussitôt.

Le camp fut consigné. Les officiers contenaient mal l'agitation de leurs hommes. Elle égalait leur accablement.

Le lendemain — c'était le 27 avril —, le camp était encerclé par les chars.

Un officier était de retour : le lieutenant-colonel Guiraud, commandant le régiment. Il avait échappé à l'engagement dans la rébellion. Lui revenait une amertume pire : dissoudre son propre régiment, liquider l'unité qu'il commandait, se rayer lui-même en rayant des contrôles le 1er R. E. P. Absent de la révolte où s'étaient jetés tous ses hommes, il était devenu un étranger parmi ces étrangers.

Devant tous ses officiers réunis au P. G. de Zéralda, il dicta ses derniers ordres. Briefing d'une courte bataille administrative où se fondrait le régiment, où disparaîtraient tous les légionnaires.

Le lieutenant-colonel Guiraud poursuivait d'une voix neutre, égrenant sans commentaires les dernières journées à venir du Journal des marches du régiment.

Le 27 avril, le 1er R. E. P. quittera Zéralda. Le 28, il arrivera à Thiersville, où s'accomplira 48 heures plus tard sa dissolution. Le régiment, dans sa totalité, sera affecté au 1er Étranger. Après quoi, les éléments seront distribués entre toutes les unités de la Légion. Quant aux officiers, ils seront traités suivant leur grade : commandant et capitaines seront déférés devant le Haut Tribunal militaire. Les lieutenants seront mis aux arrêts de forteresse. Il restera au camp un détachement d'une centaine d'hommes, sous-officiers et légionnaires. Le capitaine Caumont assurera le commandement de la place.

Le 29 avril, la moitié de ces effectifs embarquera à son tour à destination de Thiersville. Le lieutenant-colonel, commandant le régiment, rentrera de Bel-Abbés à Zéralda pour assister à la fin des formalités de liquidation.

Le 30 avril, journée de Camerone, journée fixée par les autorités pour la dissolution du régiment, les quarante hommes restants se rassembleront à 10 heures du matin sur la place du camp. Ils présenteront les armes.

Le lieutenant Soum, qui sera rentré la veille de permission, lira alors le récit de Camerone, qui s'achèvera sur la minute de silence rituelle... Ce sera tout.

Ce ne fut pas, au moment du départ, une minute de silence, mais une heure, une heure et demie. Un drôle de silence, entre­coupé d'explosions et rompu de chansons, sur le fond sonore des G. M. C. démarrant et roulant. Ce 27 avril 1961, à 17 h 30, le premier camion avait pris la route de l'Ouest, suivi de tout le convoi.

Un drôle de silence, un convoi funèbre et guerrier. Les explosions? Avant de partir, les légionnaires avaient fait sauter le magasin d’équipement et le dépôt de munitions.. L'air frais de là mer et des pinèdes se mélangeait d'odeurs de soufre, et le ciel se voilait de noir. Les chansons ? Cet air de Piaf, que le R. E. P. avait adopté et qui prenait ce jour-là toute sa résonance :

Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien

Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal
Tout ça m'est bien égal.

Non, rien de rien  
Non, je ne regrette rien  
C'est payé, balayé, oublié  
Je me fous du passé.

Dans les camions, les hommes chantaient. Voix profondes et viriles, donnant un accent wagnérien à la complainte, aux cris d'Edith Piaf.

Le décor était pareillement théâtral. Tout Zéralda était là. Les habitants faisaient la haie, avec ce sens du tragique qu'ont naturellement les peuples du soleil, dans l'illustration de leurs deuils. Les hommes avaient les poings serrés, les visages graves. Les femmes, la tête disparaissant sous de grands fichus noirs, pleuraient, se lamentaient, prenaient le ciel à témoin. Et elles jetaient des fleurs, des brassées de fleurs sous les roues des camions.

Le convoi du 1er R. E. P. roulait sur un tapis de roses et de lilas, de pensées. Voie triomphale et triste. A 19 heures, tout était terminé. Le dernier camion, la dernière chanson s'évanouissaient dans le lointain. Les officiers, à leur tour, montaient dans un autocar. Ils allaient se présenter aux autorités.

Et le camp fut désert.

Le convoi parvint à Orléansville. Sur les trottoirs, les C. R. S. et les gendarmes faisaient, eux aussi, la haie. Mais les armes pointées remplaçaient les fleurs de Zéralda. La première jeep, précédant le premier camion, apparut.

Ce fut alors une autre scène, autrement homérique. A l'arrière de la jeep, un grand sous-officier blond se leva. Et tourné vers les gardes, il leur fit un grandiose bras d'honneur, frappant le poing dans la saignée du coude et hurlant :

« Tiens! »

En écho, les légionnaires du camion s'étaient à leur tour dressés, parachevant l'injure, dans le même geste du bras tendu et criant :

« Fume! »

« Tiens ! Fume ! » « Tiens ! Fume ! »  Le cri se répétait à chaque camion, à chaque jeep. Sous l'injure, les gardes ne disaient rien, mais serraient les dents. Ils étaient l’ordre. Les légionnaires du 1er R. E. P., à présent, étaient le désordre. Mais ils ne regrettaient rien. Ils le chantaient encore, à bord des camions roulant dans la nuit, vers le Sud :

Avec mes souvenirs
J’ai allumé le feu  
Mes chagrins, mes plaisirs  
Je n'ai plus besoin d'eux  
Balayés les amours  
Avec leurs trémolos
Balayés pour toujours  
Je repars à zéro.

Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal

Tout ça m'est bien égal...

Pierre  Sergent


 


 
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