ACTE V
Paris le 1er juillet 2004
Madame,
Le
Président du CSA a transmis votre lettre à Marc Tessier,
Président de France Télévisions, qui m'a chargée de vous répondre au
titre de médiatrice des rédactions de France 3.
Votre
lettre datée du 8 juin concernait un sujet diffusé le 11 avril, dans le
19/20 sur le camp de Bias, notamment à propos d'une phrase du
commentaire de Jennifer Alberts, la journaliste qui a réalisé le
reportage.
Afin de
vous répondre, j'ai bien évidemment revisionné le sujet concerné. La
responsable de France 3, Madame Fansten, chargée du respect de
l'éthique et de la réglementation, était à mes côtés.
Je
pense que si vous avez vu le sujet lors de sa diffusion, vous
conviendrez comme moi qu'il met avant tout en cause le comportement de
l'Etat français.
J'ai
relevé la phrase qui a pu provoquer votre mécontentement. Je vous la
transcris mot pour mot. "Administré par des Pieds-Noirs, Bias
reproduisait l'Algérie coloniale."
Même
s'il n'y a pas de diffamation, de personne nommée et mise en cause, je
peux comprendre votre mécontentement. Il s'agit, de fait, d'un amalgame
regrettable. Amalgame qui peut être ressenti douloureusement sur un
sujet auquel vous êtes particulièrement sensible à titre personnel.
Il
aurait été préférable de préciser que ceux qui dirigeaient Bias
étaient des fonctionnaires de l'Etat.
Après
vérification, parmi les administrateurs qui dirigeaient ce camp, il y
avait bien des Pieds-Noirs, ce qui en aucun cas ne peut être considéré
comme choquant, d'autant que leur comportement n'est pas mis en cause
dans le reportage.
La journaliste reconnaît bien volontiers qu'elle aurait dû apporter
cette précision et regrette de ne pas l'avoir fait.
Il s'agit avant tout d'une maladresse. Il n'a jamais été question pour
sa part de porter un jugement sur l'ensemble de la communauté des
Pieds-Noirs.
Comprenant votre émotion, je vous prie de bien vouloir accepter nos
excuses.
Recevez
l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Marie-Laure Augry
Médiatrice des rédactions
ACTE FINAL
CENTRE
D'ÉTUDES PIED-NOIR
Nice, le 6 juillet 2004
C.E.P.N.
Josseline Revel-Mouroz
14, avenue A. de Vigny
06100 Nice
Tel/Fax : 04 93 98 11 75
Courriel :
rjosseline@aol.com
N° 40
MLA/JB
Madame Marie-Laure Augry
Médiatrice des rédactions de France 3
Madame,
J'ai
bien reçu votre lettre du 1er juillet et je vous en remercie.
Malheureusement, bien que vous me disiez comprendre mon émotion, je me
vois contrainte à procéder à une explication de texte.
1°)
Vous affirmez que la phrase "Administré par des Pieds-Noirs, Bias
reproduisait l'Algérie coloniale" n'est pas diffamatoire parce
qu'elle ne met pas en cause une personne nommée. Mais justement, la
diffamation atteint tous les membres d'une communauté "victimes de
discrimination fondée sur leur origine nationale, éthique, raciale ou
religieuse" (loi du 27/7/81). En outre, il s'agit d'une affirmation
mensongère, puisque l'Algérie "coloniale" ne parquait pas les Harkis et
leurs familles dans des camps entourés de barbelés.
D'autre
part, comme vous le dites vous-même, après vérification, parmi
les administrateurs qui dirigeaient Bias, il y avait bien des
Pieds-Noirs. Il me semble qu'il eût été préférable, de la part d'une
journaliste, en principe professionnelle, de vérifier avant
l'identité et l'origine du directeur de Bias, qui aurait
volontiers fourni toutes les précisions concernant l'administration de
ce camp, qui n'était ni collective, ni collégiale.
2°)
Vous me dites qu'il s'agit d'un amalgame regrettable et que madame
Alberts regrette de ne pas avoir été plus précise dans ses
affirmations. Mais, il ne s'agissait pas d'un reportage en direct.
Madame Alberts ne s'est pas exprimée "à chaud". La phrase en
question a été rédigée avant le montage. La journaliste avait donc tout
loisir de rectifier son erreur avant la diffusion du reportage. Elle ne
l'a pas fait. Elle avait l'occasion d'apporter ces précisions et
d'exprimer ses regrets dès le lendemain, à la même heure. Elle ne l'a
pas fait. Elle aurait pu répondre au message que je lui ai laissé sur
son répondeur. Elle ne l'a pas fait. Elle aurait pu, dans un souci
d'équité, donner la parole à tous ceux d'entre nous qui ont protesté.
Elle ne l'a pas fait. Comment, dans ces conditions, croire qu'elle ne
visait pas toute la communauté des Français d'Algérie?
3°)
Vous affirmez que je suis particulièrement sensible à ce sujet "à titre
personnel" et que vous pouvez comprendre mon "mécontentement". J'ai du
mal à croire que vous ayez compris le sens de ma protestation, car ce
n'est pas à titre personnel que je vous ai fait part de mon
indignation, mais au nom de tous mes compatriotes qui se sont sentis
insultés et diffamés. Je vous signale que toutes les associations de
Pieds-Noirs se battent aux côtés des Harkis pour qu'ils obtiennent
réparation et je fais moi-même partie de l'association AJIR,
présidée par Mohammed Haddouche.
4°)
La phrase qui a provoqué la colère et l'indignation de notre communauté,
par sa brièveté et ses sous-entendus, contenait toutes les accusations
caricaturales dont nous faisons l'objet et contre lesquelles nous
essayons de nous battre depuis plus de 40 ans. La réaction de votre
chaîne à nos légitimes demandes en est, une fois de plus, la triste
illustration. Je ne peux m'empêcher de m'étonner de cette conception de
l'éthique et de la réglementation d'une chaîne du service public.
Le 11
avril 2004, des milliers de téléspectateurs qui ne savent rien, ou
presque rien, de la guerre d'Algérie, et encore moins du sort réservé
aux Harkis et à leurs familles après 1962, ont été, une fois de plus
désinformés en entendant dire que les Pieds-Noirs étaient directement ou
indirectement responsables des conditions abominables décrites dans le
reportage sur le camp de Bias, puisqu'ils en étaient les
administrateurs. Il eût été plus honnête et plus "éthique" de préciser
clairement que c'était le gouvernement de l'époque, sous les
ordres du président de la république, Charles De Gaulle, qui
était responsable de cette situation et non pas "l'état français".
J'ajouterai, pour terminer, qu'il est surprenant de voir surgir
aujourd'hui ce genre de reportage sur le sort des Harkis et de leurs
familles dans les années 60 et 70, alors que les faits étaient connus
des hommes politiques et des journalistes. Si ces faits avaient été
dénoncés à l'époque où ils se sont produits, comme c'est le cas, de nos
jours, pour d'autres causes, ces camps de la honte n'auraient
probablement pas survécu aussi longtemps.
Cela
dit, le mal est fait et la désinformation poursuit son chemin. J'accepte
volontiers vos excuses, je veux bien croire aux regrets sincères de
madame Alberts, mais je ne suis qu'une citoyenne parmi d'autres
et le seul moyen de réparer le mal qui nous a été fait, serait de
diffuser un reportage objectif ou de donner la parole aux vrais témoins
du drame que nous, Français d'Algérie et Harkis, avons vécu.
Je vous
prie d'accepter, madame, l'expression de mes salutations distinguées.
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