Témoignage de Monsieur Jean BARTHE
Inspecteur Principal des P.T.T.
"J'habitais à MARAVAL dans une villa que j'avais construite en partie
de mes mains, en 1958 à la suite du "Je vous ai compris !"
de qui vous savez. Elle était sise angle rue Pierre Loti et Joseph Berthoin.
Mon voisin immédiat se nommait André Lopez, il était collecteur de
lait et tenait une épicerie. II avait 45 ans.
Lors des derniers jours, je Ie priais de fuir avec ma famille et moi-même
sur la corniche dans Ie périmètre encore protégé de Mers El-kébir. II
faut dire que quelques jours auparavant il avait expédié sa femme enceinte
et ses deux enfants en métropole. II refusait mon offre. J'ai fui avec ma
femme et mes enfants sur la corniche. Ma mère avec ma sœur que je n'avais pu
recueillir dans ma voiture étaient restées dans les H.L.M. de Maraval.
Le 5 juillet les premiers échos du massacre nous furent annoncés par des
gens qui fuyaient Oran en catastrophe.
Le 7 je me décidais avec mes frères d’aller chercher ma mère et ma sœur.
Un officier de gardes-mobiles à qui je demandais une escorte pour aller à
Maraval me répondit froidement : "Adressez-vous à I'O.A.S. !"
Enfin des militaires (je crois du RIMA) d'Eckmulh affectèrent des camions
et sous escorte nous transportèrent dans les endroits isolés et dangereux.
C'est la que j'appris la disparition et certainement la mort de M. LOPEZ,
notre voisin.
Une personne avait vu, lors d'un achat au magasin, entrer trois musulmans
adultes qui le demandèrent. Quelques instants après il avait disparu. Sa
cuisine était sans dessus dessous, les chaises renversées, des assiettes de
riz encore pleines, des traces de riz et de sang aussi sur les murs : il y
avait eu sûrement bagarre avant I'enlèvement.
A cette constatation, je me rendis au consulat pour signaler cette
disparition. Un employé que j'interrogeais sur le nombre de personnes
assassinées me répondit : "Le chiffre de 1.500 est déjà dépassé
!".
Voila I'horreur de ce massacre qui fut perpétré soi-disant par des "éléments
incontrôlés" sous I’œil morne et assoupi de I'armée qui resta,
honte extrême ! L'arme au pied sans intervenir. II est vrai qu'elle avait
des ordres émanant du général Katz qui les tenait du grand Charlot...
Ma pauvre mère assista à I'enlèvement dans une voiture d'un jeune homme
qui habitait dans les H.L.M. Je ne puis vous dire son nom, I'ayant oublié, et
ma mère étant morte je ne le saurais plus. II avait un nom espagnol.
II y eut aussi M. GAILLARD enlevé lui aussi et qui ne dût son
salut qu'a sa connaissance admirable de I'arabe : il demanda à ses bourreaux
de faire sa prière avant de mourir, iI fut projeté hors de la voiture et
s'enfuit.
II y eut encore le fils de Monsieur De Sola (collecteur de lait) à
Maraval. Ce fils militaire était venu voir sa famille ce jour-là. Nous avons
vu le père un mois après, son fils n'avait pas été retrouvé.
Nous avons revu Madame LOPEZ à Aix-en-Provence. Cette pauvre
femme qui espérait toujours était méconnaissable. Blanchie, vivant dans un
monde de terreur, de chagrins et de vains espoirs.
Un autre Monsieur LOPEZ à disparu, il habitait rue de Braza.
Monsieur Albert FERNANDEZ, policier, ancien tailleur disparu ce même
jour, il habitait rue du sergent Bobillot.
Un autre policier motard demeurant à Maraval, rue Valentin Hauy, Edouard
PRIETO, ancien douanier habitant la Cite Douanière à disparu aussi.
Monsieur LOZES épicier rue Valentin Hauy reçu une dizaine de coups
de couteau mais fut sauvé malgré ses blessures par un musulman qui le
connaissait et intervint à temps.
Maintenant je vais vous faire part de ce que peut-être vous connaissez déjà
par d'autres voix que la mienne : I'enlèvement et la disparition d'une
vingtaine de personnes employées des P.T.T. de la direction des Postes d'une
part, et de la Recette Principale, rue de la Bastille. II s'agit de
Monsieur JOURDE, directeur des Postes en fonction ce jour-la à la
Direction, de Monsieur DAVO, Inspecteur Principal, de Madame DAHAN
et d'une vingtaine d'autres personnes dont beaucoup de facteurs dont un m'est
bien connu : Monsieur GALVAN. Son frère ancien receveur à Ondes,
Haute Garonne, est maintenant décédé lui-aussi.
Voila les nombreux cas que je connais personnellement sans parler de ceux
dont j'ai oui dire au cours de mes conversations avec des gens de
la-bas...".
Jean BARTHE