Quelle était la culpabilité des enfants d'El-Halia ?
Témoignage de marie-jeanne pusceddu |
Insoutenable horreur barbare. Quelle était
la culpabilité des enfants d'El-Halia ?
Je m'appelle Marie-Jeanne Pusceddu, je
suis Pieds-Noirs, née à Philippeville en 1938 de parents français,
d'origine italienne.
Mes parents étaient des ouvriers; toute ma
famille, frères, oncles, cousins, travaillait à la mine d'El-Halia,
près de Philippeville.
Ce petit village d'El-Halia n'était
qu'un village de mineurs, d'artisans qui travaillaient dur dans la mine de fer.
Il y avait également des ouvriers arabes avec
qui nous partagions, au , moment de nos fêtes respectives, nos pâtisseries
et notre amitié. Ils avaient leurs coutumes, différentes des nôtres, nous
nous respections. Nous étions heureux.
Les « événements d'Algérie » ont commencé
en 1954. Mais pour nous, la vie était la même, nous ne nous méfions pas de
nos amis arabes.
Je me suis mariée le 13 août 1955, nous avons
fait une belle fête et tous nos amis étaient là, notamment C..., le
chauffeur de taxi arabe que nous connaissions bien... Avec mon mari, nous
sommes partis en voyage de noces.
Le 19 août 1955, avec mon mari André
Brandy (ingénieur des mines employé au Bureau de la recherche minière
d'Algérie), nous avons pris le taxi de C...pour rentrer à El-Halia.
Pendant le trajet, C... nous dit : « Demain,
il y aura une grande fête avec beaucoup de viande ». Je lui répondis :
« Quelle fête ? Il n'y a pas de fête ». Je pensais qu'il plaisantait...
Le lendemain, 20 août, tous les hommes
étaient au travail à la mine sauf mon mari.
Il était juste midi, nous étions à table, quand soudain, des cris stridents,
les youyous des mauresques et des coups de feu nous ont surpris.
Au même moment, ma belle-sour Rose, sa
petite dernière Bernadette (trois mois) dans les bras arrive, affolée,
suivie de ses enfants, Geneviève 8 ans, Jean-Paul 5 ans, Nicole 14 ans,
Anne-Marie 4 ans. Son aîné Roger, âgé de 17 ans, était à la
mine avec son père.
Avec ma mère, mon frère Roland de 8 ans,
Suzanne ma sour de 10 ans, Olga mon autre sour de 14 ans et mon mari, nous
avons compris qu'il se passait quelque chose de grave. Les cris étaient
épouvantables. Ils criaient : « Nous voulons les hommes ». Je dis à mon
mari : « Vite, va te cacher dans la buanderie ! ».
Nous nous sommes enfermés dans la maison, mais
les fellaghas ont fait irruption en cassant la porte à coup de hache. À
notre grande stupeur, c'était C..., le chauffeur de taxi, « l'ami » qui
avait assisté à mon mariage. Je le revois encore comme si c'était hier. Il
nous a poursuivis de la chambre à la salle à manger, puis dans la cuisine;
nous étions pris au piège. C..., avec son fusil de chasse, nous menaçait.
Il a immédiatement tiré sur ma pauvre mère,
en pleine poitrine, elle essayait de protéger mon petit frère Roland. Elle
est morte sur le coup avec Roland dans ses bras, lui aussi gravement atteint.
Ma belle-sour Rosé a été tuée dans le dos. Elle gardait son bébé contre
le mur, ma jeune sour Olga s'est jetée, dans une crise d'hystérie, sur le
fusil, il a tiré à bout portant. la blessant salement. Il nous narguait avec
son fusil.
Bravement et affolée, je lui dis : « Vas-y ! Tire ! Il ne reste plus que moi
». Il a tiré, fai reçu la balle à hauteur de la hanche, je n'ai même pas
réalisé et il est parti.
J'ai pris les enfants, les ai cachés sous le
lit avec moi, mais je souffrais trop et je voulais savoir si mon mari était
toujours vivant. Je suis allée dans la buanderie et me suis cachée avec lui
derrière la volière. Les fellaghas, les fils de C..., sont revenus. Ils se
dirigeaient vers nous en entendant un bruit, mais l'un d'eux a dit en arabe :
« C'est rien, c'est les oiseaux ». Et nous sommes restés, apeurés,
désemparés, sans bouger jusqu'à cinq heures de l'après-midi.
Les cris, le youyous stridents, la fumée, le feu, quel cauchemar !...
Un avion de tourisme est passé au-dessus du
village et a donné l'alerte.
L'armée est arrivée à dix-sept heures.
Et là, nous sommes rentrés dans la maison pour constater l'horreur.
Mon petit frère Roland respirait
encore; il est reste cinq jours dans le coma et nous l'avons sauvé.
Malheureusement, ma sour Olga a été violée et assassinée. Ma sour Suzanne,
blessée à la tête, elle en porte encore la marque.
Puis l'armée nous a regroupés.
Ma famille Azeï, tous
massacrés au couteau, la sour de ma mère, son mari, ses deux filles dont
l'une était paralysée, l'une des filles qui était en vacances avec son
bébé a été, elle aussi assassinée à coups de couteau (c'est la fiancée
de son frère, qui s'était cachée, qui a tout vu et nous l'a raconté).
Le bébé avait été éclaté
contre le mur.
Puis, mon cousin a été tué
à coups de fourchette au restaurant de la mine, le frère de ma mère.
Pierrot Scarfoto a été, lui aussi massacré, en voulant sauver ses enfants,
à coups de couteau, les parties enfoncées dans la bouche, ainsi que mon
neveu Roger, âgé de 17 ans.
Mon père, sourd de naissance,
blessé à coups de couteau, s'était réfugié dans une galerie abandonnée.
Il n'a pas entendu l'armée, on ne l'a retrouvé que quinze jours plus tard,
mort à la suite de ses blessures. Il a dû souffrir le martyre. Mon jeune
frère Julien a été également massacré.
Treize membres de ma famille ont ainsi été
martyrisés, massacrés par le F.L.N.
Je suis restée à l'hôpital près de trois
mois, j'avais fait une hémorragie interne avec infection, car les balles
fabriquées étaient bourrées de poils, de bris de lames de rasoir.
Nous avions échappé à la mort, mais pas à
la souffrance. Mon mari fut muté à Bougie, mais le chantier ayant
subi une attaque, il a dû fermer; puis à Ampère, près de Sétif,
et finalement au Sahara. Mais les femmes n'étaient pas admises.
J'ai été recueillie avec mes deux frères à Lacaune-les-Bains,
chez les sours de Saint-Vincent-de-Faul, j'y étais déjà venue plus
jeune.
Le fellagha meurtrier de ma famille a été
arrêté, j'ai dû venir témoigner pendant trois ans en Algérie, car
j'étais le seul témoin.
Mon témoignage fut mis en doute, du moins la
façon dont les miens ont été massacrés. Ils ont déterré ma mère pour
voir si je disais la vérité, je n'en pouvais plus. On a retiré plusieurs
balles et la seule chose de positive dans tout ce cauchemar, c'est le collier
qu'elle portait et que l'on m'a remis; collier dont je ne me séparerai jamais.
Marie-Jeanne Pusceddu
Crédit
L'Algérianiste N° 94 _juin 2001
Revue culturelle
BP 213
11102 Narbonne cedex
Tél/fax : 04 68 65 05 66
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