«l’Agonie d’Oran»
de
Geneviève de TERNANT
(éditions J.Gandini – Calvisson)
Témoignage de Monsieur
Robert VALÉ
Assureur,
commandant de réserve
Recueilli P.167 – 168-169 du Tome 1 du livre |
Témoignage cité dans L'article du journaliste
Claude PAILLAT
intitulé : "Le jour où
Oran fut livré" paru dans "Le
Méridional-La France"
du samedi 24 juin 1972
"Le 5 juillet vers
10h30, M. VALÉ se rend auprès du capitaine P..., un camarade de
guerre et parrain de son fils, qui commande une compagnie de zouaves installée
près de la ville Nouvelle habitée par des musulmans. Sur sa route, I'assureur
croise une foule de femmes et d'enfants arabes descendant vers les quartiers
européens. Pas d'incident au P.C. du capitaine P..., la garde est
doublée tandis qu'on aperçoit deux mortiers de 60 mm, bien camoufles en
batterie. Tout est alors calme aux approches du camp. Quelques passants à
I'extérieur. Au loin les rumeurs de la manifestation musulmane.
"Vers midi, M. Valé
quitte le capitaine P... et regagne le centre d'Oran pour un déjeuner.
Arrive à hauteur du cinéma Rex, il entend des explosions qui semblent provenir
de pétards dont raffolent les arabes et dont ils ont fait une grosse
consommation depuis le 1er juillet. Mais la masse sur laquelle il tombe n'est
pas joyeuse, elle est en proie à la peur. Tout le monde se bouscule. Les
musulmans ont une arme à la main, souvent un couteau. Quelques uns font signe à
M. Valé de changer de route. Remontant boulevard Joffre, la fusillade
s'intensifie car c'est bien de cela qu'il s'agit et non de pétards. Les
manifestants tirent en I'air tandis que la panique grandit dans la foule. A
grands coups d'avertisseur, M. Valé se fraie un passage vers le boulevard
de l'Industrie. Deux voitures le précèdent. Coups de feu sur les véhicules, dont
I'un des conducteurs touché, s'affaisse au volant, tandis que la voiture
désemparée s'écrase contre un mur. Se souvenant de la proximité d'un autre poste
de zouaves, au lycée Jules Ferry, et dont le capitaine V... est également
un ami, I'assureur tente de le rejoindre pour s'y mettre à I'abri.
"L'officier écoute les
explications de M. Valé alors que des balles s'écrasent sur des immeubles
avoisinants. A 13h30 la compagnie est en alerte, reliée aux autres unités d'Oran
par téléphone militaire et par radio. Et toujours à I'extérieur des clameurs,
des coups de feu. Deux reporters de Match, revenant
d'un reportage à Oujda sur les troupes de Ben Bella qui s'apprêtent à
entrer en Oranie, sont sauvés in extremis. Des toits du Lycée on a quelques
aperçus du massacre. Ainsi une Européenne qui sort sur son balcon du boulevard
Joseph Andrieu
est-elle abattue.
De même pour un homme qui a plat ventre sur son balcon
et puis se redressant un moment est tiré
comme un lapin.
"La fusillade est alors
systématique sur toutes les ouvertures des immeubles ou se sont réfugiés des
Pieds-Noirs. La c'est un
musulman
qui se débat au milieu
de la foule en délire. Réussissant à rejoindre les grilles du lycée en hurlant
des appels au secours,
son corps s'écroule dans une mare de sang.
Vers 15 h, toujours selon M. Valé, I'intensité
de la fusillade augmente encore, on entend même le crépitement d'armes
automatiques.
Interrogé sur ce qu'il
va faire, le capitaine V.. réplique
qu'il "a des ordres formels de ne pas sortir de son
cantonnement, afin de ne pas laisser supposer qu'il y a eu provocation et
d'éviter tout incident. "II ajoute qu'il a
"essayé de joindre le général Katz". II ne répond pas, on dit même qu'il
est à la chasse. En fait, Katz déjeunerait à la base aérienne de La Sénia où,
averti des évènements, il aurait répondu à un officier : Attendons 5 heures (17
heures) pour aviser !
"Vers 1 7
heures, la fusillade se caIme. On voit alors des troupes F.L.N. accompagnées de
civils en armes entrer dans les immeubles et en ressortir en encadrant des
Européens, femmes, hommes, enfants, vieillards. Ou les emmène-t-on ? Que va-t-on
en faire ?
"Au commissariat
central, ou se sont réfugiés d'autres malheureux Pieds-Noirs, un tri est opéré
par les musulmans. Les uns partent et on n'aura jamais plus de leurs nouvelles,
d'autres, et sans qu'on sache pourquoi sont sauvés par un commandant F.L.N. qui
vient demander aux zouaves du lycée Jules Ferry de les évacuer. Une navette
entre les deux locaux s'instaure, par voitures pour ramener les femmes et les
enfants; les hommes arrivent à pied "hagards et hébétés". Un silence étrange
s'abat peu à peu sur ce quartier d'Oran.
Vers 18 h, M. Valé
quitte le capitaine V... pour rejoindre un autre cantonnement militaire :
pas question en effet de se hasarder en ville. Sa voiture est encadrée par deux
jeeps. Sur sa route, des débris de meubles, du verre brisé, des étuis de
cartouches, du sang.
A un croc de la boucherie, près du "Rex", il aperçoit, pendue par la gorge une
des victimes de ce massacre.
Un peu plus
loin, c'est un cadavre dépassant d'une poubelle, la gorge ouverte d'une oreille
a 'autre".
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