PROPAGANDE MENSONGÈRE ET DIFFAMATOIRE
Preuves à l’appui encore en 2004
Parie 2 |
AFFAIRE 2
EXTRAIT :
Du livre « Mon père, ce harki » de Dalila Kerchouche
(Seuil)
Acte
I
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Camp
de Bias
Dans les années 1970, la moitié des habitants du camp a moins de 16 ans. Les
enfants grandissent dans cette violence et regardent les harkis humiliés se
mettre au garde-à-vous devant le drapeau français tous les matins. Moha
se bat tous les jours et rentre souvent avec le nez qui saigne. Rebelle, il
passe son enfance à lutter. Contre les jeunes du camp, d'abord, puis, au collège
et au lycée, contre les Français qui le traitent de «sale bougnoule». C'est un
écorché vif, un solitaire, un rêveur farouche et secret qui passe ses journées à
l'extérieur. Il vit à l'écart de la fratrie, supportant difficilement l'ordre
établi de ma mère. Il ne supporte ni l'enfermement ni la mainmise de
l'administration. Il s'échappe de la maison le matin et ne rentre que le soir,
fourbu, sans rien révéler de ses activités. Il sort du camp comme s'il
s'évadait, dès qu'il peut, et passe son temps sur les berges du Lot à se
construire des radeaux, pour quitter Bias, partir, loin.
[...] D'année en année, les harkis deviennent fous et se suicident les uns après
les autres. Un jour, un vieux Chaoui, également arabophone érudit, entre
dans le bureau du chef de camp et lui réclame des papiers administratifs. C.
D. refuse, la dispute éclate. Le vieux rentre chez lui, blême. Le lendemain
matin, sa femme ne trouve personne à côté du lit. Après quelques heures
d'attente, elle signale sa disparition. Les chiens des gendarmes vont
directement au Lot, d'où on retire le cadavre... Oui, Bias pousse les
gens à se détester, à se détruire.
Je nais là, le 23 juin 1973. A la maison, ma naissance est accueillie
froidement. Après 11 grossesses et des années de travail à l'usine, ma
mère est très fatiguée. A 39 ans, elle en paraît 50. A la maison, la place est
rare: 13 personnes vivent dans deux chambres avec des lits en fer
superposés et une cuisine. Quand ma mère apprend qu'elle est enceinte, elle
pleure de tristesse.
[...] Ma mère sent que la folie les guette. Après plus de sept ans passés à
Bias, elle l'a compris. Depuis qu'elle travaille, son caractère s'est
affirmé. Elle domine mon père, qui a démissionné de son rôle de chef de famille.
A la maison, les rôles sont inversés. Ma mère s'échine à l'usine et dirige la
maisonnée d'une main de fer, tandis que lui ne s'occupe plus que de sa
charrette. Inquiet pour ses enfants, il leur donne l'amour que ma mère n'a pas
le temps ni l'énergie de leur offrir. Avec une affection particulière pour la
plus jeune, son «dernier oiseau du nid»... Ma mère regarde Nacera, 2 ans,
l'avant-dernière, qui joue avec un balai à nettoyer le ciment devant la baraque.
Ma mère se penche sur mon berceau et caresse ma joue de bébé. «Je ne veux pas
que tu grandisses à Bias», me murmure-t-elle à l'oreille. Elle doit
nous arracher à ce lieu maudit avant que Bias ne nous détruise. «Dehors,
c'est mieux que le camp.» Elle en a l'intuition depuis sa rencontre avec
Juliette.
En 1974, peu de harkis ont osé quitter ce mouroir. Car rien n'est mis en place
pour les aider à s'extraire de la tutelle administrative. Au contraire, même...
A bout, mon père et ma mère réfléchissent pendant deux ans à leur départ. Au
début, ils voulaient louer une maison. Mais après plusieurs tentatives
infructueuses, un agent immobilier leur lance: «Le propriétaire vous refuse la
location parce que vous êtes des Arabes.» Ma mère réplique: «Tant pis pour lui.
Si c'est comme ça, je vais acheter.»
Algérie
[...]Atterrissage en douceur sur l'aéroport Houari-Boumediene, à Alger. L'avion
ralentit, mon cœur s'accélère. Le bruit du moteur se confond avec le
bourdonnement de ma tête. La rampe d'accès s'accroche à l'appareil. Après toutes
ces aventures, de Bourg-Lastic à Bias, mon périple ressemble à un long oued
ruisselant de larmes, de caillasse et de colère. Et maintenant...? Je regarde
mon cousin. «Ça y est, Ahmed, je suis en Algérie. Je n'arrive pas à le croire.»
Il lit mon désarroi et me serre le bras pour me donner du courage. Dehors, il
fait nuit, la piste est luisante de pluie. Mes jambes se dérobent. Pour la
première fois de ma vie, je vais poser le pied en Algérie, toucher le sol natal
de mes parents, la terre de mes ancêtres... C'est le rêve de trente ans, un
vieux fantasme enfin réalisé. En descendant la passerelle, dans ma tête qui
s'embrouille, je vois mes parents partir, fuir avec leurs ballots sous le bras,
j'ai l'impression de les croiser, je tourne la tête en arrière, ils semblent
m'attirer vers eux, vers la France, en me criant: «Non, ne va pas là-bas, c'est
dangereux...» Mais l'attrait de l'Algérie est le plus fort.
[...] «Est-ce que ton père t'a raconté la guerre?» me demande Tayeb. Je
soupire. «Un peu. Mais j'ai du mal à discuter avec lui. Il fuit quand je lui
pose des questions. Les harkis n'aiment pas parler du passé, ça leur rappelle de
mauvais souvenirs. Et puis ils se sentent tellement coupables qu'ils se
réfugient dans le silence...» Il m'interrompt brutalement: «Ton père ne t'a rien
dit?» Je ne comprends pas. «Dit quoi?» Je m'immobilise, inquiète tout à coup.
Que sous-entend-il? Il se ravise: «Non, il te le dira lui-même.» «Ah! non, je
veux savoir. Je suis l'invitée, j'ai tous les droits, non?» Ma boutade reste
sans effet. Il hoche la tête, indécis. «Bon, d'accord... Tu l'auras voulu.» Il
lâche alors: «Ton père travaillait avec le FLN...»
Le sol se dérobe sous mes pieds et la foudre de Sidi Youcef [un saint
local] me tombe sur la tête. Pourquoi me ment-il? Pourquoi me tourmente-t-il?
Mon fardeau est déjà assez lourd à porter! Mon père était harki, pas moudjahid!
«Pourquoi tu me dis ça, après tout ce temps?» «Je croyais que tu le savais. Je
te jure que c'est vrai, jure-t-il devant mon expression incrédule. Il y a quatre
ans, j'ai perdu une lettre signée du responsable FLN de la katiba [la compagnie]
prouvant que ton père les avait aidés et qu'il était protégé.» Des supplétifs
ont joué double jeu... Et si c'était vrai... Non, mon père n'a pas pu me cacher
ça. Pas à moi qui l'interroge depuis des mois! Je repense à la révélation de
l'oncle d'Ahmed: mon père m'a bien dissimulé l'engagement de son frère
Latrache aux côtés du FLN. Au lieu de me réjouir, je me sens trahie par mon
propre père, trahie par son silence... Tayeb scrute mon visage décomposé.
«Viens, assieds-toi, je vais te raconter...»
[...] Que serait-il advenu de mes parents s'ils étaient restés en Algérie? Ils
auraient peut-être été tués, je ne serais pas née, je n'écrirais pas ces
lignes... S'ils avaient survécu aux massacres, ils seraient toujours un fellah
et une bergère grattant une terre ingrate. Moi, je serais enfermée, comme mes
cousines, enterrée vivante entre quatre murs... Mais non. Mes parents ont été
sauvés par la France. Par un Français, un militaire. Leur exil a été une chance.
Une chance de survie pour mon père, qui a gagné quarante années de vie. Une
chance d'émancipation pour ma mère, et une chance de liberté pour nous, ses
filles.
Que dire de plus... Je suis déçue par la France autant que je le suis par
l'Algérie. Les deux pays ont trahi leurs idéaux... Les traîtres ne sont pas ceux
que l'on croit. Comme mon père, près de 40% des supplétifs, selon Michel Roux,
ont aidé les djounoud [les combattants du FLN]. Je commence à croire à la magie
de Sidi Youcef... Mais une question me taraude: pourquoi mon père ne
m'a-t-il rien dit? Pourquoi ne s'est-il pas débarrassé de cette culpabilité
qu'il traîne depuis quarante ans? J'ai hâte de rentrer chez moi, en France. Pour
parler, enfin, à mon père.
[...] «Pourquoi tu n'as rien dit, papa?» Assise dans la voiture, je scrute le
visage impassible de mon père. «Je passais déjà pour un traître aux yeux des
Algériens. Je n'allais pas encore l'être pour les Français!» [...]
Extraits de
"Mon
père, ce harki",
par Dalila Kerchouche (Seuil)
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