LES
ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES ITINÉRANTES
(E.M.S.I.)
PENDANT LE GUERRE D’ALGÉRIE
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Lu pour vous, issu
du bulletin de l’Association France DEBOUT-
BP 14-93 370 MONTFERMEIL - mai 2003-
Durant la guerre d'Algérie l’armée française a
eu aussi le souci de l’assistance sociale et médicale au bénéfice des
femmes, des enfants et des vieillards des trois départements français de
cette terre alors française. A côté des dispensaires, des missions d’hygiène
et d’éducation ont été confiées à des Equipes Médico-sociales Itinérantes
(E.M.S.I.) rattachées aux SECTIONS Administratives Spécialisées (S.A.S.) dépendant
elles-mêmes des 5ème bureaux de l’Etat Major.
Nous craignons que «l’Année de l’Algérie » officielle n’oublie aussi ce
volet et nous sommes heureux de remplir ses silences.
Extraites de « la Charte
» de janvier 2003,
ces lignes de l’une d’elles.
Les E.M.S.I. étaient placées sous la
responsabilité des unités militaires chargées de leur sécurité, dans leur
secteur d’action souvent dangereux, nos adversaires voyant d’un très
mauvais œil notre activité au service de la population féminine.
Cinq longues et difficiles années, 4, oeuvrer dans les «
EMSI » me donnent le droit et le devoir d'en parler aujourd'hui. Que
ce soit l'été sous un soleil torride, ou l'hiver dans le froid glacial et la
neige, j’ai parcouru les pistes de la petite Kabylie, la vallée de la
Soummam, les Aurès-Nementcha, la presqu’île de Collo et bien d’autres régions
que je qualifierais ironiquement de…touristiques.
N’ayant d’autre ambition que celle d’aider, secourir et tenter de
transmettre mon savoir.
Oui, il y a eu des actions humanitaires en Algérie, ce fut le travail
harassant des « E.M.S.I. ». Elles ont été environ un millier, chrétiennes,
musulmanes, israélites, natives de métropole ou d’Algérie, conscientes
des difficultés, des risques encourus et de la valeur de leur mission.
Familièrement appelées
« Toubiba » par les femmes et les enfants, elles étaient à
la fois, assistantes sociales, soignantes, puéricultrices, éducatrices et
amies, tentant par leur présence aux côtés de cette population rurale, désorientée
par les événements, de faire obstacle à la misère et à la peur. Avec pour
seule et unique ambition, de donner un visage humain à notre pays.
Comment décrire le
travail des « E.M.S.I. » ?
Elles n’avaient pas de programme défini, seulement des
élans, ceux qui viennent du cœur. Je précise haut et fort que ces jeunes
femmes dévouées, téméraires et ambitieuses ont tenté, par opposition à
la guerre, de choisir le difficile chemin vers la paix. J’ai le souvenir de
l’inconfort de mes étapes. Les épuisantes marches sur une piste sans fin,
pour atteindre le piton où était juché le douar. Les pluies diluviennes qui
transforment les oueds en torrents et les pistes en bourbiers infranchissables.
Les inondations emportent dans leurs eaux tumultueuses les modestes biens nécessaires
à la vie de tous les jours. Les glissements de terrains qui arrachent les
mechtas au passage, laissant les familles traumatisées et désemparées face
à ce douloureux coup du sort.
Le village de torchis qui est la proie des flammes à cause d’une
malveillance, dont il ne reste que les cendres.
Devant ces situations trop souvent tragiques et épouvantables les « E.M.S.I.
» étaient présentes afin de résoudre au mieux ces problèmes à priori
insolubles. Bien souvent, avec ténacité et courage elles y sont parvenues
malgré le manque de matériel et de moyens.
Au cours de ce difficile parcours, j’ai connu de très grandes peines,
lorsque l’on ne peut donner que ce que l’on possède. Hélas nos moyens
n’étaient pas à la mesure d'une population aussi dense, démunie de tout.
Mais j’ai également éprouvé de très grandes joies ; un enfant que l’on
aide à naître, un autre à guérir, une adulte que l’on a secourue et qui
vous exprime sa gratitude par un simple sourire.
Un jour un journaliste, curieux de l'accueil qui nous était fait, m’a posé
la question : « Aviez vous des difficultés pour entrer dans les
mechtas ? » Je lui ai répondu « Pour entrer non, pour sortir,
oui. »
Oui, il y a eu une action humanitaire en Algérie. Le seul regret que je
puisse exprimer à présent est que nous aurions dû être beaucoup plus
nombreuses, pour parvenir à éradiquer l’ignorance et favoriser l’évolution
des femmes de ce pays. Hélas la démographie galope plus vite que les bâtisseurs.
J’ai été et je reste fière d’avoir accompli cette noble tâche qui était
d’alléger la souffrance. Vouloir à présent occulter cette action
humanitaire, c’est mépriser ce qui fait le ferment de l’humanité.
Toutes ces petites graines de connaissance, d’espoir et d’amitié que les
« E.M.S.I. » ont semées sur leur passage croissent avec le temps,
qu’importe qui les récoltera, l’important est qu’elles grandissent.
Ces cinq années de présence en Algérie m'ont permis de
vivre tous les événements qui ont bouleversé l’histoire de nos deux pays.
* le 13 mai 1958,dans l'enthousiasme..
* le 23 avril 1961 dans I’espérance et l’inquiétude
* Le 19 mars 1962 dans la honte et le désespoir.
Après cette date le devenir des 10 équipes de la Zone
Sud-est Constantinois dont j’avais la charge et la responsabilité, fut réglé
dans la première quinzaine de juin, par une banale note de service, déposée
sur mon bureau, un texte sans ambiguïté.
« A compter du 1er juillet 1962, les « E.M.S.I
» de la zone Sud-est Constantinois seront mises à la disposition du
gouvernement algérien. »
Notre avis sur la question n’avait
aucune importance, pour la simple et unique raison qu’on ne nous l’avait
pas demandé.
C'est alors que j'ai dû déployer beaucoup d'ingéniosité
afin de préserver la vie de chacune d’entre elles.
L’expérience acquise m'incite aujourd’hui à affirmer
que la difficulté de construire n’apporte que des joies, comparée à la désespérance
et au dégoût d'avoir à détruire ce que l'on a édifié.
Les « E.M.S.I. » ont pour la plupart assumé le
rapatriement des Harkis en France, du moins le petit nombre d'entre eux qui
ont eu cette chance ; en ce qui concerne ces
derniers, il n’est que temps qu’on leur rende enfin leur dignité, leur
honneur et la place à laquelle ils ont droit dans notre patrie.
J'ai moi-même accompagné ces déracinés. La traversée,
sur une mer. particulièrement agitée dans l’inconfort d'un « LSD » (appelé
vulgairement péniche de débarquement, plus apte au transport de matériels
que d'êtres humains).
I
l reste dans ma mémoire le souvenir d'une longue nuit cauchemardesque, étant
dans l'impossibilité de rassurer ces familles tétanisées par la peur.. Au
petit matin, ce fut le débarquement de ces familles hébétées, accueillie comme des indésirables , des parias dans un
pays pour lequel ils avaient tant donné, tant sur leur sol, que sur le nôtre,
et qui à présent ne voulait pas d’eux.
Nous sommes restés là, toute la journée sur les quais de Marseille, sous un
soleil de plomb en attente de notre devenir sous les jets de pierres d’un
comité anti - Harkis brandissant des drapeaux F.L.N. et criant des quolibets
agressifs.
Aucune autorité policière n'est venue mettre fin à ce jeu cruel.
Vers midi, l'armée est venue nous apporter une collation
; pour les civils nous n’existions pas. Enfin le soir tout le monde
fut dirigé sur la résidence « 5 étoiles » du Larzac, le début
d’une autre histoire pour ces déracinés.
Certes, toute guerre, car il faut bien lui donner ce nom, est une épreuve qui
meurtrit les corps et avilit les âmes, avec son long cortège de misère ,
d'innocentes victimes , de drames et de morts.
La France, qui se dit terre d'accueil et patrie des droits de l'homme, a
failli à sa réputation en reniant sa parole en cette circonstance
Mme Ginette TREVENON-COPIN
Chevalier de la Légion d'Honneur –
Ancienne responsable: de Zone des E.M. S.I.
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