Témoignage
de Monsieur, André LERME
|
Témoignage
de Monsieur, André LERME
recueilli P.156-157 du Tome 1 du livre « l’Agonie d’Oran »de Geneviève
de TERNANT
(éditions J Gandini – Calvisson)
J'habitais boulevard de Latter deTassigny au "Commodore" et ce
matin 5 juillet, nous nous promenions, ma femme et moi, en ville. Rue
d'Arzew, Bd. Clémenceau, Place d'Armes. II y avait du monde, beaucoup de
monde : C'était la grande liesse pour les Algériens, et nous étions un peu
étourdis par les you-you ! Je dois dire qu’à ce moment-là (entre 11 h. et
12 h.) nous ne ressentions aucune inquiétude; nous passions inaperçus.
Personne ne portait une attention particulière aux Français.
Vers 12h1 5, nous étions au "Restaurant du Midi" rue d'Alsace-Lorraine...
Nous mangions tranquillement quand, brusquement, des coups de feu claquent, très
proches. Un client s'est levé et est allé voir dans la rue et est revenu en
disant : Ils tirent dans les maisons. Puis il a tiré le rideau de fer.
Est-ce ce geste qui a tout déclenché? Je ne sais.Toujours est-il qu'une
rafale de mitraillette a été tirée dans le restaurant. La panique...
Nous nous retrouvons tous dans les cuisines. Une serveuse est passée par
une lucarne. Comment ? Elle doit se le demander encore aujourd'hui. Un collègue
s'est retrouvé, vite fait, sur le toit... Finalement nous nous sommes alignés,
sous la menace des fusils et revolvers contre le mur du magasin Meslot, les
bras en I'air. Devant nous, des individus excités, hargneux, gesticulaient
I'arme à bout de bras. Vont-ils tirer ?
Non ! Mais nous n'en menions pas large. Une femme a été tuée par la
rafale et un militaire blessé.
Les femmes ont ete libérées et invitées à gagner leur domicile (Jugez de
leur état d'esprit !). Les militaires français ont été relâchés également.
Quant à nous, sur deux rangs, les mains sur la nuque, bien encadrés, nous
remontions la rue. De temps en temps des coups de feu étaient tirés, en
l’air, pour nous faire peur peut-être, pour nous intimider... C'était réussi
mais du moment que nous entendions les coups, pas de souci à se faire... du
moins dans I'immédiat.
Un bus est arrivé; on nous a invités à monter pour nous conduire au
Commissariat Central. Là, en descendant du car, certains, les plus jeunes,
ont été bousculés, puis tout le monde fut parqué sur le trottoir... Et
nous attendions, nous attendions sous le soleil. On nous a apporté de I'eau
pour boire. Nous étions observés par des résistants de la "25° heure"
et certains ont commencé à tomber la veste pour venir nous tabasser.
J'ai reconnu mon marchand de légumes du marché d'Eckmulh mais un soldat
de I'ALN s'est planté devant eux, arme croisée sur la poitrine et a dit:
"Vous me passerez sur le corps avant de les toucher !" Ils n'ont pas
insisté et nous n'avons à aucun moment, été brutalisés.
Un officier, le commandant Rognoni, si ma mémoire ne me fait pas défaut,
discutait avec les autorités du FLN de sa propre initiative. Après des
heures de palabres, ce courageux commandant nous a rassemblés et conduits à
la caserne du recrutement, derrière le commissariat. II a fait réquisitionner
des autobus.
Nous avons été groupés par quartiers, embarqués dans des cars et sous
la protection de sentinelles françaises, conduits vers nos domiciles. Je suis
arrivé chez moi vers 18 heures. Ma femme m'attendait, dans quel état ?
Je dois dire que nous revenons de loin et que nous avons eu beaucoup de
chance. La baraka, quoi !
André LERME
|