TÉMOIGNAGE DU DOCTEUR GUY SOLA
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«l’Agonie d’Oran»de
Geneviève de TERNANT
(éditions J Gandini - Calvisson)
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TÉMOIGNAGE DU DOCTEUR GUY SOLA
P.70 à 81 – tome 3
Sur les conseils de mon ami, le docteur André
Bernard, je rapporte ici la douloureuse histoire de la mort de mon père, Manuel,
disparu à Oran le 5 juillet 1962.
J'habitais alors à Paris et logeais chez ma mère et ma
sœur qui avaient quitté Oran quelques mois plus tôt devant la recrudescence
des attentats terroristes perpétrés par le FLN et la prochaine célébration
de l'indépendance de l'Algérie fixée le 5 juillet. Mon père, agriculteur
à Prudon, était resté sur place pour finir de rentrer la récolte des céréales,
et devait revenir à Paris précisément le 5 juillet, par l'avion d'Air
France.
Or, ce jour-là, il ne se manifesta pas et n'était pas
dans l'avion Oran-Paris.
Nous alertâmes alors mon cousin, François Mas, décédé depuis. Il
faut penser qu'à cette époque les communications téléphoniques entre la métropole
et l'Algérie étaient très longues à établir et qu'il fallait DES HEURES
pour pouvoir contacter l'interlocuteur local.
Nous pûmes joindre enfin notre cousin François Mas le
lendemain matin et demandâmes des nouvelles de mon père. François Mas,
qui était alors le gérant de la Brasserie "L'Aiglon", rue d'Alsace-Lorraine
à Oran, très surpris et inquiet, nous révéla qu'il avait dit au revoir à
mon père ce 5 juillet à 11 heures, sur le devant de "L'Aiglon" et
lui avait dit :
"Manuel, ne sors pas ce matin. Il y a des
troubles partout, la foule est en délire, on entend des coups de feu par-ci,
par-là, c'est de la folie de circuler dans les rues en ce moment".
Ce à quoi mon père répondit :
"Rien ne peut m'empêcher de partir aujourd'hui car
j'ai une place réservée sur l'avion d'Air-France, à destination de Paris
et, pour rien au monde je ne la perdrai".
Et depuis, plus rien. Chaque jour, nous téléphonions,
et comme toujours avec plusieurs heures d'attente, à notre cousin François
Mas, à mon oncle Jean Sola et l'autre oncle, Albert Sola,
qui, eux, étaient encore restés à Oran. Et personne ne pouvait nous
renseigner sur le devenir de mon père.
On apprenait par les journaux les incidents du 5 juillet
à Oran et les multiples tués parmi la population européenne, mais des précisions
sur mon père, aucune. Un autre de mes cousins, Francis Baylet, qui était
agriculteur à Saïda, et qui était aussi resté à Oran, nous informa alors
qu'on avait retrouvé plusieurs cadavres au
"Petit Lac"
, près d'Oran, mais qu'on n'avait pas pu identifier. Et toujours dans
l'angoisse et dans l'attente d'une nouvelle.
Lorsque, soudain, le 22 juillet, François Mas
nous informa qu'il avait reçu un coup de téléphone d'un dénommé "Taïeb",
soi-disant commissaire de Police à Tlemcen (ce qui s'avéra exact plus tard)
et qu'il lui avait dit que Manuel Sola était prisonnier d'un groupe de
rebelles algériens, à la frontière algéro-marocaine, près d'Oujda, qu'il
était en bonne santé, et qu'il fallait lui envoyer de l'argent pour sa libération.
Nous demandâmes alors des preuves de cette assertion, mais plus rien comme réponse.
Août, septembre et octobre passèrent, et toujours dans
l'angoisse, ici, à Paris, sans nouvelles de mon père. Ma mère, ma sœur,
mon frère et moi étions plongés de plus en plus dans une inquiétude motivée.
C'est alors qu'au début novembre, Taïeb se manifesta à nouveau et précisa
que, moyennant 20.000 Francs (2 millions alors en 62), il se chargeait de libérer
mon père.
Mon frère, René, (décédé aussi en 79) et moi,
décidâmes d'obtempérer à cette injonction et, par l'intermédiaire de la
Société Centrale de Banque de Paris, nous fîmes parvenir cette somme à la
BNCI, succursale de Tlemcen, qui remit la rançon au soi-disant Taïeb.
On avait bien demandé une preuve de son vivant, toujours par l'intermédiaire
de mes oncles et de François Mas, mais ils n'avaient rien pu obtenir
de concret.
Devant cette situation, dans l'inconnu le plus absolu,
je décidais d'aller sur place aux fins de recherches. Mais à ce moment,
Monsieur Robert Allègre, qui était le cousin de ma belle-sœur,
Madame Annie Sola, et qui avait été directeur de banque au Maroc
pendant 16 ans, avant ces événements, se proposa de m'accompagner, tout
d'abord au Maroc. Il connaissait beaucoup de personnalités là-bas et se
faisait fort de m'aider dans la recherche de mon père grâce à ses relations
marocaines.
Nous prîmes donc l'avion Paris-Casablanca !e 13
novembre 1962, en étant déjà assurés d'un rendez-vous avec le Ministre de
l'Intérieur du Maroc, ami de Monsieur Robert Allègre. Au cours du
repas (un délicieux couscous), nous l'informâmes du but de notre visite : à
savoir s'il était exact qu'un camp de prisonniers se trouvait à la frontière
algéro-marocaine. Il répondit sans hésitation que ce n'était pas vrai, et
que nous avions été trompés. Monsieur Allègre revint alors sur
Paris et, moi, je décidais de venir à Oran pour enquêter sur place.
J'y arrivais le 16 novembre, et ma première visite fut
pour Monsieur Daste, procureur de la République Française, encore sur
place, et qui réglait toutes les affaires pendantes avant de repartir définitivement
sur Paris. Notre entretien au Palais de Justice d'Oran fut bref. Il me déconseilla
de poursuivre plus avant mes recherches car il était persuadé du caractère
trompeur de nos relations avec Taïeb. Mais, que néanmoins, si je
persistais dans mes recherches, du moins devrais-je le faire avec prudence.
Une opportunité se présenta alors, - un pur hasard - la préposée à l'Etat-Civil
de la Mairie d'Oran connaissait mon oncle Jean Sola, et ce jour-là, le
16 novembre, elle l'appela au téléphone pour lui expliquer, qu'étant partie
en juin 62, en France pour ses vacances (en réalité pour fuir la période début
juillet qui s'annonçait sérieuse), et que, de retour à son bureau, elle
avait remarqué que sur le registre d'Etat-Civil, relatif aux décès, on
avait déchiré trois pages, en milieu de page, de bas en haut, et qu'ainsi,
seuls quelques noms subsistaient. Elle lu un nommé Sola, figurant sur
une partie de la feuille restée dans le registre, et, étonnée de ce nom qui
était aussi celui de l'ami Jean Sola qu'elle connaissait, elle lui téléphona
pour lui expliquer ce fait.
Nous nous rendîmes aussitôt à la Mairie et vérifiâmes
ses dires. Il s'agissait bien de la journée du 5 juillet 1962. Notre
cousin François Mas me conseilla alors, d'aller voir le préfet algérien,
alors en fonction, en compagnie de Maître Luglia, avocat à Oran, car
celui-ci connaissait personnellement cette personnalité, afin de lui demander
l'autorisation de faire des recherches au cimetière d'Oran (cimetière
Tamas'houet)
. Il se trouve que le préposé à la garde du cimetière était Monsieur Lubrano,
père d'un de mes amis d'enfance, Albert Lubrano, au collège
Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Oran (en réalité, il s'agit d'un homonyme).
J'avais demandé au préfet de m'autoriser à faire des exhumations afin de
retrouver mon père porté disparu depuis le 5 juillet (nous étions le 16
novembre), alors même que nous étions soumis à un chantage de la part
du commissaire Taïeb. Après bien des hésitations, et, comprenant mon
désarroi, le préfet me remit une autorisation pour faire exhumer les
cadavres enfouis dans la fosse 5 du cimetière
.
Monsieur Lubrano n'en revenait pas que l'on ait
pu m'accorder cette autorisation, mais il me promit pour le lendemain matin 17
novembre, l'aide de 4 fossoyeurs pour pratiquer cette sinistre besogne.
Le 17 novembre, donc, à 8 heures du matin, on
commença à déterrer les cadavres qui avaient été entassés le 5
juillet 62
. Les trois
premiers corps étaient des religieuses
, avec la robe marron et des souliers, types "Spartiates", puis deux
corps d'enfants, puis deux
hommes, une
femme, semble-t-il, car la décomposition était extrême, mais les vêtements
conservés. Puis, au 14ème
corps, je reconnus mon père
, grâce à ses vêtements griffés Guttierez
, (un tailleur d'Oran) et à ses chaussettes.
Je le fis mettre de côté, arrêtais
les fouilles
, et fis un examen de son squelette. Il avait une perforation
du crâne
, certainement par balle
, entrée par le pariétal gauche et sortie par l'occipital droit.
J'étais anéanti, mais en même temps soulagé, car je
savais que mon père ne souffrait plus. Je fis venir une ambulance qui
transporta le corps de mon père dans le caveau de famille du même cimetière
et me fis conduire chez le Procureur Daste
, au Palais de Justice. Il me pria, alors, de quitter
Oran de toute urgence, car "ma vie, disait-il était maintenant en
danger"
. Il téléphona lui-même à Air-France pour m'obtenir une place à
destination de Paris ce même jour. Mais l'avion était complet. Il exigea une
place prioritaire pour une personne en danger de mort.
J'arrivais le soir même à Orly où ma mère et ma
famille m'attendaient. J'avais rapporté la griffe du tailleur "Guttierez"
qui était cousue à l'intérieur de la veste de mon père, ainsi que ses
chaussettes, comme preuves certaines.
Guy Sola
COMMENTAIRES :
L'histoire que nous raconte le Docteur Sola est
particulièrement intéressante et la précision du témoignage, les noms et
les dates qu'il révèle éclairent les circonstances terribles de ce drame.
En effet, s'il est impossible de savoir où Monsieur Manuel Sola a été
abattu, nous savons qu'il n'a pas été tué par une rafale de mitraillette
mais par une balle, probablement au cours d'une exécution comme celles que
plusieurs témoins rescapés ont vues perpétrer au commissariat central ou à
l'hôpital. Son fils, étant médecin, aurait sans doute remarqué d'autres
blessures s'il y en avait eu, à moins que l'état de décomposition ne l'ait
pas permis.
Nous savons aussi que le préfet algérien connaissait
l'existence de cette tombe 5
. La délégation de la
Croix-Rouge
suisse qui a soi-disant procédé à une
enquête sur place ne l'a-t-elle jamais su ou n'a-t-elle pas voulu exiger,
avec les moyens qu'elle aurait dû avoir, l'exhumation de tous ces corps
?
Comment un homme seul a-t-il réussi ce qui semblait impossible à tous et même
à Monsieur Lubrano ?
-Combien de corps contenait cette fosse commune ?
-Qui a
procédé à leurs inhumations ?
-Pourquoi n'a-t-on pas essayé de faire
reconnaître les corps par les familles dont plusieurs nous ont raconté
qu'elles étaient allées à Oran dans l'espoir d'avoir des nouvelles de
disparus ?
Nous comprenons bien que ces pauvres gens se sont heurtés
à la mauvaise foi des personnalités algériennes et françaises alors en
poste à Oran.
Nous ne pouvons que rendre hommage au courage et à
l'obstination du docteur Guy Sola, qui a été aussi servi par la chance. Hélas,
si cela s'était su, à l'époque, on aurait pu mettre fin à bien des
attentes vaines. Nous pouvons aussi déplorer la malhonnêteté de personnes
sans scrupules qui ont profité du désarrois des familles pour extorquer des
rançons, et donner de faux espoirs.
Enfin, le problème reste posé de l'existence de camps
de prisonniers.
Farouchement niée par les gouvernants français et algériens
mais affirmée par des témoins qu'on nous a dit dignes de foi, nous ne
pouvons qu'attendre que la chance nous permette d'élucider cette énigme.
Enfin, une autre énigme consiste à essayer de savoir:
-qui
a fait arracher 3 pages de décès dans les registres d'Etat-Civi! à la date
du 5 juillet 62 ?
-Combien de noms peut contenir une page ?
-Qui avait fait inscrire ces noms, puisque les familles
n'étaient pas sur place, pour la plupart ?
-Pourquoi les a-t-on arrachées ?
-Et pourquoi seulement en partie ?
Probablement dans la hâte... On voit bien que chaque
petit pas que nous faisons vers !a vérité fait surgir de nouvelles et
cruelles interrogatoires.
G.De Ternant
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G.I.-
Connaissant les arabes du FLN comme je les connais, personne pourra désormais
retrouver un corps là ou Guy Sola a retrouvé celui de son père.
Ne nous faisons plus d’illusions nous avons été "baisés"
sur toute la ligne.
En raison de la complicité qui lie Chirac-le-collabo
et Bouteflika-le-boucher
toutes traces compromettantes entre les gaullistes et leurs alliés FLN
ont été aussitôt effacées.
Par moment, je me pose la question de savoir si c’est
les arabes du FLN que l’ont veut intégrer en France ou si c’est les
Français que l’on veut islamiser, vu les milliers de mosquées qui y sont
construites ?
Mais au fait si nous sommes si racistes que ça, que
sont devenues nos ÉGLISES ? Que sont devenus nos cimetières?
Comme vous avez bien su retourner la situation en votre
faveur ! Mais vous ne pourrez mentir eternellement car un jour l'Histoire
aura le dernier mot.
Gilbert Ibanes
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