La bombe du Milk-Bar d'Alger
Par Jean-Claude KISSLER
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Témoignage
recueilli par Hervé CUESTA dans le dernier numéro d'Aux Echos
d'Alger
je veux raconter…
Quelques mois plus tard j’ai reçu
une nouvelle affectation qui m’a conduit dans la casbah d’Alger et avec
mon unité nous étions charges de maintenir l’ordre et la sécurité dans
cette ville où le terrorisme faisait de nombreuses victimes innocentes.
De gardes en patrouille et de
patrouille en intervention, le temps s’écoulait rythmé par le bruit des
explosions et le hurlement des sirènes jusqu’à cette terrible journée du
30 septembre.
Ce jour là avec ma patrouille je
devais assurer le maintien de l’ordre dans le secteur de la rue
d’Isly.(ALGER)
Vers 18h 30 nous avons entendu
une terrible explosion qui a ébranlé le sol. Nous nous sommes rendus immédiatement
sur les lieux : une bombe de forte puissance avait explosée place Bugeaud
au Milk-Bar. Comme son nom l’indique on y servait que des boissons non
alcoolisées, c’était donc un lieu privilégié par les mamans et leurs
jeunes enfants.
En moins de quatre minutes nous
sommes arrivés sur les lieux. Une fumée épaisse sortait par la porte éventrée
et nous avons été les premiers à y pénétrer.
Quel massacre !
Il y avait des petits corps partout, que l’on distinguait mal à
cause de la fumée.
il nous fallait enjamber ces débris humains et puis toujours ce sang, du sang
partout, même au plafond. J’avais envie de hurler devant ces corps
d’enfants disloqués, des cris et des gémissements emplissaient la salle.
Il fallait faire vite pour les évacuer avant qu’ils ne soient vidés de
leur sang tant leurs blessures étaient graves. Je me suis baissé pour
ramasser le corps qui se trouvait tout contre ma botte, c’était une petite
fille de sept ou huit ans dont je distinguais mal ses traits tant la fumée était
dense. J’avais passé un bras sous la nuque et l’autre sous les fesses.
J’étais surpris de sa légèreté mais j’ai compris en arrivant sur le
trottoir où la fumée commençait à se dissiper que la fillette que je
tenais contre moi n’avait plus de jambes. Quelques lambeaux de chair adhéraient
à mon avant-bras , sa jambe gauche, celle qui n’était pas contre moi avait
été arrachée laissant apparaître un trou d’où sortaient des viscères.
Cet enfant ne souffrait plus.
Elle était morte mais je n’arrivais pas à détacher mon regard de ce petit
corps meurtri à tout jamais. Avait-elle souffert longtemps ? A quoi
avait-elle pensé quelques instants avant que la mort ne la prenne ? A t-elle
compris ce qui lui arrivait ?
Pourquoi toutes ses questions me
harcelaient ?
Encore aujourd’hui je ne
saurais le dire… Mais il fallait que je rentre à nouveau dans le Milk-Bar,
d’autres blessés attendaient du secours.
Durant plus d’une heure, mes
hommes et moi avons vécu un cauchemar au contact de tout ce sang, de tous ces
corps mutilés.
Ces voyous avaient pris la vie à
sept enfants et mutilé presque cinquante autres ce jour-là.
Parmi toutes les horreurs que
j’avais côtoyées durant ces dernières semaines, le carnage du Mil-Bar
m’aura profondément traumatisé, car on s’en était pris à des enfants
et à leur mère. C’est pour cette raison que je ne pourrai jamais leur
pardonner.
Jean-Claude KESSLER
34430,
St.Jean-de-Védas
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