PARIS – ALGER
LES VÉRITÉS OUBLIÉES |
France HISTOIRE
Valeurs
Actuelles du 13 mai 2005
Bouteflika accuse la France et de Gaulle de
"barbarie" dans le Constantinois en 1945.
Les archives révèlent une autre
vérité..
Par Francois
d’Orcival.
Une
tragédie inexcusable,
a dit le
27 février dernier notre ambassadeur à Alger, Hubert Colin de Verdière.
en parlant des massacres
du 8 mai 1945 »
en Algérie.
« Une
tragédie inexcusable »,
répète
Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, le 7 mai, dans un
quotidien algérien.
Ces mots veulent préparer un traité d'amitié entre
l’Algérie
et la France. Mais, le 8 mai, à Sétif, le président algérien Abdelaziz
Bouteflrka, loin de saisir cette main tendue,s'enfonce dans l'outrance,
accusant tour à tour la France de provocation
(«
les forces d'occupation avaient l'intention de perpétrer des massacres contre le
peuple algérien »)
et le général de
Gaulle de
« barbarie »
jusqu'à l'odieux:
«
Les commandos de la mort exécutaient par centaines et milliers les citoyens sur
les places publiques, stades et buissons. Qui ne se souvient des fours de la
honte installés par l'occupant dans la région de Guelma? Ces fours étaient
identiques aux fours crématoires des nazis... »
Et voici
des dépêches d'agence, datées d'Alger, faisant état d'un bilan de 15 000
morts,"selon les autorités françaises", de 45 000, pour les autorités
algériennes.
D'où
sortent ces chiffres? Où est la vérité, ou à tout le moins le point de vue
français ? Les archives existent, rapports de police, comptes rendus militaires,
messages et ordres échangés : ces documents on été réunis et publiés en 1990 par
le service historique de l'armée de terre, alors dirigé par le générai Robert
Bassac, sous l'autorité de l'historien Jean-Charles Jauffret.
Le matin
du 8 mai 1945, à Sétif, petite ville située à l'ouest de Constantine, un cortège
de sept à huit mille personnes conduites par deux cents scouts musulmans se
dirige vers le monument aux morts pour célébrer la victoire. Surgissent alors,
dans la foule, des drapeaux algériens interdits, des banderoles "Libérez
Messali, Algérie indépendante", "Vivent les Nations unies", accompagnés de
cris.
Le
sous-préfet appelle la troupe qui dresse un barrage en attendant que soient
retirés les drapeaux. La police tente de s'en emparer.
«
C'est le signal de la bagarre,
écrit le général
Henry Martin, qui commande alors le 19e corps d'armée à Alger,
des coups de feu
éclatent; les manifestants se répandent dans la ville, assaillant à coups de
feu, de couteau ou de bâton les Européens rencontrés...
On
entend « Tuons les Européens! », les femmes poussent des youyous
d'encouragement... »
Jardiniers, commerçants, employés, colons, un directeur d'école même : les
victimes tombent, atrocement mutilées. Le maire de la ville, socialiste, est
tué, le chef de la section locale du parti communiste a les deux poignets
tranchés. L'émeute va s'étendre pendant deux semaines d'ouest en est, du
Constantinois jusqu'à Guelma.
L'Algérie, trois départements français, compte alors de six à sept millions
d'"indigènes" musulmans et un peu plus de huit cent mille Européens. Le pays
vient d'être secoué par les bouleversements de la guerre et les déchirements
entre Français. Le 10 février 1943, influencé par la Turquie kémaliste,le
panarabisme, la propagande allemande qui cherche à soulever les colonies contre
leurs puissances de tutelle, le créateur du parti populaire algérien, Messali
Hadj, lance un manifeste qui réclame le pouvoir et l'indépendance.
Va se
joindre à lui un pharmacien de Sétif, Ferhat Abbas. Pour calmer ces
revendications, le général de Gaulle publie le 7 mars 1944 une ordonnance
reconnaissant à tous les habitants l’égalité des droits, sans accorder encore à
tous les musulmans la citoyenneté française. « Trop tard »,
dit Ferhat Abbas.
L'agitation antifrançaise se développe, alimentée de différentes sources.
Quelques-uns des trente mille prisonniers allemands et italiens, internés dans
le Constantinois, ont réussi à s'évader. Plus de seize mille ouvriers algériens
musulmans ont été recrutés en France par l'organisation Todt au service de la
Wehrmacht. Recevant le général Martin, au mois d'août 1944, au moment où
il le nomme en Algérie, le général de Gaulle lui donne comme consigne d'«
empêcher l'Afrique du Nord de glisser entre nos doigts pendant que nous
libérons la France ».
Les
événements étrangers précipitent le mouvement le Japon humilie la France à Hanoi
(9 mars 1945), une rébellion surgit en Syrie et au Liban, et l'annonce de la
conférence des Nations unies à San Francisco fait croire aux partisans de
Messali Hadj qu'ils vont obtenir l'indépendance (d’où les pancartes de
Sétif).
Le 1er
mai, des incidents éclatent à Alger (où la police tire), à Oran, Mostaganem et
ailleurs.
«A bas la France, à bas
les juifs »,
crie-t-on dans la foule.
Les autorités prévoient la répétition de ces incidents et consignent la troupe à
la veille de la capitulation de l'Allemagne.
L'œuvre non de
faméliques mais de fanatiques
Après
Sétif, l'insurrection gagne la région, et Guelma en particulier, sous-préfecture
de seize mille habitants dont quatre mille Européens.
Déclenchée le 9 mai, l'émeute se poursuit jusqu'au 14.
«À
bas de Gaulle, serviteur de la juiverie ! A bas Churchill et les juifs ! »
Le
jeune sous-préfet André
Achiary,
médaillé de la Résistance, gaulliste musclé, décide de compléter son maigre
dispositif par une "garde civique" d'Européens armés. Là vont effectivement se
produire des représailles et des exécutions sommaires.
Les
autorités militaires estiment bientôt le nombre des insurgés à quarante mille
(chiffre qui deviendra,dans la propagande algérienne,
celui des "victimes").
Dès le
22 mai, les premières tribus soulevées se soumettent. La répression a été sans
pitié. « Le général
Daval, qui commandait le Constantinois,fit donner l'artillerie,
l'aviation qui rasèrent des villages autour de Sétif, Kelma et Kerrata,
écrit Jean
Lacouture, et des unités
de troupes noires qui tuèrent et pillèrent pendant quarante-huit heures. »
D'où
l'accusation de "massacres". Ce qui ressort des archives militaires en tempère
non la réalité mais la dimension. Combien y avait-il d'avions ?
douze chasseurs, douze bombardiers
légers. Combien de missions d'assaut ? Vingt en quinze jours. La marine? Un
croiseur, le Duguay-Trouin, au large de Bougie.
Le 10 mai, sommet de l'insurrection, il tire vingt-trois coups de 155 pour
disperser les rassemblements rebelles.
Relevées
à l'époque, les pertes, côté européen, sont de 102 tués, 110 blessés, une
dizaine de femmes violées. Côté musulmans,le commandement militaire évalue
alors le nombre des victimes à 2628 tués; un délégué communiste à
l'Assemblée constituante l'estime. le 11 juillet 1945, entre 1500 et 2000,
le journal l'Humanité parle au même moment de six mille.
C'est le FLN qui prétendra plus tard que la répression
a fait 45000 victimes et même 80000.
Qui
commandait ? Le gouverneur général de l'Algérie,Yves Chataigneau,qui
agissait sous les ordres du ministre de l'Intérieur, le socialiste Adrien
Tixier, était un gaulliste que les pieds-noirs avaient baptisé Mohammed en
raison de ses sympathies musulmanes. C'est dire le "barbare"qu'il était. Il
qualifia les rebelles de "meneurs hitlériens". Le ministre de l'Air, responsable
de l'aviation, était le communiste Charles Tillon.
« Le
mouvement insurrectionnel,
observa
le général Martin
n’a
pas été l’œuvre de faméliques, mais de fanatiques et de racistes.
Le
mouvement n'avait pas pour but initial la guerre sainte, mais cet argument fut
employé par les meneurs pour décider la masse et la fanatiser...
»
Ce « commencement d'insurrection »,
dira le général de Gaulle, fut donc
«
étouffé ».
Est-ce
parce qu'il devait se rallumer neuf ans plus tard, mais neuf ans plus tard
seulement, que l'on parle aujourd'hui de"tragédie inexcusable"?
Il est facile de reconstituer l'histoire quand on en connaît la suite.
•
8 mai 1945, la victoire en Europe,sous la direction de Maurice Vaisse.
Éditions Complexe, 230 pages, 19 euros.
• La
Guerre d'Algérie par les documents, collectif, Service historique de l'armée de
terre,
tome 1 - 550 pages, 49 Euros.
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