Dès le début de 1956, on enregistre justement les signes d'une gangrène se
manifestant par la multiplicité d'aides au FLN.
Mais il faut ajouter des noms appartenant aux milieux libertaires et
trotskistes, ainsi que des cadres du PC et de la CGT, agissant à titre
personnel. Dans cette mouvance, on peut citer Michel Raptis, alias Pablo,
Maurice Craipeau, Henri Benoist, qui imprimera El Moudjahid...
En novembre 1955, le professeur Mandouze est arrêté ainsi qu'Anne-Marie
Chauletet et Cécile Verdusant. Robert Barrat organise défense
et pétitions, soutenu par François Mauriac et Jean Marie Domenach.
Les inculpés sont rapidement libérés.
Jacques Berthelet, un des organisateurs des manifestations de rappelés
tente de regrouper en Suisse des déserteurs et des insoumis. Sa «clientèle» ne
dépassera jamais la dizaine, mais son réseau de passage de la frontière sera
utilisé à d'autres fins par l'organisation qui va se mettre en place après
l'arrestation de Louanchi et Lebjaoui, responsables de la
Fédération de France du FLN. A la demande d'Omar Boudaoud, le nouveau
responsable du FLN en France, cette organisation clandestine se constituera
rapidement autour de Francis Jeanson, gérant des Temps Modernes
et proche de Jean Paul Sartre.
La prise en main efficace de la population immigrée, astreinte au paiement de
la «cotisation» et d'amendes diverses, va provoquer un afflux grandissant de
trésorerie.
De province, les valises de billets sont acheminées vers Paris. Une partie
des sommes collectées est utilisée sur place, en particulier pour la
rémunération et le défraiement des « agents » permanents. Le reste, volumineux,
est acheminé vers la Suisse, soit par la valise diplomatique tunisienne, soit
par des moyens clandestins. Cette trésorerie nécessite de nombreux porteurs,
très souvent féminins. Les valises pouvant d'ailleurs aussi bien receler des
armes. Ainsi naîtront « les porteurs de valises », et l'appellation s'étendra à
tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, aideront la rébellion. Les
difficultés rencontrées conduiront à rechercher d'autres solutions pour les
transferts financiers. Elles seront fournies par Henri Curiel, juif
égyptien, membre du PCI, dont les relations bancaires internationales seront
utilisées.
En 1957, la victoire des paras sur les terroristes de la bataille d'Alger
provoque une intense campagne sur le thème de la «torture». Avec l'affaire
Audin (la disparition d'un professeur de mathématiques d'Alger appartenant
au PC), la condamnation à mort de la poseuse de bombes Djamila Bouhired,
se multiplient les comités où se font remarquer Madeleine Rebérioux, Pierre
Vidal Naquet et Georges Arnaud. Des campagnes de presse sont
orchestrées par
L'Express, Témoignage chrétien, France Observateur, Le Monde.
La police observe une recrudescence de passages clandestins de la frontière
espagnole. Il s'agit des«spécialistes» de l’Organisation spéciale du FLN, formés
dans les camps du Maroc. L’abbé Davezies, Étienne Bolo, Jacques Vignes
participent activement au transport, à l'hébergement, à la mise en place des
tueurs envoyés par le GPRA pour intervenir en France. En Algérie, une dizaine de
prêtres dont les abbés Scotto, Barthez et Cortes, ainsi que des
religieux de Notre Dame d'Afrique, sont impliqués dans les réseaux de soutien.
Seule, la peur du scandale évite à Monseigneur Duval, archevêque d'Alger,
d'être lui-même inculpé.
Parmi les progressistes chrétiens, les protestants ne sont pas en reste. En
mars 1958, le pasteur Mathiot est inculpé avec une équipe de fidèles:
responsable de boîtes aux lettres, de dépôts d'armes, de collectes de fonds,
d'hébergement et de complicités diverses avec les terroristes.
Les événements de mai juin 1958 et l'arrivée au pouvoir du général De Gaulle
vont bouleverser la donne. Le FLN, intensifiant la guerre, a besoin de
complicités plus actives, mieux organisées.
En octobre, l'affaire du séminaire du Prado fait la une des journaux.
La police a découvert que des prêtres de la région lyonnaise couvrent une
véritable trésorerie au profit du FLN. Plusieurs ecclésiastiques, l'abbé
Carteron, le RP Chaize, le curé Magnin sont inculpés. Comme à l'
accoutumée, l'affaire n'ira pas loin.
Les complices du FLN constituent désormais une nébuleuse relativement
importante, coordonnée par Francis Jeanson. Le monde du spectacle,
comédiens, chanteurs, techniciens, fournit un contingent où l'on retrouve les
noms de Jacques Charby, André Thorent, Marina Vlady ou Serge Reggiani.
Françoise Sagan se vantera plus tard d'avoir mis sa jaguar à disposition.
D'autres noms s'ajoutent à ceux déjà connus. Bernard Pingaud, Marcel Péju,
Claude et Jacques Lanzmann, Vercors, Georges Arnaud, Simone de Beauvoir, qui
prête sa voiture à la cause. Jérôme Lindon fait paraître La
Gangrène, pamphlet accusant les tortures policières.
Le 20 juillet 1959, les journaux font état de quinze arrestations de
terroristes à Lyon. L’opération permet de découvrir des dépôts d'armes et de
saisir des plans de sabotage. Avec le responsable musulman de la wilaya est
arrêtée Josette Augay, européenne, mère de famille, égérie du chef des
saboteurs. D'autres arrestations suivent sur tout le territoire.
Au grand dam de la police, les complices français du FLN bénéficient de
protections à des niveaux élevés. Ainsi, au moment où, sous la responsabilité du
Premier ministre, Michel Debré, le Service Action est engagé dans des opérations
de contre terrorisme sur le territoire national, le garde des Sceaux, Edmond
Michelet, et son cabinet, participent activement à la protection des
porteurs de valises. Joseph Rovan, du cabinet de Michelet, en
témoignera, faisant état de filières personnelles entre le garde des Sceaux et
le GPRA à Tunis. Certains affirment d'ailleurs que, par ce canal, le GPRA a été
informé de la démarche de Si Salah avant De Gaulle lui même.
Un autre membre de ce cabinet, Gaston Gosselin, se vantera d'avoir
informé les prisonniers de l'existence de micros dans leurs cellules du fort
d'Aix. Il sera remplacé par Hervé Bourges qui, en 1962, choisira de
prendre la nationalité algérienne. Dans ses confidences, Rovan se
félicitera du soutien de Simone Veil, à l'époque magistrat attaché au
ministère de la Justice, pour son rôle de protection des leaders FLN emprisonnés...
L’événement le plus notable du premier trimestre 1960 est la chute du réseau
Jeanson. Depuis longtemps, la DST était informée des agissements de ces
clandestins amateurs. Si Jeanson lui-même échappe à la rafle, en quelques jours,
une trentaine de ses comparses sont mis momentanément hors d'état de nuire.
Les documents saisis chez Cécile Decugis, maîtresse du responsable de
la wilaya III, apportent la preuve de l'emploi systématique des femmes
européennes soumises à une emprise sexuelle.
Peu après, l'abbé Corre, de la Mission de France, est arrêté
ainsi que deux passeurs du
« Mouvement jeune Résistance », à la frontière suisse.
Les accusés les plus compromis réclament l'intervention de Me Roland Dumas.
Ce dernier, après une période d'observation prudente, a décidé de soutenir
Jeanson. Dans la tourmente qui vient d'éclater, il informe son client des
progrès de l'enquête policière en cours, ce qui lui permet de prendre des
mesures indispensables.
De nouvelles arrestations et le procès de l'écrivain Georges Arnaud,
compromis avec Jeanson, favorisent une agitation politico médiatique
intense. Les prises de position du Parti Socialiste Unifié (PSU), qui vient de
naître, celles de l'Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), du Syndicat
Général de l'Education Nationale (SGEN) se rejoignent. Georges Arnaud
bénéficie de l'appui d'un comité de soutien où l'on trouve Yvan Audouard,
Claude Estier, Armand Gatti, Joseph Kessel, Frédéric Pottecher et, quelques
pétitionnaires perpétuels, François Maspero ou Pierre Vidal-Naquet.
Le procès du « réseau Jeanson » s'ouvre à Paris le 5 septembre 1 960. Six
Algériens, dix-huit Français comparaissent. Ils sont défendus par vingt-six
avocats. Roland Dumas en est le chef d'orchestre. Sa stratégie consiste à
faire durer le procès le plus longtemps possible en utilisant la procédure. Le
but est de ridiculiser les membres du tribunal et les discréditer aux yeux de
l'opinion. Ce sera une parfaite réussite.
Une lettre de soutien de Jean-Paul Sartre fournira aux accusés
l'approbation médiatisée de cet intellectuel incontournable. On saura plus tard
que cette lettre était un faux, rédigé par Marcel Péju. Qu'importe.
Les remous sont profonds dans l'opinion publique apparente. L’intelligentsia
de gauche témoigne son soutien aux porteurs de valises avec Le Manifeste
des 121, une profession de foi dont les signataires ne sont pas tous des
porteurs de valises, mais des sympathisants souvent abusés. On trouve, à côté
d'intellectuels engagés, des personnalités connues du grand public: Michel
Butor, Clara Malraux, Tristan Tzara, François Chatelet, Madeleine Rebérioux,
Laurent Schwartz, Danielle Delorme, Simone Signoret, François Truffaut,
Jean-François Revel, Claude Roy, etc.
Cette pétition provoque la riposte du «