JE NE REGRETTE RIEN
Par Pierre SERGENT
Chez Fayard |
LE
PROJET D’ENLEVER DE GAULLE
A AIN-TÉMOUCHENT
PARTIE 1
(suivi du Putsch en 2ème partie)
EXTRAITS
P.366
à 376
Le temps pressait. Les
émissaires venant de France poussaient à la roue. De Gaulle mis hors
d'état d'agir en Algérie, disaient-ils, la prise du pouvoir à Paris serait
facile.
Pour avoir les coudées franches,
Dufour sollicita une permission qui lui fut accordée. Il demeura à Zéralda.
Mais au bout de quelques jours, le commandant en chef le convoqua :
« Votre présence près d'Alger
entretient une certaine effervescence dans la ville,
lui dit Crépin. Elle donne de l'espoir aux Algérois.
—
De l'espoir, mon général?
—
On connaît vos sentiments, Dufour.
»
Crépin
accepta que le colonel terminât sa permission dans le Sud. Mais Dufour
n'avait aucune envie d’aller visiter les oasis sahariennes, il songeait à se
rendre à Bel-Abbés,
berceau de sa belle-famille. Il en profiterait pour sonder une nouvelle fois
Brothier auquel Degueldre venait de rendre visite et qui était revenu
pessimiste :
« Brothier ne
marchera pas, avait-il déclaré. Il passe pour un grand activiste, mais il
ne se mouillera pas quoi qu'il en dise. Il est nécessaire
que vous alliez le voir ; peut-être pourrez-vous le décider, mais j'en doute. »
Dufour
fut accueilli avec réserve à Bel-Abbés.
Il sentit qu'on avait mis les officiers en garde contre lui. L'entretien qu'il
eut avec Brothier confirma cette impression et le déçut. Le patron de la
maison mère refusait de neutraliser De Gaulle à Aïn-Témouchent.
Il fit part à nouveau de ses sentiments profondément « Algérie
française », mais estimait
que la Légion étrangère ne pourrait avoir une position en pointe dans une
affaire intérieure française. Il fallait la tenir à l'écart des remous
politiques. Dufour n'eut pas le temps de trouver une parade à ce mauvais
coup du sort. On lui tendit un message : il devait immédiatement rejoindre son
régiment pour en passer le commandement, et avoir quitté le sol algérien avant
le vendredi 9 décembre,
date de l'arrivée de De Gaulle à Oran. Il restait quatre jours.
Dufour
arriva à Zéralda
le 6 vers 18 heures. Il se rendit aussitôt à la villa du général
Saint-Hillier, commandant la 10e D. P. où il était convoqué. Le
lieutenant-colonel Guiraud l'y accueillit :
« Mon colonel,
lui dit-il, je n'ai intrigué en aucune manière pour prendre votre place. J'étais
en stage à Philippeville. L'inspecteur de la Légion est venu me chercher,
et me voilà. Navré que ce passage de commandement s'effectue dans de telles
conditions.
—
Ne vous excusez pas, Guiraud.
Je sais que vous dites la vérité. Vous n'êtes pas en cause. Nous sommes pris
dans des événements et nous ignorons ce qu'il adviendra. Quoi qu'il arrive, mon
estime pour vous ne variera pas. »
Saint-Hillier
apprit à Dufour
qu'il avait une place retenue sur la Caravelle du jeudi après-midi pour
Paris. En conséquence, ils devaient aller tous les trois en Broussard à
El-Milia le lendemain, mercredi, à 7 heures du matin, pour procéder à la
passation réglementaire du commandement et à la remise du drapeau à Guiraud.
« Tu connais les motifs de mon
éjection ? demanda
Dufour à Saint-Hillier.
— Pas officiellement, mais je m'en
doute. Comme toi du reste.
— On ne m'a même pas donné mes huit
jours... Suis-je considéré comme tellement nocif ?
— Il faut le croire. »
II pleuvait à verse. Dufour
enfonça son béret et courba le dos pour traverser le jardin et rejoindre sa
voiture. Il aperçut des ombres qui le suivaient à travers les bosquets.
« As-tu remarqué ? »
demanda-t-il à Malchioli, son chauffeur, en s'engouffrant dans la jeep.
« Ce sont des légionnaires, mon
colonel. Le lieutenant Degueldre n'avait pas confiance. Si vous n'étiez
pas ressorti au bout de deux heures, il serait venu vous délivrer avec deux
sections ».
Dans la jeep, Dufour prit sa
décision : demain, il ne sera pas au terrain de Cheragas à 7 heures. Le
drapeau non plus. « Son » régiment saura qu'il ne le quitte pas de plein
gré.
A 10 heures du soir, il
reprenait avec Degueldre le chemin d'Alger. En civil, cette fois.
Jouhaud l'attendait, dans une villa d'El-Biar, entouré de plusieurs chefs
d'organisations patriotiques.
Ils se mirent d'accord pour lancer
l'affaire : les civils se lanceront dans la rue pour harceler les C. R. S.,
Dufour fera dire aux régiments de marcher sur Alger. Si possible, on
s'emparera de De Gaulle.
Quand Jouhaud et Dufour
furent seuls, le général baissa la voix :
« Je viens d'être l'objet d'une «
approche » étonnante, lui dit-il. On me demande d'envisager la constitution d'un
Gouvernement provisoire de l'Algérie française.
— D'où vient cette démarche, demanda
Dufour.
— De Roger Frey. »
Dufour
sursauta.
— « C'est de la provocation, mon
général. D'ailleurs, vous savez bien que tous ces domestiques n'ont pas voix au
chapitre.
— Bien sûr,
dit Jouhaud. Et je n'en tiens pas compte. Donc, résumons
nous, nous mettons la main sur Alger. Nous mobilisons les civils et
fonçons sur
De Gaulle, là où il sera,
s'il est arrivé. »
Dufour
rejoignit Zéralda
sans encombre. Il alla prendre quelques heures de repos dans la chambre de
Degueldre.
L'entrée du colonel dans la
clandestinité réjouissait deux hommes : Degueldre et Coatalem.
Pour les deux amis, cette décision était un premier pas vers une action
généralisée de l'armée. Il fallait qu'elle produise une réaction en chaîne.
« Et le drapeau?
demanda tout à coup Degueldre. Godot a été spécialement envoyé ici
pour l'emporter demain. Il ne faut pas que Saint-Hillier puisse le passer
officiellement à Guiraud.
— Quoi faire?
— Le récupérer et le cacher. »
Ce n'était pas si facile! L'emblème
était dans le bureau du colonel que gardait un planton.
« Pendant que j'occuperai le planton,
décide Degueldre, tu t'introduiras dans le bureau. Pour
ressortir, tu n'auras qu'à
sauter par la fenêtre. »
L'opération n'offrit aucune
difficulté.
Quand le colonel se réveilla, son
premier regard tomba sur le drapeau qui était dans l'angle de sa chambre. Depuis
une heure, le général Saint-Hillier et Guiraud se demandaient
pourquoi Dufour n'était pas au rendez-vous de Cheragas...
…..
Le 7 décembre 1960, les déceptions de
Dufour allaient s'accumuler. Terré dans la villa de Moretti
réservée aux célibataires du régiment, il attendait les réponses aux messages
qu'il avait expédiés. Tous les colonels qui avaient donné
leur accord de principe se récusèrent.
L'un n'avait pas assez de camions, un autre était en opération. Le commandant du
régiment de chars était parti consulter le maréchal Juin dont il avait
été l'aide de camp... Un fiasco total, irrémédiable et catastrophique.
Le jeudi 8 décembre,
un capitaine du 1er R. E. P., en permission à Paris, arriva
discrètement à Alger
pour rencontrer Jouhaud. Lui aussi avait entendu parler de clash
et il ne voulait pas rester éloigné de l'Algérie, au cas où se déclencherait
une action antigouvernementale. Dès son arrivée, il prit contact avec
Degueldre qui le mena auprès de Dufour :
« Alors,
lui demanda le colonel, où
en sont-ils à Paris ? »
«
Ils », c'étaient tous ces
amis, civils et militaires, qui se retrouvaient côte à côte pour défendre
l'Algérie française.
« Ils pensent,
répondit le capitaine, que le voyage de De Gaulle est la meilleure
occasion qui puisse se présenter pour passer à l'action. Le
« procès des Barricades
» a jeté le trouble dans l'opinion. Certains gaullistes s'interrogent. Cette
occasion est sans doute la dernière avant le référendum. Si nous la laissons
passer, le référendum donnera le coup de grâce à l'Algérie française.
— Sur qui comptent-ils pour agir?
— Sur le général Jouhaud, sur
vous-même et sur les colonels paras »
Assis sur son lit, dans la pénombre
de la pièce dont les volets étaient clos, Dufour était nerveux. Il se
demandait si sa personne n'était pas la cause de l'échec. Peut-être lui
prêtait-on des ambitions qu'il n'avait pas. Pourtant, on savait bien que
Jouhaud était à la tête de l'affaire! A la vérité, pensait Dufour,
chacun compte sur le voisin pour démarrer le premier. Les officiers français
sont peut-être des soldats courageux, ce ne sont pas des citoyens conscients de
leurs devoirs. Ils veulent bien mourir, mais dans les règles. Ce sont des
gendarmes incapables de sacrifier des positions personnelles pour le bien
commun.
Le 1er R. E. P., non plus,
n'arrivait pas. Il avait pourtant fait répéter le message. Sans doute les
compagnies étaient-elles engagées dans des opérations lointaines près du barrage
tunisien...
Le 9 décembre 1960,
à 9 h 45, la Caravelle du chef de l'État se posa à Zénata,
dans l'Oranais. Accompagné de Joxe, Messmer, Terrenoire,
des généraux Ély
et Olié,
De Gaulle prit immédiatement l'hélicoptère pour se rendre à Aïn-Témouchent,
première étape officielle. L'accueil y fut assez houleux.
Au même instant, les Pieds-Noirs
s'élançaient dans les rues d'Alger pour manifester. Cette fois, il ne s'agissait
pas de manifestation spontanée. Le harcèlement des gendarmes avait été
soigneusement organisé par le Comité d'action de la branche clandestine du Front
de l'Algérie française, le F. A. F.
Le capitaine qui avait rendu visite à
Dufour passa une partie de
l'après-midi au P. C. de ce Comité d'action. En liaison avec Degueldre,
il attendait le retour du 1er R. E. P. Plusieurs fois, les
responsables du F. A. F. lui posèrent la question :
« Alors? Que fait l'armée? »
II répondait qu'il ne pouvait
qu'attendre l'arrivée du régiment et qu'il ignorait quelle serait l'attitude
des autres régiments de parachutistes. Il répétait que l'armée en tant que
telle n'avait rien promis et qu'il ne fallait s'attendre à aucun miracle.
Il était bien difficile de faire
comprendre à ces hommes anxieux qu'il n'y avait pas de mouvement militaire
réellement organisé. On ne pouvait plus compter que sur une prise de conscience
simultanée d'un certain nombre de colonels dont on connaissait les opinions,
mais qui étaient partagés sur les moyens à employer. Pour ces civils, l'armée
constituait un tout, un ensemble homogène. Ils ignoraient ses dissensions
internes, ou bien ils estimaient que l'armée suivrait ceux qui en étaient le
fer de lance : les parachutistes et les légionnaires.
Pour Dufour, la soirée du 9
décembre
fut longue. Devant l'échec patent de
l'opération qu'il avait montée avec Jouhaud, il lui fallait prendre une
décision. Que faire? Dans la clandestinité ? Rien n'était encore prévu,
organisé. Bien sûr, il pourrait subsister en Mitidja, mais sur quoi cela
déboucherait-il puisque l'armée ne voulait rien faire?
Finalement, sur le conseil de
Jouhaud qui lui fit dire d'«
essayer de s'en sortir comme il le pourra »
et de son entourage, il fit téléphoner au général Crépin
pour lui annoncer qu'il était chez lui. Là, il eut un moment de grande détresse,
d'immense lassitude, de vraie douleur :
la cause qu'il défendait
semblait définitivement
perdue.
10 décembre : à 7 heures du matin,
une voiture légère stoppa devant la barrière baissée du camp de Zéralda.
Un légionnaire s'avança. Il aperçut un officier et rectifia la position :
« Je viens voir ton colonel,
dit le visiteur. Ouvre-moi la barrière.
— Je regrette. J'ai reçu
l’ordre de ne laisser entrer personne. »
L'officier descendit de la voiture.
« Mais enfin, tu ne vois pas que je
suis officier général?
— Je regrette, mon général.
Mais c'est la même chose. »
Le général fit un pas. Le légionnaire fit un geste. Le chef de poste arriva à
temps pour éviter un incident plus grave. Il alla téléphoner au colonel.
Quand Dufour arriva, le
général faisait les cent pas derrière la barrière. C'était Simon,
l'adjoint du général commandant le corps d'armée.
« Tes légionnaires
m'ont empêché de pénétrer dans le camp,
se plaignit-il. J'ai fait remarquer que j'étais général. Ils n'ont rien voulu
savoir.
— Ont-ils
été corrects à ton égard?
— Oui. Mais tu as vu comme ils
surveillaient mes pas?
— Ils ont appliqué la consigne
interdisant l'accès du camp à toute personne étrangère au régiment. Les temps
sont troublés... Tu as vu, toi, les gendarmes qui encerclent le camp?
— Bon, passons. Je suis chargé d une
mission en quatre points : Un, m'assurer de ta présence. C'est
fait. Deux, voir ton drapeau.
— Viens avec moi, dans mon bureau. »
Ils pénétrèrent dans le camp. Une
section rendit les honneurs, visages figés, regards peu amènes.
« Le voilà »,
dit Dufour en montrant l'emblème du 1er R. E. P., dans son
cadre, avec ses quatre palmes et sa fourragère jaune.
« Bon. Trois : je t'annonce
que tu es aux arrêts jusqu'à nouvel ordre. Le motif te sera communiqué
ultérieurement. Quatre : tu prends cet après-midi un avion pour la
France, d'où tu rejoindras ton affectation en Allemagne.
— Cet après-midi? C'est bien court?
— Oui. Ce sent les ordres.
Très bien.
Avec le commandant Morin, quelques officiers de la D. P. accompagnèrent
le colonel Dufour à Maison-Blanche.
La dernière silhouette qu'il aperçut
à travers le hublot de la Caravelle, au moment du décollage, était celle
du commandant de Saint-Marc.
De Gaulle
poursuivit son voyage. Tlemcen, Orléansville,
Cherchell, Blida. Les
manifestations redoublèrent de violence. A présent, le Président de la
République parlait
d'Algérie
algérienne
dans tous ses discours. Pour
les Européens, c'était intolérable.
Poussés par les gaullistes et le F. L. N.,
les musulmans descendirent dans la rue en brandissant le drapeau vert et blanc
des rebelles. C'était la première fois que la ville se couvrait de ces emblèmes,
et l'on pouvait se demander par quel miracle ils étaient si nombreux et si
neufs. Certains portaient encore la marque des plis qu'ont les tissus longtemps
enfermés dans des caisses.
Tandis que l'on apprenait l'arrivée
aux portes d'Alger de trois régiments parachutistes, le R. E. P. ne
donnait toujours aucun signe de vie. La liaison était brutalement coupée. Le
régiment ne viendrait sans doute plus.
C'est alors que la nouvelle du départ
de Dufour pour la métropole vint frapper en plein cœur tous ceux qui
comptaient sur lui. Que pouvait-on encore espérer si le colonel des Bérets verts
renonçait à l'action?
De nombreuses tentatives furent
faites pour entraîner les autres régiments à s'emparer des points névralgiques
de la capitale de l'Algérie, mais il fallut y renoncer. De Gaulle ne fut
pas arrêté. Il quitta l'Algérie le mardi 13 décembre, écourtant ce voyage qui
avait provoqué une tuerie à Alger. Dans le
secret de ses pensées,
ce sang frais était peut-être un fait positif, puisqu'il dira lui-même à ses
ministres d'un air satisfait :
«Mon voyage a provoqué
unecristallisation.»
On y voyait effectivement plus clair
: il y avait maintenant entre les deux communautés un fossé infranchissable.
« J'ai l'honneur de vous
rendre compte de ce que le 7 janvier 1961 vers 16 h 30, le lieutenant-colonel
Guiraud engagé au barrage et sous les ordres du général commandant la Z. N.
E. C. (Zone Nord-Est constantinois) me rendait compte par téléphone qu'il
n'était plus en mesure d'assurer son commandement : trois commandants de
compagnie refusaient en effet de prendre part
à une opération prévue
pour le 8 janvier 1961 dans Ia vallée de l'oued Soudan.
»
Par ce compte rendu secret, le
général Saint-Hillier, commandant la 10e D. P., apprenait au
commandant en chef en Algérie l'évènement tout à fait extraordinaire qui venait
de se dérouler au 1er R. E. P. Pour la première
fois depuis le début des guerres d'Indochine et d'Algérie, des officiers
parachutistes et légionnaires refusaient de partir en opération. Ils se
mettaient en grève!
C'était un beau scandale que le commandement prit au tragique.
« Après avoir rendu compte de cet
incident au général commandant le corps d'armée de Constantine, écrivait
Saint-Hillier, je me suis rendu au P. C. du 1er R. E. P. Le
lieutenant-colonel Guiraud, qui depuis un mois a pris le commandement du
régiment, est fatigué physiquement (il urine du sang, m'a-t-il dit) et se
montrait très déprimé des efforts qu'il était sans cesse obligé de faire pour se
faire obéir.
« Au matin du 8 janvier, à 7 heures,
j'ai trouvé effectivement trois compagnies à leurs bivouacs dans la région de
Lamy, l'une en tenue, les autres aux soins de propreté, leurs commandants de
compagnie n'ayant pas donné d'ordres pour l'opération qui exigeait une mise en
route à 5 h 30. »
Pour ces commandants de compagnie du
R. E. P., c'était une façon de voter non ! Ce 8 janvier, avait lieu le
référendum sur l'autodétermination de l'Algérie...
« J'ai convoqué les capitaines
Simonot et Ponsolle ainsi que le lieutenant Godot,
poursuivait Saint-Hillier.
Les raisons de leur conduite, exposées
dans un ordre assez décousu, faisaient ressortir une fatigue nerveuse
consécutive sans doute à de trop longues campagnes ininterrompues en
Extrême-Orient, puis en Algérie. En dehors de la rancœur qu'ils éprouvaient à
être employés sur le barrage, dans un but que semblait justifier un manque de
confiance dans le régiment, alors que tous les autres corps des deux D. P. se
trouvaient en maintien de l'ordre dans les villes, ils faisaient largement état
de l'évolution politique suivie en Algérie et de leur fatigue physique. »
Certes, ils étaient fatigués, ces
hommes, mais pas physiquement! C'était moralement qu'ils n'en pouvaient plus.
Ils estimaient qu'ils n'avaient plus le droit de
risquer la vie d'un seul homme pour une politique qui consistait
à livrer
l'Algérie au F. L. N. Ils
ne marchaient plus, au sens propre comme au figuré. Oui, ils se mettaient en
grève!
Devant cette situation unique, la
hiérarchie réagit de manière ambiguë. Comme le faisait le général
Saint-Hillier, elle tenta d'expliquer cette attitude par une extrême
fatigue, et se montra d'abord conciliante : elle « comprenait », elle «
partageait certaines rancœurs
», mais elle prêchait la fameuse unité de l'armée. Ses arguments ne
convainquirent pas les officiers rétifs.
Elle se mit alors en colère, menaça.
Rien n'y fit.
Une pluie de sanctions s'abattit
finalement sur les révoltés. On les transporta jusqu'à Bône. Ils furent mis aux
arrêts et mutés. En tête, les capitaines Simonot et Ponsolle, les
lieutenants Godot et de La Bigne.
Puis, la vague se poursuivit. Les
chefs de bataillon Martin et Loth, le capitaine de La
Forest-Divonne, le lieutenant Labriffe, le sous-lieutenant Barret
furent mutés. Quant au lieutenant Degueldre,
il était envoyé au 4e régiment étranger d'infanterie, mais il refusa
de rejoindre son nouveau corps. Le 25 1961,
il entra dans la clandestinité.
Le même 8 janvier, jour du
référendum, le général Saint-Hillier avait décidé d'envoyer le commandant
de Saint-Marc, son sous-chef d'état-major, pour
« aider le lieutenant-colonel
Guiraud dans sa tâche
». C est ainsi que l'on vit revenir au 1er R. E. P. celui dont la
fine et longue silhouette était si bien connue des légionnaires-parachutistes.
S'il était un homme pour comprendre
les réactions des jeunes officiers, c'était bien lui, Saint-Marc! Il
n'avait pas besoin de se livrer à une « enquête
». Avant même de revenir,
il savait de quoi souffrait le régiment, il connaissait toutes les questions que
se posaient ses camarades. Lui aussi, il « comprenait », mais pas de la
même façon que le haut commandement. Pour mesurer la douleur d'un autre, il faut
l'avoir ressentie. Saint-Marc souffrait. Il revenait dans la famille. Il
reprenait sa place, comme le fils prodigue.
Les questions que se posaient les
cadres du 1er R. E. P. étaient toujours les mêmes : le drapeau du
F. L. N. va-t-il flotter sur les département
français d’Algérie? Après
avoir été vaincu sur le terrain, le F. L. N. entrera-t-il en vainqueur dans
Alger ? Que vont devenir les populations de souche européenne
? Et les populations de souche musulmane qui avaient cru aux promesses de
l'armée?
L'armée
sera-t-elle donc éternellement vaincue, éternellement parjure?
Saint-Marc
savait que les cadres du régiment n'en étaient pas pour autant acquis aux
mouvements « activistes » qui boullonnaient au sein de la population
européenne. Ils étaient révoltés, écorchés vifs, mais bien trop marqués par leur
formation militaire et la discipline propre à la Légion pour se jeter dans des
activités politiques ou subversives.
Persuadés de l'importance de l'armée,
seul ciment capable de souder les communautés et garante des promesses faites
par la France, les officiers du R. E. P. souhaitaient une prise de position
solennelle et globale de l'armée. Mais cette prise de position, autour de qui
pouvait-elle se cristalliser? Autour du commandant en chef, alors en place?
Certainement pas. Gambiez avait bien promis à ses troupes
« la victoire de nos armes et de nos
cœurs ». Il s'était
incliné, lui aussi, devant les morts. Mais pour ce général,
même les morts étaient devenus des mots.
Alors, autour de qui l'armée pouvait-elle se rassembler? Le maréchal Juin?
Le général Salan?
Le général Jouhaud? le
général Challe?
On parlait beaucoup du général
Challe. Il avait laissé un souvenir. Il avait concrétisé sur le terrain,
militairement, les avantages acquis politiquement et psychologiquement le 13
mai. Même si son action, à l'époque des «Barricades»,
était discutée, son œuvre globale en Algérie était reconnue par tous comme un
succès. Il n'était pas marqué politiquement : aux yeux de beaucoup, cela
rehaussait son prestige.
Ainsi cheminaient les pensées au 1er
R. E.P. en ce début 1961. Mais l'ambiance était tendue, les conversations
inquiètes. Chacun comprenait que des événements graves pouvaient éclater d'un
jour à l'autre.
Pendant les mois de février
et de mars 1961, le
régiment n'en continua pas moins à « dropper le djebel ». Les katiba avaient
éclaté, presque toutes, sous les coups des opérations du « plan Challe »
que ses successeurs avaient poursuivi. Il ne restait plus que des petits groupes
à pourchasser. Les compagnies faisaient leur métier consciencieusement,
fouillant grottes et thalwegs, détruisant l'«
Organisation politico-administrative »
des rebelles partout où elles parvenaient à se saisir d'un maillon.
Les cadres gardaient un œil sur ce
qui se passait à Alger. De temps en temps, ils avaient des nouvelles de
Degueldre qui, dans sa clandestinité, conservait de nombreux contacts au
régiment, ils recevaient des lettres des officiers mutés, leurs anciens
camarades. Ils suivaient avec passion des aventures comme celle du capitaine
Souêtre,
des commandos de l'Air, qui avait refusé de rejoindre sa nouvelle affectation en
métropole et pris le maquis dans la région d'Oran, avec trois de ses
sous-officiers et une vingtaine d'hommes.
Dans cette ambiance, alors que l'on
s'acheminait à grands pas vers l'autodétermination qui, pour tous ceux qui
connaissaient le problème algérien, signifiait indépendance, arriva le message
suivant du commandant en chef, destiné à tous les officiers et daté du 23
mars :
« Depuis six ans,
l'armée française lutte pour libérer les populations de l'emprise des
hors-la-loi et ramener la paix en Algérie.
« Les bandes de
l'extérieur ont été contenues hors des frontières et, à l'intérieur, la
rébellion, en grande partie neutralisée et démantelée, est aux abois.
« Mais notre combat
n'est pas terminé ; il entre au contraire dans sa phase décisive. Pendant les
jours qui vont venir, va maintenant se jouer le forcing qui doit faire
reconnaître sans équivoque notre victoire et nous laisser partout les maîtres du
terrain... »
« Signé
: Gambiez »
A la lecture de ce texte, les
officiers du 1er R. E. P. se regardèrent, saisis. Dans d'autres
circonstances et si le sujet avait été moins dramatique, ils auraient éclaté de
rire. Ils n'ignoraient pas la solide réputation d'imbécillité
acquise en France par le corps des officiers pris dans son ensemble. Mais tout
de même, à ce point-là, cela devenait inconvenant! Quelle piètre
idée de ses subordonnés devait avoir ce général d'armée pour oser leur adresser
un pareil « poulet », le 23 mars 1961 !
Comment ? Il osait non seulement
demander un forcing et l'engagement de toutes les forces de ses
officiers, mais il se permettait de parler de « grande
œuvre nationale et humaine
» ! A l'heure où tous ceux qui
faisaient dans l'armée autre chose qu'une carrière se posaient les questions les
plus graves, ce message
était une insulte.
En le signant, le général Gambiez
donnait une raison de plus et une raison majeure aux officiers, déjà tourmentés,
de tourner le dos à des chefs qui se moquaient d'eux.
Dans moins d'un mois, le 1er
R. E. P. allait donner sa réponse.
Observation :
Dans cet
extrait Pierre Sergent confirme à la page 366 et suivantes le témoignage
de Guy Rolland sur l’affaire du Général Brothier
à qui il est
reproché une grande partie de l’échec du
Putsch.
http://www.algerie-francaise.org/leputsch/brothier.shtml
Suite partie 2 Le pusth
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