La Cendre Et La Braise
Le réseau
OAS- Est - En Métropole 1961 - 1962
de Gérard
LEHMANN
Editions SDE
147-149, rue Saint Honoré 75001 Paris
Partie
1 |
Chapitre II
-----
-----
Naissance de l’O.A.S Métro -
(juin-septembre 1961)
P.82-à-84
89à-99-
-----
-----
Lorsque le capitaine Sergent parvient clandestinement à
Paris, au début du mois de juin 1961, un peu plus d'un mois après l'échec du
putsch (26 avril), et que le lieutenant Godot le rejoint peu après, il a
fait un choix: celui de franchir la Méditerranée et de porter en métropole le
combat
de l'O AS.
----
Le choix de Pierre Sergent s'appuie sur un acte de foi :
Si les Français sont hostiles à notre cause, c’est qu'ils ne la
connaissent pas. S'ils font confiance au pouvoir, c’est qu’on les trompe. S'ils
sont indifférents, c’est qu’on leur cache la nature du drame qui se déroule ici.
On a beau me répéter qu'ils sont lâches, veules, injustes, préoccupés de leurs
intérêts immédiats, je refuse de le croire. Le passé de la France parle en
faveur des Français. Ils ne sont ni indifférents, ni injustes, ni lâches. Comme
tous les hommes, ils ont besoin de foi et d'espérance.
(Pierre
Sergent: La bataille, p. 49).
-----
-----
A chacune des régions militaires correspond un état-major de
commandement articulé sur le même modèle qu'en Algérie: A.RP,/ O.M./ O.R.O. Le
lieutenant Godot est en charge de l'O.M. sur le plan national. À
Paris l'A. P. P. réunit Laurent Laudenbach, fondateur des éditions de La
Table ronde ainsi qu'un groupe d'intellectuels de droite
autour
de deux publications, La Lettre Armée-Nation
confidentielle sinon clandestine, et surtout L'Esprit Public.
On y retrouve Raoul Girardet, Jules Monnerot,
Marcel Kalflèche,
Jean Mabire, André
Brissaud,
Philippe Héduy,
Hubert Bassot, Roger Nimier, Jacques Laurent et Jacques
Perret.
Gignac,
secrétaire général de l'Association des Combattants de l'Union Française, assure
la liaison avec le général Salan. En province, le professeur Jean
Reimbold dans le Sud-Est, Horace Savelli dans l'Ouest organise de
vastes réseaux. Les premiers plasticages ont lieu en juin et juillet.
L'organigramme Godard, baptisé du nom de son créateur, a été réaménagé
par le capitaine Curutchet en fonction d'un but, non pas défensif, de
résistance, mais d'offensive révolutionnaire. Comme il s'en explique dans son
ouvrage, Je veux la tourmente, c'est ce qui arrive quand l'O.R.O. prend
le pas sur l'O.M. Or pour lui, il faut que les trois
branches servent un plan insurrectionnel en trois phases : préparation,
exécution, installation.
-----
-----
Dans
son avertissement au lecteur, Pierre Nora remarque l’absence dans les
documents de noms comme ceux de Château-Jobert en Algérie et André
Canal en métropole ainsi que le petit nombre de documents concernant Bidault
et Soustelle ; enfin les documents ne présentent qu’une O.A.S. partielle de
cadres en majorité militaires.
-----
-----
Il
reste que le but des partisans de l’Algérie française et de l’O.A.S. était avant
tout patriotique. Pressés par le terrorisme aveugle du F.L.N., acculés par un
gaullisme qu'ils avaient imprudemment promu — que n'avaient-ils été davantage
politiques le 13 mai! — ils se sont vus comme des Résistants. Si le rejeu
a été pour leurs adversaires une habileté dialectique payante, pour eux la
Résistance était un sentiment. Les souvenirs de la Première Armée française, le
passé résistant de nombre d’entre eux n'ont pas été pour rien dans ce sentiment.
Car c'est cela, la mémoire: une représentation, non la conformité avec une vérité
historique. Essentiellement, la mémoire est synchronique, elle est processus
mental d'identification. Elle est un droit moral.
Cette période est donc marquée par une divergence entre, d'une part, le
Directoire de Madrid et son bras armé en métropole représenté par Marcel
Bouyer et ses réseaux, et d'autre part l’O.A.S.-métro du capitaine
Sergent et l'Organisation algérienne dirigée par Raoul Salan, et
sans
préjudice de tous les groupes qui agissent au nom de l’O.A.S. mais
indépendamment de toute hiérarchie sur le plan national. Cette divergence tient
essentiellement au choix d'une stratégie: le Directoire madrilène veut
rassembler autour de lui l'ensemble des forces vives de
l’O.A.S.
constituer une instance nationale de caractère gouvernemental
en
exil axée sur un projet politique défini.
Une
opportunité de régler le contentieux se présente cependant sous les traits de
Maurice Gingembre, à qui ses fonctions dans une importante société minière
en Algérie permet de fréquents aller retour entre l'Algérie et la métropole, ce
qui lui permet d'assurer la liaison entre Alger, Paris et Madrid et de jouer le
rôle de
médiateur.
II
dispose en outre de moyens financiers conséquents. Le procès-verbal de son
interrogatoire, dont O.A.S. parle présente des passages, est
très
révélateur des difficultés d'organisation de l'O.A.S. (op. cit.Document no.
18, p. 79-91).
L'offensive (septembre-novembre 1961)
Le 2
septembre 1961, le général Salan, sorti de sa réserve, officialise
l'existence de l'O.A.S. Algérie-Sahara et de l’O.A.S. métropole. Il nomme à
Paris une direction bicéphale civile/militaire. Le délégué civil est un haut
fonctionnaire du ministère des Finances, André
Regard,
qui se cache sous le pseudonyme de Raphaël.
Le
délégué militaire est un général en activité qui se cache sous le pseudonyme de
Verdun. Le capitaine
Sergent
se trouve donc coiffé par cette direction.
Au
cours du mois de septembre, deux événements placent l'Organisation
métropolitaine sous les projecteurs de l'actualité: l'attentat de Pont-sur-Seine
et une vague d'arrestations.
Le 8
septembre, un attentat est organisé à Pont-sur-Seine contre De Gaulle en
route pour Colombey. Il échoue. Il est monté par un petit groupe qui agit
indépendamment de l’O.A.S., le C.N.R.L (Conseil National de la Résistance
Intérieure).
À
l'intérieur de l'Organisation, les opinions sur l'opportunité de l'élimination
violente du chef de l'Etat sont divisées. Salan se défend énergiquement
d'y avoir la moindre part. Dans une lettre adressée au Monde
et
publiée le 12 septembre 1961, il précise:
Des Français égarés furent pendant l'occupation allemande frappés dans leur vie
et dans leurs biens, mais en aucun cas la Résistance ne s'est arrogée le droit
d'exécuter un attentat contre le chef de l'Etat que la France s'était alors
donné. Comme le Maréchal Pétain,
le général De Gaulle fut investi par
la
volonté et la confiance nationales. II devra rendre compte de sa mission devant
le peuple de France (Rémi
Kauffer,
op. cit. p. 123).
En
revanche Susini pense avec raison qu'une exécution serait l'acte libérateur
par excellence de la vie politique et
il n'est pas le seul. Le colonel Yves Godard, ancien résistant du Vercors
et chargé de la Sécurité nationale à Alger de mai 1958 à février 1960, avant de
passer à l'O.A.S., médite un projet similaire avec le colonel Fourcaud
(lui-même l’un des fondateur du B.C.R.A. de Londres) et Claude Dumont
(ancien collaborateur de Godard à Alger).
-----
-----
II y
aura d'autres tentatives d'élimination physique de De Gaulle, dont on
peut penser que certains attentats ont été, sinon organisés, du moins suivis
par des polices parallèles et désamorcés au dernier moment. On peut dire de
ce premier attentat qu'il place le gouvernement espagnol dans une position
difficile devant la France : le groupe madrilène ne bénéficiera plus de la
bienveillance initiale dont il avait profité au début de son séjour en Espagne.
Au début septembre, toujours, un coup sévère est porté à l'Organisation :
plusieurs membres du réseau de Marcel Bouyer sont arrêtés dont le fils du
colonel Lacheroy, Nicolas Kayanakis et Georges
Caunes.
Deux jours plus tard, c'est le tour de Maurice Gingembre, le directeur de
la société Djebel Onck. Chargé d'un abondant courrier saisi, il est en relation
avec beaucoup, sait beaucoup, parle beaucoup. Une vague d'arrestations
s'ensuivent: les généraux Vanuxem et Crèvecœur,
Raoul Girardet, Yves Alquier, l'auteur de Nous avons
pacifié
Taxait,
André Brissaud,
le
colonel Hervé
de Blignières
et quelques autres.
L'O.A.S. est atteinte mais non décapitée: ni Gignac, ni Sergent ne
sont
arrêtés. Échappe également aux filets de la police André
Regard,
haut fonctionnaire du ministère des Finances, délégué civil de Salan à l'O.A.S.-métro
qui est très proche de Michel Poniatowski et de Valéry
Giscard d'Estaing.
Le réseau Résurrection-Patrie,
démantelé, est reconstitué avec le médecin toulousain Jean Cassaigneau,
le capitaine
Bertrand
de Gorostarzu et Robert Lalfert.
-----
Pierre Dautrive
raconte :
[...] C'est moi qui ai monté de A jusqu'à Z les premiers groupes parisiens
de
lJO.A.S.-métro.
[...] En tout mes groupes comprenaient environ cent personnes. Des étudiants,
quelques employés ou même des ouvriers originaires
d'Algérie. Ils me connaissaient sous des noms de code très divers [...].
Comment se faisaient les contacts ? Essentiellement dans les lieux publics.
Rarement dans des appartements privés. Mon agent de liaison personnel, un
tourneur pied-noir, vérifiait préalablement si le café ou le lieu de rendez-vous
était « propre ». Il prenait alors contact avec la personne que je devais
rencontrer et l’entraînait jusqu'à ma voiture garée dans une rue parallèle. Nous
démarrions alors. C'est en roulant que la discussion avait lieu. C'était plus
prudent [...].
En
six mois, j'ai organisé avec l'aide d'Aubry (pseudonyme), entre 300 et
400 plasticages. Nous récupérions l'explosif sur des chantiers, grâce à des
sympathisants.
Les objectifs nous étaient fournis par l'Etat-major de l’O.A.S.-métro. C'est
justement Aubry qui assurait la liaison avec lui. Quand je savais qui
frapper, j'envoyais un militant repérer l'endroit à plastiquer. Nous remettions
alors les coordonnées de l'objectif à une de nos équipes « action ». Chacune
d’entre elles comprenait deux membres. Un poseur de plastic et un guetteur…(Remi-Kauffer.op.
cit.p.177)
-----
-----
Le
projet de l’O.A.S., en cet automne, est d'affirmer sa présence en métropole par
des plasticages, mais aussi d'expliquer, de justifier son action, et ce faisant,
de faire reconnaître sa légitimité. Le capitaine Jean-Marie Curutchet qui
a déserté, rejoint l'O.A.S.; sous sa direction,
l’O.R.O.
prendra un nouveau départ. Si des plasticages sont opérés conjointement sur
l'ensemble du territoire national à trois reprises, le capitaine Sergent
pense qu'il faut arrêter. Mais ses ordres ne sont pas suivis d'effet et les
plasticages continuent: le 17 novembre, le drugstore des
Champs-Elysées est soufflé par une forte explosion.
-----
-----
Autre événement qui marque ce mois de novembre: le Comité de Vincennes, qui
réunit des personnalités favorables à l’O.A.S., dont certains députés qui ont
voté en faveur de l'amendement Valentin, réunissent le 16 novembre trois
mille personnes à la salle de La Mutualité dans le Ve
arrondissement. Parmi eux, Jean Dides, conseiller municipal de Paris, qui
a créé sous l'égide du C.N.R.I. (déjà évoqué) un réseau d'information dans la
police ; on y trouve Jean-Baptiste Biaggi, Léon
Delbecque,
deux acteurs significatifs du 13 mai 1958. La réunion, au cours de laquelle,
comme l'écrit Le Monde, le nom de Salan et l’O.A.S. sont
acclamés, cause un énorme scandale sanctionné par la dissolution du Comité de
Vincennes. Ainsi disparaît la seule plate-forme politique de l’O.A.S. en
métropole.
L'apogée: début décembre 1961 - février 1962
Début décembre arrive d'Algérie André
Canal
dont on ne connaît alors que le nom de code Le Monocle. Il
est chargé d'un ordre de mission par Salan. Le nom de code est
Mission-III. Le noyau du groupe action est constitué de
Philippe Castille, ancien tireur d'élite du S.D.C.E. et du pied-noir
Jean-Marie Vincent. D'autre part, André
Regard,
Raphaël,
est
le délégué général civil choisi par Salan pour les questions politiques.
Le général Salan espère beaucoup d'André
Regard
et
de ses relations avec Valéry
Giscard d'Estaing
et Michel Poniatowski. En réalité, la direction de L’O.A.S. est
remarquablement informée de ce qui se passe à l'échelon gouvernemental le plus
élevé et notamment des débats du Conseil des ministres.
Le
groupe qui prendra quelques mois plus tard le nom de C.N.R.I. subsiste
toujours. On y trouve Jacques Roy, un officier de marine et La Tour du
Pin qui établit la liaison avec Georges Bidault. Avec Jean Dides,
Roy organise un réseau d'informateurs dans la Marine, à la D.S.T., parmi
les hauts fonctionnaires: aucun d'entre eux ne sera jamais inquiété par les
autorités gouvernemental.
De
son côté, Godot, qui a réussi à intégrer un groupe dirigé par le
capitaine Baille (Casque d'or) : L’O.A.R. (voir pour plus
de détail Jean-Marie Curutchet: Je veux la tourmente Paris Robert
Laffont 1973, pp. 46-50), forme une équipe action sous le commandement de
l'adjudant Robin.
Si
la direction de L’O.A.S. métropolitaine est ainsi émiettée, l'accord ne se fera
pas davantage sur la nature des opérations à mener. Pour le Monocle
il s'agit de plastiquer ; Jean-Marie Curutchet, qui a remplacé
le colonel Buchoud à la tête de L’O.R.O., préfère des opérations plus
radicales. Il y
aura
donc rivalité entre l'O.R.O. et Mission-III.
Début 1962, les objectifs de l'O.R.O. sont prioritairement le Parti Communiste
et le F.L.N.
Le
procès-verbal d'interrogatoire du capitaine Curuchtet (2 mars 1964) nous
donne une idée de la stratégie de L’O.R.O. et des problèmes liés à son
fonctionnement (O.A.S. parle, doc. No. 45, pp. 214-222).
-----
-----
Les
opérations menées par l’O.R.O. sont de deux ordres ; soit elles visent un but
politico-psychologique et elle concerne deux types d’objectifs (d’une part,
attentats contre les locaux du P.C.F. à l’exclusion de tout autre parti ou
organisation syndicale, d’autre part destruction mineures de moyens de
communication, canaux, voies ferrées, P & T, lignes haute tension) ; soit elles
concernent le F.L.N. et ses tribunaux :
Les
opérations menées contre la Fédération de France du F.L.N. furent par
contre de véritables opérations de guérilla, menées conjointement par la Police
parisienne et les groupes de l'action de l’O.R.O.
J'attire votre attention que les objectifs traités étaient, non pas des « cafés
musulmans
»,
comme l’écrivait
une certaine presse, mais de pseudo-tribunaux installés par le F.L.N. en
plein cœur de Paris. Ces « tribunaux » se substituaient sur le territoire
français à la justice française et «jugeaient
»,
torturaient, exécutaient
des citoyens français
(op.
cit. p. 220).
-----
-----
N’oublions pas qu’à l’automne 1961, la population pied-noir était toute entière
acquise à l’O.A.S., que l’Armée, qui avait au début pensé que De Gaulle
se trompait, car il n’avait strictement rien compris à la guerre subversive,
voyait bien qu’il la trompait ; une proportion non négligeable des officiers, 20
% suivant la Sécurité Militaire (voir Paul Hénissart,
Les combattants du crépuscule
/ La dernière année de l'Algérie française
Paris Grasset 1970, traduit de l'américain sous le titre Wolves in thé
city,
pp.
216-217),
était
également favorable, à l'O.A.S. La guerre psychologique menée entre autres par
Jean-Jacques Susini portait ses fruits. Edgard Morin s'était réfugié
dans sa forteresse de Rocher Noir mais même là ne s'y sentait pas en sécurité.
Il avait prudemment préparé un éventuel repli de son équipe sur un bateau de
guerre français qui mouillait au large! Si l’on ne tient pas compte de l'armée
et de la gendarmerie, Edgar Morin disposait, pour Alger, de 3000
C.R.S., dont les 2/3, recrutés sur place, semblaient peu sûrs. Morin se
rendra à Paris pour y réclamer des renforts. Alexandre Sanguinetti,
adjoint de Roger Frey, refuse les renforts et les retours en métropole
des éléments peu sûrs ; son ministre de l'Intérieur le soutient : le
gouvernement avait fait son choix. Sanguinetti, qui méritait sans doute
son
surnom de Monsieur Anti-O.A.S., dirigeait à Paris la lutte contre
l’O.A.S. et craignait de renforcer la position de l’O.A.S. en métropole:
Constantin Melnik,
collaborateur intime de Michel Debré
pour ce qui
touchait à la police pensait que la décision de Frey et de
Sanguinetti de conserver en France la réserve des C.R.S. n’était pas
complètement insensée, notant cependant que pour le présent cette décision
favorisait l'expansion de I’O.A.S. en Algérie
(Paul
Hénissart,
op. cit. p. 226).
Le
lot de consolation pour Morin sera l'envoi de barbouzes en Algérie,
le
M.P.C. de Bitterlin, couverture sacrifiée à l'avance des deux cents
inspecteurs de Michel Hacq... Quant à la brigade anti-O.A.S. du
commissaire Gratien, trop exposée, elle sera ramenée en France fin
octobre. Ce qui n'empêchera pas un commando Delta de mitrailler Gratien
et son adjoint Joubert dans un café : le premier sera tué, le second
blessé.
Quant au P.C.E, Jean-Marie Curutchet fait une nette distinction entre les
militants et leurs chefs. De la même manière que les attentats contre le P.C.E
n'ont fait ni tués ni blessés, les attentats contre les voies de communication
obéissent au souci de ne pas faire de victimes : car il ne s'agit pas de
guérilla, c'est-à-dire d'atteinte au potentiel de l'adversaire, non de guerre
civile, mais de guerre psychologique:
La preuve avait
été administrée que des groupes armés clandestins existaient dans la région
parisienne,
le pouvoir ne pouvait dégarnir
cette région capitale des Forces de l'Ordre
(O.A.S parle, p. 219). Il n'en est pas de même pour le F.L.N. : une dizaine
d'opérations firent une trentaine de blessés et de tués. Le chef de l’O.R.O.
précise que ces actions ont été menées avec la collaboration de la police et
parfois avec celle d'éléments du M.N.A. :
La
Police parisienne encore sous le choc de sa lutte contre le F.L.N., sachant par
ailleurs que j'avais donné l'ordre écrit de démonter une opération plutôt que de
mettre en danger la vie d'un policier en uniforme, déplorant enfin de ne plus
rien pouvoir entreprendre par elle-même, collabora avec nous
en
nous fournissant tous les renseignements utiles sur ces « tribunaux ».
Il
suffira à la section Opérations de prévenir à l'avance la police parisienne de
l'endroit et de l'heure de l'expédition, de telle manière que tout risque de
confrontation soit évité.
Mais
il y a également d'autres opportunités pour l'OA.S. de manifester sa présence :
vols d'armes, comme celui exécuté par le lieutenant Bernard le 12
décembre 1961, ou encore celui de Satory le 4 janvier
1962; désertions, (« mutations » dit-on ironiquement) rendues largement
publiques dans la presse par des lettres explicatives. Celle du capitaine
Glasser, commandeur de la Légion d'Honneur à trente-trois ans et gendre du
général Gardy a le contenu suivant :
Officier de la Légion, je pense être sur la voie de l'honneur et de la
fidélité. Fidélité au souvenir de l'Indochine, Fidélité à la révolution du 13
mai.
Fidélité à l'Algérie nouvelle et fraternelle de 1958. Fidélité au serment de
l’Armée. Fidélité à mes propres engagements.
[...]
Par formation je ne suis pas un extrémiste, encore moins un fasciste.
Si
l'Organisation Armée Secrète m avait paru extrémiste ou fasciste, je ne l’aurai
pas rejointe.
[...]
Peut-être un jour ma cravate de la Légion d'Honneur épinglée sur une porte de
cellule, se balancera-t-elle aux courants d'air des prisons gaullistes. Elle
rappellera aux visiteurs que dans « Légion d'Honneur » il y a
« Honneur
» ce
que beaucoup semblent avoir oublié
(cité dans
Pierre Sergent, op. cit. p. 180).
Le
capitaine Glasser sera le chef d'état-major de la Z.A.R (Zone Autonome de
Paris)
À elle seule, la désertion du colonel Château-Jobert,
le fameux « Conan » de la Résistance, le quatrième Compagnon de la
Libération à rejoindre l’O.A.S., a un retentissement considérable.
Vols
d'armes et désertions ont deux effets : renforcer le potentiel de l'Organisation
en armes et en hommes, manifester sa présence ; une présence que les nombreuses
expéditions des peintres de la nuit qui multiplient leurs tags «
O.A.S. veille/O.A.S. vaincra », les drapeaux de l'O A.S. hissés ça et là, et
notamment sur une tour de Notre-Dame (voir Paul
Henissart:
op. cit., p. 214), ou encore les interviews donnés à la presse étrangère (dont
celle de Pierre Sergent au Neue Illustrierte)
renforcent. La distribution de bulletins d'information, de communiqués, de
lettres ouvertes, de tracts fait aussi partie de l'arsenal.
Pierre Sergent
précise que la décentralisation de l'appareil de l'Organisation sur l'ensemble
du territoire sert à merveille ce genre d'activité à laquelle la presse légale
accorde une large publicité.
II
s'occupe également de la réorganisation de l’O.A.S.-métro, particulièrement dans
le Sud-ouest. Outre l'équipe de Toulouse déjà mentionnée, et dont le responsable
est le cardiologue Jean Cassaigneau, il y a celle de Bordeaux dont le
responsable est Pierre Aurillac, dont les parents ont été torturés par la
Gestapo, et qui autrefois était un proche collaborateur de Chaban-Delmas
; Morri, responsable régional de
l'A.C.U.F.
(Anciens Combattants de l'Union Française), deux avocats, Henri Boyreau
et Etienne Ribeton, Claude Chapot, directeur des Forges
modernes, en font partie. A Bayonne nous trouvons Jean Forgues et
Bernard Gorostarzu. Ce dernier organise le 3 décembre 1961 l'évasion de
Luc Céteaux,
Nicolas Kayanakis et Jean Caunes détenus à la prison de
Mont-de-Marsan. Les évadés seront accueillis à Paris par le capitaine Michel
Glasser. Kayanakis prend alors la direction de l'O.M.J. (O.A.S.-métro
jeunes), tandis que Caunes est chargé du secrétariat de l'A.P.P. La
mission de la section est alors de prendre contact avec les intellectuels
sympathisants et de diffuser une revue de presse pour l'état-major de
l'O.A.S. à Alger. Appel aussi en direction de la police. Un tract daté du 11
janvier 1962, distribué par le réseau Honneur et Patrie de la Préfecture de
police, rappelle que la police parisienne a fait naître l'insurrection d'août
44, manifesté le 17 mars 1958, combattu les traîtres
pendant l'occupation,
et
lutté contre le F.L.N.
Quant à la Mission-III d'André
Canal,
un rapprochement s'opère avec O.A.S-métro (Mission-II) de Sergent, mais
il ne débouche pas sur des résultats concrets. Le Monocle refuse
de s'intégrer dans l’O.A.S.-métro et persiste dans sa stratégie. Dans la
nuit du 17 au 18 janvier, dix-huit
explosions retentissent à Paris et en banlieue.
Le
22 janvier, une charge explose au ministère des Affaires étrangères, fait un
mort et douze blessés ;
l'attentat n'est pas revendiqué et l'on saura plus tard, entre autres par
Jacques Delarue, que la charge a explosé suite à une erreur de manipulation
par des agents du S.D.E.C.E. Même chose à Issy-les-Moulineaux où une voiture
piégée explose devant un local où se tient un rassemblement pour la paix en
Algérie et qui fait de nombreuses victimes. Là encore, et même si la procédure
employée diverge de celle employée habituellement par l’O.A.S., et même si l'on
peut se demander s'il ne s'agit pas d'une provocation policière, c'est
l'Organisation qui porte le chapeau. Je suis l'un des rares
à
savoir la vérité aujourd'hui. .
Le
23 janvier, neuf plasticages visent des élus communistes, le 24, vague de treize
explosions. Nouvelle vague encore contre des personnalités : les professeurs
Maurice Duverger, Roger Pinto, le journaliste Serge Bromberger
et le membre du bureau politique du P.C.F. Raymond Guyot. Le 2 février un
attentat malheureux au domicile d'André
Malraux
blesse la fille du concierge de l'immeuble. L'émotion populaire est considérable
: elle débouchera sur la manifestation de Charonne.
A la
veille de la signature des Accords d'Evian, Pierre Sergent tente de
maintenir des contacts avec le monde politique, mais sans parvenir à
établir
une plate-forme politique convenable. La direction de l'O.A.S.
cherche à s'opposer par une offensive généralisée au cessez-le-feu qui
doit
entrer en vigueur le 19 mars 1962.
Alors que Georges Bidault quitte la France, le colonel Antoine Argoud
s'échappe de sa résidence surveillée aux Canaries et gagne l'Allemagne où sont
cantonnés nombre d'officiers retour d'Algérie et partisans de l'Algérie
française. Un rapport de Jacques Delarue (PJ.) sur la situation
dans
les garnisons françaises d'Allemagne Fédérale n'aura d'autre effet que de faire
sanctionner les officiers coupables de lui avoir fourni ces
renseignements et de s'être ainsi compromis avec le pouvoir gaulliste. Le
message était clair.
L'irréversible (mars-juin 1962)
L'irréversible, c'est la signature des « Accords d'Évian » : En Algérie l’O.A.S.
devra combattre sur deux fronts, celui du FLN et celui du gouvernement
gaulliste. L'instruction no.29/O.A.S. du 23 février qui, selon le mot de
Pierre Sergent, a le caractère d'une véritable déclaration de guerre,
concerne également l'OAS.-métro qui doit s'aligner sur l'Organisation en
Algérie: il s'agit de paralyser le pouvoir et le mettre dans l'impossibilité
d'exercer son autorité. Mais en outre, des facteurs supplémentaires doivent
être
pris en compte en métropole
:
Ils sont: essentiellement orientés
vers la manœuvre politique qui ne manquera pas de se réveiller à la faveur de
l'action en Algérie à partir du moment où elle apparaîtra clairement.
Au
lendemain du référendum du 8 avril qui avalise le soutien à la politique
gouvernementale, une note concernant la réorganisation de l'O.A.S.-métro
adressée au capitaine Curutchet (O.A.S. parle, doc. No. 59, pp.
249-254) prend acte de l'échec politique que représente les 90 % qui approuvent
en fait l'indépendance de l'Algérie sous la houlette du F.L.N., reconnaît la
maladresse des opérations engagées, l'amateurisme des réseaux, déplore le manque
de moyens et de discipline, affirme la nécessité d'une doctrine politique qui
dépasse le simple maintien de l'Algérie dans la France. Le mythe de la guerre
subversive doit être abandonné. En revanche, beaucoup est attendu de la
création, en avril, d'un C.N.R. qui puisse consentir
un
effort délibéré de construction politique accompli, non pas en « vase clos »
mais en collaboration avec les élites politiques, militaires, administratives,
économiques, et étayée par un effort intense de propagande
(p. 253)
;
Alors qu'en Algérie la violence se déchaîne avec les événements sanglants de
Babel-Oued et de la rue d'Isly où des Français tombent sous des balles
françaises, alors que les gendarmes mobiles du général Katz répriment
dans le sang la révolte des pieds-noirs à Oran, que Debrosse sévit à
Alger et qu'une tentative de constitution d'un maquis dans l'Ouarsenis (fief du
bachaga Boualam) échoue, l'O.A.S.-métro est sur le déclin.
L'article 16 de la Constitution permet l’embastillement sans jugement d'un
millier de partisans de l'Algérie française susceptibles d'activisme dans les
camps de Thol et de Saint-Maurice-l'Ardoise.
Godot a été arrêté. Jean Caunes, Christian Alba et
Nicolas Kayanakis développent tout de même l’O.A.S.-métro-jeunes dans la
capitale et
Jean-Marc Kalflèche
y organise un réseau d'étudiants pieds-noirs. L'ensemble, note Rémi
Kauffer,
totalise cinq cents personnes.
Et
Mission-III poursuit ses plasticages.
Courant Avril, l'O.A.S. trouve en Belgique, refuges et appuis. À cette époque,
on trouve dans le sillage de Pierre Sergent et d'André
Canal
des
hommes comme le colonel Argoud, le sénateur Claude Dumont, ami de
Soustelle et ancien résistant, André
Regard,
Jean-Marie Curutchet. Mais les
arrestations se multiplient. À l'étranger, Georges Bidault, Antoine
Argoud, Jacques Soustelle et Pierre Sergent forment le Comité
exécutif du C.N.R.
Jetant un regard sur le passé, Pierre Sergent regrette qu'un organisme
gouvernemental n'ait pas été créé au moment favorable, non pas au moment où le
colonel Argoud le projetait, mais une fois bien assise la crédibilité de
l’O.A.S. et avant l'effondrement d'avril. Sans doute alors que Georges
Bidault et Jacques Soustelle y auraient trouvé naturellement leur
place, et que leur exemple aurait entraîné l'adhésion d'autres
personnalités politiques. Trop tard!
Partie 2 |