Le
vendredi 23 mars 1962, le général Charles de Gaulle, président de
la République française, écrit à son premier ministre, Michel Debré,
une brève missive :
Mon
cher premier ministre,
Tout doit être fait sur-le-champ pour briser et châtier l'action
criminelle des bandes terroristes d'Alger et d'Oran. Pour cela, j'ai,
sachez-le, entièrement confiance dans le gouvernement, dans le haut
commissaire de la République et dans les forces dé l'ordre.
Veuillez le dire aux intéressés.
Bien cordialement,
Charles de
Gaulle.
Autrement
dit, il ne s'agit plus, pour l'armée, de combattre les terroristes du
F.L.N. ou les katibas de l'A.L.N. Pour Christian Fouchet, haut
commissaire en Algérie, comme pour le général Ailleret,
commandant supérieur, les seuls terroristes désormais sont les membres
de l'O.A.S. et leur support naturel, la quasi-totalité des pieds-noirs.
L'agonie
de l'Algérie française va commencer avec le siège de Bab-el-Oued et la
fusillade de la rue d'Isly pour se terminer par la tuerie du 5 juillet
dans les rues d'Oran. Mais, pendant quatre ans, celui qui avait lancé
l'appel du 18 juin 1940 pour « l'honneur et la patrie », le chef de la
France libre, l'homme « providentiel » du 13 mai 1958, n'avait cessé,
dans ses appels au pays, d'affirmer
:
-
« Il n'y a dans toute l'Algérie que des Français à part entière...
-
Vive l'Algérie française!...
-
La France est ici pour toujours...
-
Vive Oran, ville que j'aime et que je salue, bonne terre française!...
Cela en est fini du Dien Bien Phu diplomatique... Le F.L.N. va mourir et
l'Algérie sera définitivement française... Le F.L.N. veut
l'indépendance, c'est à dire la sécession, mais cette solution n'est pas
viable pour l'Algérie.
-
Il y a ici plus d'un million de Français de souche européenne et des
musulmans qui veulent rester avec la France...
-
L'Algérie a besoin de la France...
-
La France doit rester en Algérie... Les gens du F.L.N. voudraient que je
leur passe la main en Algérie. Cela, je ne le ferai jamais.
-
De mon vivant, jamais le drapeau vert et blanc ne flottera sur
l'Algérie... »
Comment
les populations françaises d'Algérie auraient elles pu ne pas croire à
ces serments? Cependant, en France, au printemps de 1962, ces promesses
solennelles sont oubliées et, au contraire, ce sont les
« gens du couteau au vestiaire »
qui deviennent les interlocuteurs et les signataires des accords
d'Évian.
Désormais, les « terroristes » à châtier d'une manière exemplaire sont
les pieds noirs victimes d'une responsabilité collective. Cette
politique gouvernementale va faire basculer l'ensemble de la population
européenne dans le camp de l'O.A.S., ce qui provoquera le ratissage et
le bouclage systématique des quartiers populaires. Pour l'armée et la
gendarmerie mobile, l'ennemi n'est plus à la Casbah, il est à
Bab-el-Oued, ce quartier d'Alger la Blanche qui votait toujours « rouge
».
Il en sera
de même à Oran, où l'Organisation armée secrète a réussi à contrôler
l'ensemble de la communauté européenne qui compte 220 000 âmes. Depuis
le début de 1962, la capitale de l'Ouest algérien n'a plus d'igame. Le
dernier inspecteur général de l'administration en mission
extraordinaire, Andrieu, ayant quitté son poste dans des
conditions alors mal connues, le gouvernement ne lui a jamais désigné de
successeur.
Le maire,
Fouques-Duparc, a abandonné sa ville depuis longtemps. Les
pouvoirs civils sont concentrés dans les mains du préfet de police,
Denizot, qui a dû évacuer sa « forteresse » de la place Kléber où il
ne se sent plus en sécurité, pour installer son P.C. dans les casemates
inexpugnables de la base de Mers el Kébir. Ses adjoints siègent dans les
bâtiments de la vieille préfecture, dans les bas quartiers, devenue un
camp retranché où même les officiers supérieurs qui s'y rendent en
mission officielle sont souvent fouillés « à corps » par les C.R.S.
avant d'être admis dans les bureaux. Car, à plusieurs reprises, le
plastic a fait sauter les bureaux de la préfecture de police. Avec
quelles complicités? La même question se pose pour les attentats
perpétrés à
l'intérieur du Château Neuf, siège du corps d'armée, auquel les employés
civils n'ont plus accès depuis longtemps.
Pourtant
les autorités civiles et militaires disposent de nombreuses forces pour
le maintien de l'ordre. Zouaves, artilleurs, fantassins de marine
montent la garde à la lisière des quartiers européen, israélite et
musulman, à l'abri de leurs réseaux barbelés. Les C.R.S. effectuent des
patrouilles, contrôlent le siège des administrations, surveillent les
abords des établissements scolaires. Les « barbouzes », qui n'ont pas d'
« existence officielle » élisent pour quartier général une classe de
solfège du lycée de jeunes filles à Miramar. Mais les gendarmes mobiles
comptent dans leurs rangs un certain nombre de pieds-noirs. Il faudra
faire venir en renfort des gendarmes de la métropole. Ils deviendront
vite odieux au moment des grandes perquisitions au cours desquelles des
appartements seront saccagés.
Quant à la
police d’état, elle est, dans sa grande majorité, aux ordres de
l'O.A.S., car son recrutement est local.
C'est dans
cette atmosphère de guerre civile et subversive que les Européens,
conscients de la volonté de Paris de donner l'Algérie au F.L.N., vont se
préparer à faire d'Oran, flanqué de la base navale de Mers el Kébir et
des bases aériennes de La Sénia et de Lartigue-Tafaraoui, un réduit qui
resterait français. Les résultats du référendum d'avril 1962, la mise en
place d'un exécutif provisoire à Rocher Noir, le remplacement progressif
des forces françaises par une force locale firent comprendre, même aux
plus irréductibles, que tout espoir devait être abandonné.
Mais un
dernier carré va rester sur place jusqu'à la dernière heure. Les «
desperados » de l'O.A.S. se sont groupés autour du général Gardy.
Cet ancien
Saint Cyrien a, en face de lui, le général Katz, sorti du rang,
qui s'est juré d'avoir la peau des pieds noirs. Chef de la place d'Oran
jusqu'à la proclamation de l'indépendance, il donne la consigne de tirer
à vue sur tout Européen qui aurait l'audace de paraître sur une terrasse
( un balcon lors d'un bouclage.
Une des premières victimes sera la petite
Dubiton (dont le père, employé municipal, été tombé sous les balles
d'un terroriste du F.L.N.) qui aura les deux jambes sectionnées par une
rafale de mitrailleuse la veille de sa première communion.
Désormais,
les quais du port comme l'aéroport de La Sénia sont envahis par une
foule désespérée qui tente de gagner la France, misérable marée humaine
chargée de ballots de linge et de pauvres valises en carton.
Mais le
massacre du 5 juillet dans les rues d'Oran va vite aboutir à une
tragique diaspora.
Ce matin
là, premier jour de l'Algérie nouvelle, sept katibas de l'A.L.N. avaient
défilé dans les rues de la ville. Les représentants officiels de la
France étaient partis et le G.P.R.A. n'avait pas encore désigné leurs
remplaçants. Soudain, une fusillade éclate.
Plus tard,
les autorités algérienne devront reconnaître qu'elle a été déclenchée
par des "éléments
irresponsables"...
Partie 2
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