LA LÉGION
ÉTRANGÈRE
ET SES HÉROS
VOLONTAIREMENT OUBLIÉS
PAR NÉCESSITÉ
POLITIQUE |
Commentaire de Gillou
NOS HÉROS N’ONT PAS
EU DROIT AUX GRANDS
ET PETITS ÉCRANS -
PAR CONTRE
LES
FRANÇAIS ANTI-FRANÇAIS -
LES GAULLISTES
LES PORTEURS DE VALISES ET LES
COMMUNISTES
NE SE SONT PAS GÉNÉS
POUR PRODUIRE DES FILMS
FAVORABLES AUX BOUCHERS DU FLN
DEPUIS PLUS
DE QUARANTE ANS
Gillou
--=o=--
JE
NE REGRETTE RIEN
Par Pierre SERGENT
Chez Fayard
EXTRAITS - PARTIE 1
P.319 –
320 – 321 – 323 –
326 – 327 – 328 – 329 - 330 -
Le 22 décembre 1958, trois
jours après sa prise de commandement des troupes d'Algérie, le général
Challe signa sa première directive. De telles instructions passaient
largement au-dessus des cadres subalternes des unités engagées sur le terrain.
Ils avaient autre chose à faire qu'étudier la littérature stratégique.
Pourtant, au bout de quelques semaines, le 1er R. E. P. se rendit
compte que quelque chose avait changé. Une impression dominait : « le
patron » voulait gagner cette guerre. L'atmosphère rappela aux anciens
d'Indochine l'arrivée de de Lattre en 1951. Pas dans la forme, bien
sûr, ni dans le style. Challe n'avait aucun côté théâtral. Il était
simple, discret. Mais une même volonté : gagner.
4 février 1959. Une fois de
plus, il pleuvait. A torrents. Le 1er R. E. P. roulait sans
arrêt, indéfiniment, dans un paysage noyé. Il avait quitté Zéralda dans
la matinée en direction de l'ouest. Avec le calme des vieilles troupes,
officiers, sous-officiers et légionnaires se laissaient transporter par les
camions du lieutenant Gorry sans même chercher à savoir où on allait,
cette fois-ci, atterrir. Il y eut plusieurs contrordres dans la journée. Des
feintes probablement. A minuit, les véhicules se rangèrent en formation sur un
terrain vague, à l'ouest de Ténès. Plutôt que d'installer les guitounes
dans la boue, mieux valait attendre le jour dans les camions. On s'installa au
mieux. Le régiment s'endormit. La première offensive Challe
était commencée. C'était le jour j de l'opération
« Oranie ».
Le secteur de Ténès était un secteur « pourri ». Le fellaga
régnait et imposait sa loi. Il tenait la plage désertée de Ténès sous
son feu. Le ravitaillement du sémaphore où l'armée de l'Air avait installé un
radio-phare se faisait par convoi protégé, voué aux embuscades. II ne se
trouvait pourtant qu'à six kilomètres de la ville ! La route côtière était
abandonnée, les ponts coupés. On ne l'empruntait qu'une fois par quinzaine
pour ravitailler les villages de la côte : Pointe-Rouge, El-Marsa,
Le Guelta. On avait ensuite décidé de les ravitailler par mer.
Les gendarmes, enfermés dans leurs casernes, ne cultivaient même plus leurs
jardins. La route Ténès-Orléansville, cordon ombilical du secteur,
restait péniblement ouverte. Les villages de l'intérieur étaient des villages
assiégés. Les liaisons étaient longues, lentes et pénibles. Les jours
passaient lentement. Les malheureuses unités implantées occupaient le plus
clair de leur temps à assurer leur subsistance. Seul, le commando vietnamien,
retrouvé avec joie par le régiment, maintenait un peu de présence militaire
dans ce renoncement général. C'était un secteur d'Algérie parmi tant
d'autres... Ici régnait la katiba du terrible Menouar.
Le R. E. P. avait déjà eu
affaire à lui quelques jours auparavant, le 27 janvier, alors qu'il
participait sans conviction, dans l'Ouarsenis, à une opération qui
semblait mal montée. A midi, le colonel Brothier avait appris par radio
qu'un accrochage avait lieu loin de là, dans le secteur de Ténès. Il
avait demandé aussitôt l'autorisation d'intervenir et l'avait obtenue. Alors,
avait commencé un véritable rallye.
Les compagnies se regroupèrent.
Elles refirent à toute allure, en sens inverse, les kilomètres de montagne qui
les séparaient de leurs camions. Les rames du Gorry étaient déjà prêtes
à partir, tête tournée vers le nord. La compagnie Chiron arriva la
première. Elle embarqua et démarra. Il fallait faire vite. Toutes les
consignes de sécurité furent levées. Plus de vitesse limite. Mille mètres de
dénivelé en virages, soixante kilomètres à une rapidité folle. Orléansvillë
fut traversée en trombe. Jamais sans doute unité du Train ne prit autant de
risques sur la route que, ce jour-là, la compagnie Gorry du G. T. 507.
Les conducteurs faisaient merveille. Ils savaient que le succès dépendait en
grande partie de leur adresse au volant. D'ailleurs, que n'auraient-ils pas
fait pour leurs copains, les Bérets verts?
Pendant que ceux-ci se bagarraient, ils veillaient sur leurs paquetages avec
un soin jaloux. Et quand un légionnaire ne revenait pas du combat pour
reprendre sa place dans leur camion, c'était bien souvent eux, les petits gars
de Gorry, qui versaient les premières larmes.
Les chefs de voiture étaient tendus. Les légionnaires, un peu inquiets,
regardaient défiler les arbres sans dire un mot. Les camions stoppèrent enfin.
Un cri se répercuta : « A terre! »
Sur la route, près de Rabelais,
les hélicoptères étaient là. Les hommes embarquèrent dans la foulée. La
formation s'enleva et alla les déposer sur les hauteurs qui dominent le
village de
Paul-Robert et son vignoble réputé. A 17 heures, les deux premières
compagnies héliportées qui, depuis le matin, avaient parcouru près de cent
kilomètres en camions, une quinzaine à pieds et vingt-cinq en hélicoptères,
qui avaient grimpé jusqu'à la cote 1000 pour redescendre dans la plaine et se
faire hisser sur la cote 900, entamaient leur mouvement. Presque aussitôt,
elles accrochèrent.
La fatigue s'envola immédiatement.
On retrouva la cadence. Quarante minutes de lutte sèche et violente, une
demi-heure de fouille du terrain. La nuit tomba sur le premier succès du R.
E. P. dans le secteur de Ténès. La katiba Menouar, le maître
invincible et redouté de la région, laissait trente hommes et leur armement
sur le terrain. La nouvelle se colporta à travers les djebels. Dans les
villages, tout le monde se réjouit. Les vignerons de Paul-Robert, en
signe de reconnaissance, offrirent aux légionnaires-parachutistes un tonneau
de leur cru.
Le 1er R. E.P.
retrouva donc Menouar le 14 février. Le sous-groupement « Lilas
», commandé par Verguet, eut la chance de le lever. Chiron, qui
traversait une période particulièrement faste, en faisait partie. Là encore,
la rapidité, le coup d'oeil et la fougue des cadres du 1er R. E.
P. firent merveille. Le compartiment de terrain était pourtant bien grand
pour trois compagnies. La compagnie Ysquierdo montait la vallée
en venant de la mer. Devant elle, les fells s'enfuirent. Ils risquaient de
passer entre les compagnies de Chiron et de Glasser qui tenaient
les hauts, mais dont les effectifs ne permettaient pas de tenir toute la
crête. Les rebelles marchaient justement en direction d'une série de petits
cols non gardés. S'ils parvenaient à les franchir, ils pourraient basculer
dans l'autre compartiment de terrain et disparaître.
« Allez-y!
» dit seulement Chiron à son chef de section de tête, l'adjudant
Renaud.
Renaud avait
longtemps sollicité comme une faveur son affectation dans une compagnie de
combat. Il avait longtemps rêvé d'ordres aussi simples, de situations aussi
critiques. Depuis longtemps, il voulait foncer. Il fonça. D'avion, on aurait
pu voir les deux groupes ennemis se ruer l'un vers l'autre : la section
Renaud dévalant la crête vers le premier col, la section
fell
grimpant à perdre haleine par le thalweg. Les adversaires s'entrechoquèrent
comme deux vagues, dans le crépitement des balles et l'explosion des grenades.
Renaud, en tête, n'avait pas besoin d'exhorter ses légionnaires. Lui-même
tomba de tout son long, bras en croix, transpercé, au milieu du col. Pour lui,
c'était fini. Mais c'était aussi fini pour les fells. Aucun ne passa. Quand on
fit les comptes, on dénombra trente-sept cadavres de rebelles, autant d'armes
dont une mitrailleuse et deux fusils mitrailleurs. Mais on découvrit surtout
le corps du chef redouté.
Menouar
était mort. A quelques pas de lui, gisait un être étrange. Quand on ouvrit,
pour l'identifier, ses habits de guerrier, on constata que des liens
comprimaient sa poitrine. C'était la femme de Menouar qui s'était
déguisée en homme pour mieux se battre.
Le R. E. P. — le fait est
notable — avait aussi ses « femmes de Menouar ». Elles étaient
au nombre de trois, et toutes trois jeunes et jolies. Elles appartenaient au
clan de ces épouses que les officiers du régiment avaient emmenées en Algérie,
mais qui, à Zéralda ou à Alger, attendaient sagement en
tricotant des layettes le retour des guerriers dont elles devaient assurer le
repos. Trois d'entre ces Pénélopes avaient jugé que ce n'était pas suffisant.
Sans aller jusqu'à imiter la femme de Menouar et à grimper sur les
djebels, mitraillette à la main, à la suite de leur seigneur et maître — ce
qui eût tout de même présenté quelques difficultés —, elles avaient fondé une
organisation nettement contestataire : le « Comité
», dont les principes avaient une forme
mi-syllogistique («
Nos maris sont des héros », « Nous sommes dignes d'eux »,
« Nous sommes des héroïnes »),
mi-antithétiques («
Ils nous veulent sérieuses, nous nous amuserons »).
Ce fut précisément lors du séjour
du R. E. P. à Ténès et de la poursuite des époux Menouar
que le Comité
effectua sa première grande opération, le 10 mars 1959, Le récit de cette
escapade, fidèlement rapporté dans le Journal de marche du Comité,
commence par une envolée lyrique :
«
Dans tes bras, mon Hercule, Je
pressens de bien doux ébats. Doux ébats... doux ébats...
»
Le but de la manœuvre, on s'en doute, était que les Omphales du Comité
retrouvent leurs Hercules en pleine opération. La chose était bien entendu
strictement interdite, mais les maris visés ne se plaindraient nullement de
respecter une règle qui n'avait pas encore été à moitié dénaturée :
« Faites la guerre et aussi
l'amour. »
Tout avait été prévu : le départ discret de la voiture à l'insu du commandant
de la base arrière, pourtant grand ami de ces dames, l'infiltration dans le
convoi de liaison du R. E. P. à Orléansville pour la traversée
de la zone dangereuse, convoi dont le chef était un autre grand ami du
« Comité
», etc. Tout marcha à souhait jusqu'au retour, deux jours plus tard. Le
colonel, furieux, aperçut la voiture du « Comité
» au moment où elle s'infiltrait subrepticement dans le convoi. Pendant
que leurs femmes rentraient à Zéralda, euphoriques et triomphantes, les
trois maris, debout devant le colonel, supportaient impassiblement sa colère.
Il en aurait fallu bien plus pour
arrêter les ardentes initiatives des éléments féminins du 1er R.
E. P. L'exemple donné par le « Comité
» fut suivi, avec plus ou moins de bonheur et d'intelligence. Du côté des
succès, il faut noter les apparitions répétées, dans le sillage du régiment,
d'une grande et élégante fatma, dont le haïk
soigneusement fermé ne
laissait passer qu'un regard vert. Jamais le colonel ne sut que la femme d'un
de ses capitaines rendait ainsi visite à son mari, à la grande surprise des
populations, peu habituées à voir une fatma
voilée passer en trombe
dans sa voiture, sur des routes parfois peu sûres.
Ces apparitions ne manquaient pas de charme. Le viol répété des interdits du
colonel pimentait fortement les nuits d'ivresse des officiers du régiment.
Mais Brothier, pourtant moins insensible que Jeanpierre, allait
bientôt faire la paix avec les membres du Comité
et leur environnement. Il quittait le 1er R, E. P. et cédait
la place à un colonel d'un caractère très différent : Henri Dufour.
…..
L'élève officier Dufour
avait un sacré caractère. Il serait sorti major de Saint-Cyr s'il n'avait eu
75 points retirés à cause de ses humeurs. Il ne sera que 24e. Avec
les années, les choses ne s'arrangeront pas. Au contraire. Il sera muté
d'office comme sous-lieutenant, comme chef de bataillon, comme colonel... Un
général lui dira un jour :
« J'ai rarement rencontré un
officier aussi dur, et même brutal, que vous envers vos supérieurs ! »
Ce Camerone que le nouveau colonel
n'aimait pas, le R. E. P. l'avait justement fêté la veille. A cette
occasion, Massu avait été fait caporal honoraire du régiment, affecté à
la 1re compagnie. Le lieutenant Degueldre lui avait tendu le
quart de pinard traditionnel. Il avait entonné Le Boudin. Le
caporal Massu avait ensuite participé à la corvée de soupe, que
commandait le sergent Dodevar, le plus jeune sous-officier de la
compagnie.
Le soir, eut lieu un grand
dégagement, d'autant plus fastueux que le 1er R. E. P.
inaugurait le mess construit par les légionnaires, sous la direction de cadres
du régiment. II était splendide. Ce grand bâtiment au milieu des pins
comprenait deux ailes qui se coupaient à angle droit : le bar d'un côté, de
l'autre une salle très vaste, parsemée de nombreuses petites tables carrées,
et prolongée par l'office et la cuisine. Une immense baie vitrée tendue de
voilages donnait sur la terrasse où jaillissait un jet d'eau. De la verdure,
du marbre, un bassin : cette popote était un îlot de fraîcheur qui incitait à
la bonne vie. Dans une vitrine, des objets rappelaient cependant aux
légionnaires qu'ils ne devaient pas oublier les réalités du siècle. Des
drapeaux pris aux Viets et la cloche de
la pagode de Dien bien phû, évoquaient les deux premiers
sacrifices du 1er B.E.P. Un morceau de tôle prélevé sur
l’Alouette dans laquelle Jeanpierre avait trouvé la mort
évoquait cette guerre d’Algérie qui était loin d'être terminée
…..
La seconde offensive Challe,
commencée le 18 avril 1959, avait pour objectif l'Ouarsenis algérois, le
Montgorno, la Couronne autour d'Alger et les Braz.
Le régiment installa sa base opérationnelle avancée dans un site idyllique à
proximité de Cherchell. Mais, victime de sa réputation, il n'eut guère
le loisir d'en profiter. On faisait appel à lui dès qu'une affaire semblait
sérieuse. Quand il revenait à son campement de l'oued Bellah, c'était
pour aller fouiller les sous-bois impénétrables de la forêt Affaïne
ou les monts du Dahra ! En deux mois, le R. E. P. neutralisa
plus de 300 rebelles. Joli bilan, qui lui coûta une cinquantaine de tués et
de blessés. C'est au cours de ces combats que fut tué Tasnady, près de
Molière.
Dans son bureau de Bel-Abbés,
le colonel Brothier, successeur du colonel Thomas à la tête de
la maison mère, signait le courrier, quand son chef d'état-major, le capitaine
Busy-Debat, entra : « Mon colonel, dit-il, nous
recevons un message du 1erR. E. P. L'adjudant Tasnady
a été tué.
— Pardon ?
questionna Brothier comme
s'il avait mal entendu.
— Tasnady est mort, mon
colonel.
— Ce n'est pas possible,
murmura le colonel... pas possible... » En moins d’une semaine, la
scène s'était répétée trois fois.
Trois fois, on avait frappé à sa
porte pour lui annoncer la mort d'un adjudant. Trois fois, il s'agissait d'un
guerrier. Tous trois avaient été tués au combat dans l'Ouarsenis. Tous
trois avaient la médaille militaire et la Légion d'honneur. Tous
trois étaient hongrois.
Engagé en 1946, Tasnady,
depuis treize ans, semblait invulnérable. Deux séjours en Indochine, trois
fois blessé, il avait traversé des périls sans commune mesure avec celui du 14
mai 1959. Un fell, mieux camouflé que les autres, eut pourtant raison de lui
ce jour-là. Échappé par miracle à la fouille du terrain, il s'était caché dans
un épais buisson. Quand la ligne de voltigeurs l'eut dépassé, il se redressa,
aperçut un homme qui lui tournait le dos et donnait des ordres. Sans même
prendre la peine d'épauler son fusil, il tira un seul coup de feu, presque à
bout portant. Frappé à la nuque, l'homme s'écroula, mort. C'était Tasnady.
Il avait trente-trois ans.
Brothier s'était levé. A
travers la fenêtre de son bureau du premier étage, il regardait l’énorme boule
d'onyx qui couronne le monument aux morts de la Légion. Les derniers rayons du
soleil couchant s'accrochaient au globe et donnaient une teinte rougeâtre à
l'or qui couvrait les pays où la Légion s'était battu depuis plus d'un siècle.
« On dirait des taches de sang », songea le colonel. Il ne
pouvait détacher ses regards de ces traces vermeilles. Elles semblaient
grandir, aller jusqu'aux pieds des quatre légionnaires de bronze qui montaient
la garde.
Vasko, Szuts,
Tasnady... Les trois noms martelaient les tempes du colonel. Ils venaient
en tête d'une longue colonne où figuraient des milliers d'autres noms, ceux de
légionnaires qu'il avait vus mourir en silence depuis vingt ans, dont les
sacrifices n'émouvaient pas les foules. Pour les avoir longtemps connus et
commandés, Brothier savait trop ce que la Légion devait aux meilleurs
d'entre eux, les sous-officiers. Ils en constituaient l'ossature. Ils
connaissaient parfaitement leur métier et le faisaient avec une conscience
professionnelle qui surprenait plus d'un sous-lieutenant issu de Saint-Cyr.
Sortant de sa méditation, le colonel se dirigea vers son bureau. Une flamme
illuminait ses traits. Il appela Busy-Debat :
« Vasko, Szuts,
Tasnady... Vous comprenez? lui demanda Brothier dès qu'il
fut entré. L'occasion nous est donnée
de rendre hommage à travers eux à tous les sous-officiers. Il faut la saisir.
Tous les trois symbolisent magnifiquement la nouvelle race d adjudants de
Légion issue des guerres d'Indochine et d Algérie. Vous rendez-vous compte
qu'ils sont hongrois tous les trois, engagés la même année et tués à quelques
jours d'intervalle dans la même région d'Algérie ? »
Brothier s’était à nouveau
levé, en proie à une exaltation dont il n’était pas coutumier. Il pensait à
ces trois garçons qui vingt ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui
s'étaient retrouvés au cœur de cette Europe en ruines, patrie, sans raison de
vivre. Ils ne se connaissaient pas. Leur fraternité commença du jour où chacun
refusa de subir son destin et de vivre dans un pays asservi. La Légion
étrangère leur ouvrit ses rangs. Ils cherchaient un refuge, ils trouvèrent une
famille. Au départ, rien ne les distinguait des autres légionnaires.
Peu à peu, ils se hissèrent au
premier rang. Ils étaient des hommes de guerre. Des adjudants de moins de
trente ans, était-ce concevable dans l'armée française ? Des adjudants ayant
encore la grâce et les vertus de la jeunesse! Des combattants de race, des
entraîneurs d'hommes, admirés par les jeunes officiers, écoutés par les chefs
et vénérés de leurs légionnaires. Les maréchaux de la Légion étrangère !
Le colonel continua son monologue :
« Nous leur ferons des
funérailles grandioses. Nous les enterrerons côte à côte. Ils auront tous les
trois la rosette de la Légion d'honneur. Et nous mettrons toutes leurs décorations
ensemble, dans un même cadre, au musée. »
Le vendredi 22 mai 1959, se
déroula l’une des plus émouvantes cérémonies qu'ait connues la Légion. Escorté
par une foule militaire et civile que précédaient seize adjudants-chefs et
adjudants, tous décorés de la médaille militaire, Tasnady rejoignit ses
deux frères hongrois à leur dernière demeure. Là, le colonel Brothier
s'adressa une dernière fois aux trois hommes qui allaient être ensevelis dans
la terre de Bel Abbès :
« Tasnady,
pour t'accompagner au long du dernier morceau de chemin qui te reste à
parcourir, il y a tes camarades du 1er régiment étranger de
parachutistes et de Sidi-Bel-Abbès et les représentants de la 10e
division parachutiste. Car chez eux aussi, on connaissait ton nom. Mais il y a
aussi et surtout les deux grandes amitiés de Vasko et de Szuts
qui t'ont précédé de si peu dans la mort. S'il me paraît inutile de citer vos
campagnes, Extrême-Orient, Egypte,
Afrique, j'aimerais tout de même qu'on sache qu'à vous trois vous totalisiez :
28
citations, 8 blessures, 3 médailles militaires à titre exceptionnel, 3 Légions
d'honneur à titre exceptionnel.
Et chacun d'entre vous avait à peine trente ans! Et puis-je rappeler pour toi,
Tasnady, qu'au mois d'août 1957, tu avais été blessé à côté du colonel
Jeanpierre?
« Tous trois qui
avez tant combattu pour la France, vous êtes de la lignée de ces
sous-officiers qui ont laissé un nom dans notre histoire : Blandan, le
chasseur ; Bobillot, le colonial ; Mader, le légionnaire ;
Sentenac, le parachutiste. Dans son musée de Bel-Abbés, la Légion
étrangère perpétuera vos noms et gardera votre souvenir. »
Un officier commanda :
« Présentez... Armes! »
Puis l'air fut déchiré par deux
notes lancinantes : le clairon
sonnait Aux Morts.
…..
Quand les commandants de compagnie
apprirent, quelques heures plus tard, qu'il y avait en dernière minute
changement de programme, que l’attaque ne se ferait pas dans la direction
prévue, la Kabylie, mais dans les monts du Hodna, ils furent
émerveillés. Cette ruse ne prouvait-elle pas que le commandant en chef,
déterminé, n'hésitait pas à bousculer les habitudes d'une armée qui n'aimait
pas les improvisations ? Le travail de l'état-major de Challe avait été
bien fait. On distribua de nouvelles cartes. Chacun apprit ce qu'il aurait à
faire. Il ne restait plus qu'à prendre un peu de repos avant le nouveau
départ, fixé à 4 h 30. Dans la nuit, toutes les autres unités des réserves
générales furent détournées de la même façon. Au petit jour, le massif du
Hodna était encerclé. L'opération «
Étincelle
» commençait. Elle dura douze jours. La moitié des rebelles implantés dans
cette zone furent mis hors de combat. On apprit plus tard que le général
Challe n'avait pas eu l'intention de tromper l'adversaire par une ruse. Il
avait seulement voulu exploiter des renseignements de dernière minute. Mais le
résultat restait le même : la souplesse d'une armée dépend essentiellement de
ses chefs. Tous les services avaient suivi. On avait surmonté toutes les
difficultés. Décidément, Challe était un bon général.
Les exécutants, à tous les échelons, commençaient à éprouver pour lui un
sentiment plus fort que l'estime : presque de l'admiration.
(A
suivre Partie 2)
|